Burundi. La junte militaire invoque la protection de Dieu alors que la menace du Red Tabara est ressentie

Le report par l’Union Européenne de l’éventuelle levée des sanctions économiques contre le Burundi à mars 2022 a créé un véritable choc national. La junte militaire est restée incrédule. Depuis des mois, les hautes autorités de l’UE au Burundi avaient assuré que le jeu était terminé, donnant pour certain la levée des sanctions. Leur optimisme était crédible tant leur mandat dans le pays est jalonné de signes d’amitié et d’ouverture envers le régime et d’une distanciation discrète mais nette de la société civile en exil qui continue de dénoncer les crimes contre l’humanité commis par la junte militaire.
Même la population, désormais sans espoir, a été choquée.

Sans réelle opposition politique ou militaire, les Burundais s’accrochent à l’illusion que l’actuel chef de la junte militaire : le Général Neva (alias Evariste Ndayishimiye) est un réformateur, une bonne personne, combattu par les faucons au sein de la junte et de son parti extrémiste CNDD-FDD.
Les Burundais espéraient que la levée des sanctions pourrait relancer le moteur d’une économie désormais quasi inexistante. Les militaires auraient certainement mangé les plus grosses tranches du gâteau mais ce qui restait pourrait donner l’espoir à la population de vivre un peu mieux.

La poursuite des sanctions a démoralisé le Général Neva – Ndayishimiye. Leur révocation aurait représenté sa plus grande réussite politique en le plaçant en position de l’emporter sur son adversaire : le Premier Ministre. Au contraire, Ndayishimiye fait face à 2022 avec la monnaie nationale pratiquement du papier gaspillé. 2 247 BIF pour 1 euro, taux de change officiel, 3 700 au marché noir, alimenté et contrôlé par les Généraux de la junte. Économie collapsée. Plus de 80% des Burundais vivent en dessous du seuil de pauvreté.

Des hausses d’impôts de 20 % et une dette publique de 162,9 milliards d’euros principalement avec la Chine et la Russie. Deux alliés qui s’inquiètent désormais de la capacité de récupérer les prêts et envisagent d’éventuelles actions en vue de la confiscation de ressources naturelles ou d’entreprises publiques rentables.
Le report par l’UE était un choix obligatoire suite au refus d’autoriser le rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies à exercer ses fonctions au Burundi. Décision communiquée par la junte le jeudi 9 décembre 2021. Les sanctions ont été appliquées en 2016 suite aux graves violations des droits humains et crimes contre l’humanité commis par le CNDD-FDD sous la houlette du dictateur Nkurunziza. Les violations et les crimes qui sont toujours le modus operandi du régime militaire burundais.

La décision de l’UE n’a pas seulement enlevé la crédibilité de ses responsables au Burundi qui l’ont considérée comme allant de soi en novembre. Elle a mis le régime CNDD-FDD en sérieuse difficulté aux yeux de la population, exacerbant la lutte interne pour le pouvoir aggravée par la crise économique nationale irréversible. Les divergences profondes entre le soi-disant ‘président’ Ndayishimiye (élu grâce à une fraude électorale sensationnelle) et son Premier Ministre: le Maréchal Général Alain-Guillaume Bunyoni, sont désormais claires et criantes.

Différences qui ont déclenché une longue traînée de sang parmi leurs partisans, tentatives d’assassinats subies par les deux dirigeants, divisions entre la police, les services secrets et l’armée, frictions avec les alliés militaires les plus « prestigieux » : les terroristes rwandais FDLR, la colère et la violence accrue des extrémistes HutuPower de la milice paramilitaire Imbonerakure.

Le report UE a également créé dans les pays de la région qui soutiennent la junte militaire de Gitega de sérieux doutes sur la capacité réelle de gouverner des Généraux. De la Tanzanie à l’Ouganda, on se demande pourquoi la junte a commis la grave erreur de s’opposer à la Commission des droits de l’homme de l’ONU avant la levée des sanctions par l’UE. Cette grossière erreur révèle la vraie nature du régime, son manque de vision stratégique même à moyen terme et sa naïveté à croire les propos flatteurs des diplomates européens.

Les doutes et les perplexités de Dodoma et Kampala sont partagés par les puissances étrangères qui soutiennent la junte de Gitega : Chine, Egypte, Russie, Turquie, tandis que la France est profondément embarrassée par son soutien subtil, discret mais efficace aux Généraux.

Pour tenter d’offrir à la population une image d’unité au sein de la classe dirigeante et de réhabiliter la réputation de la junte militaire, le Général Neva – Ndayishimiye a organisé mardi 28 décembre deux journées de prière nationale, sur initiative de la Première Dame qui se déclare catholique. Ces deux jours de prière avaient pour seul objectif de faire croire à la population qu’il n’y a pas de divisions au sein du CNDD-FDD et que la junte militaire est élue par Dieu.

Le Général Neva – Ndayishimiye entouré de tous les Généraux (y compris son ennemi Bunyoni) a dispensé des enseignements bibliques, démontrant une culture théologique inattendue même si brève et orientée politiquement. Une tirade interminable, plus proche d’un long monologue que d’un sermon.

En soutien au leader des Généraux est venu son épouse Angeline Ndayishimiye qui a parlé des 5 qualités chrétiennes d’un bon leader. « Un bon leader doit avoir une vision, doit favoriser le dialogue, essayer de réaliser ses rêves. Il doit être honnête et au service du peuple ». Visiblement, il ne faisait pas référence à son mari qui démontrait en fait l’exact opposé de ces 5 vertus, en plus d’être atteint d’une forme grave d’alcoolisme provoquant des sautes d’humeur et des colères inattendues, comme le confirment certaines sources diplomatiques.
C’est la Première Dame Angeline, avec son visage angélique de bonne mère, qui régnait dans les rangs de cette convention religieuse. Ses innombrables interventions (monologues) étaient centrées sur la bénédiction divine du régime. Citant divers passages évangéliques, Angéline a voulu offrir une fausse image d’un gouvernement composé de dirigeants moralement intégraux au service de Dieu et de la nation entière.

Les deux jours de prière se sont terminés par l’invitation du Général Neva – Ndayishimiye à 3 minutes du silence pour parler directement à Dieu, demander pardon pour “toutes” les erreurs commises et le remercier pour son soutien divin qui aide à vaincre le mal et les ennemis du Burundi.

La tentative de faire croire que la junte militaire d’être choisie par Dieu et bénéficier de sa protection n’est pas une invention de l’angélique Angéline ou de son mari. Il a été le cheval de bataille du dictateur Pierre Nkurunziza, chef du CNDD-FDD depuis l’époque de la guerre civile. Nkurunziza a toujours placé sa figure aux côtés de Dieu en présentant son parti extrémiste comme un parti de fervents chrétiens. Pour renforcer l’union “entre le pouvoir et Dieu” il avait aussi fondé sa propre église en mettant sa femme au sommet.

Ces actes de blasphème semblent générer des effets et des réactions contraires à ceux souhaités par la junte militaire. Parmi la population, il est clair l’énorme fossé qui existe entre les déclarations d’être “des hommes de foi dévoués au bien du pays” et la vraie nature des Généraux qui forcent plus de 10 millions de personnes à vivre dans la pauvreté dégradante et dans la violence, sans même pas les protéger de la pandémie de Covid19 qui fait des ravages au Burundi alors que le régime continue de sous-estimer la menace sanitaire.

Les deux jours de prière ont été interprétés comme un symptôme de la faiblesse de la junte militaire. Une tentative de promouvoir une autorité ultra-terrestre délirante pour compenser la perte progressive d’autorité et de soutien populaire.
Apparemment, la junte militaire contrôle la situation. L’opposition politique et la société civile ont été éliminées. Les médias sont sous contrôle. Les miliciens Imbonerakure et la police politique surveillent chaque pensée et parole des citoyens signalant tous comportements “non patriotiques”.

Le nettoyage ethnique contre la minorité Tutsi se poursuit, visant à atteindre l’objectif de faire du Burundi un pays ethniquement « pur » habité uniquement par des Hutus. Tout comme le massacre prémédité de l’opposition hutu représentée par le principal parti d’opposition: le Conseil National de Libération du CNL, dirigé par Aghaton Rwasa, le vrai vainqueur des élections de 2020.

Derrière cette réalité rassurante se cachent des doutes, des peurs et des fragilités. Outre les divisions dangereuses au sein du CNDD-FDD, qui se manifestent par des règlements de comptes périodiques et sanglants, se lève à nouveau la menace de l’opposition armée burundaise, actuellement dirigée par le groupe armé Red Tabara, soutenu par le Rwanda et basé dans l’est du Congo .

Depuis le 20 décembre 2021, 350 soldats de l’armée burundaise soutenus par un nombre indéterminé de miliciens Imbonerakure, de concert avec les terroristes rwandais des FDLR, ont franchi la frontière congolaise pour mener une campagne militaire contre les Red Tabara dans la province du Sud-Kivu. L’invasion n’a rencontré aucune opposition sérieuse de la part de l’armée congolaise et des autorités gouvernementales de Kinshasa.

Le Président congolais Félix Tshisekedi est conscient que la collusion d’une tranche importante de la société dans l’est du pays avec les terroristes des FDLR et la junte militaire burundaise empêche tout acte (dû) de défense de l’intégrité et de l’inviolabilité du territoire national. Pendant des années, l’est du Congo a été le champ de bataille de diverses armées et groupes armés étrangers. Le dictateur Nkurunziza était le promoteur de la tactique d’affronter l’opposition militaire burundaise dans l’est du Congo pour empêcher le massacre d’avoir lieu sur le territoire burundais. La junte militaire ne fait que suivre fidèlement cette tactique.

Une question se pose. Quelle est la raison que pousse la junte militaire à engager des hommes et des moyens financiers (déjà très rares) pour éradiquer un groupe armé qu’elle prétend faible, fragmenté et sans aucune chance de représenter une menace nationale sérieuse ? La présence de militaires et miliciens burundais au Sud-Kivu se justifie également par les obligations inscrites dans l’alliance politico-militaire avec les terroristes des FDLR signée en 2014 par le dictateur Nkurunziza et respectée jusqu’à présent par la junte de Gitega.

La police rwandaise est entrée dans l’est du Congo pour soutenir les opérations militaires de l’armée congolaise contre les bandes armées qui infestent la région depuis 20 ans, principalement contre les FDLR, principaux suspects dans l’exécution extrajudiciaire de l’Ambassadeur italien Luca Attanasio. La police rwandaise est bien entraînée et équipée pour faire face à la menace terroriste grâce à la coopération militaire avec la force des Carabiniers envoyée par le gouvernement italien.

Des experts militaires des carabiniers forment des policiers rwandais aux tactiques antiterroristes modernes depuis 2017. Selon l’avis de divers experts régionaux et de certains humanitaires occidentaux, ce soutien militaire de l’Italie a été à l’origine de l’assassinat de l’Ambassadeur Attanasio comme acte de vengeance et de défiance des FDLR.
Les premiers affrontements entre les militaires burundais, Imbonerakure et Red Tabara ont eu lieu les 24 et 25 décembre dans les localités de Kashengo, Rukuka et Nyamorogwe dans les districts de Kigoma et du plateau Bafulero d’Uvira, Sud Kivu où les Red Tabara ont des bases militaires grâce à la connivence du gouvernement de Kinshasa.

La force d’invasion burundaise était appuyée par des gangs armés Maï-Maï congolais et par des unités des terroristes rwandais des FDLR. Les Red Tabara reçoivent le soutien d’un autre groupe armé burundais : le FNL (Front de Libération Nationale) dirigé par le Général Aloys Nzabampema. Le soutien de militaires rwandais qui ne portent pas l’uniforme de l’armée rwandaise est également suspecté.
Selon des sources locales, l’offensive dans les districts de Kigoma et Bafulero ne donne pas les résultats escomptés en raison de la forte résistance des Red Tabara. Ce n’est que dans la zone de Rukuka que les militaires et miliciens burundais infligeront une lourde défaite aux Red Tabara, les obligeant à se replier vers Kitembe et Bibangwa.

Le porte-parole de la FDNB (Force de défense nationale du Burundi) a démenti la présence de l’armée sur le territoire concolé, qualifiant une telle nouvelle de “rumeurs répandus pour détruire l’image de notre armée et du pays”. En soutien à la junte militaire de Gitega vient le porte-parole de l’armée congolaise qui affirme aux médias nationaux qu’il n’a jamais entendu parler de soldats burundais à Uvira.

Le Red Tabara confirme sur sa page Twitter officielle (@Red_Tabara) les combats en cours sur le plateau d’Uvira contre des soldats et miliciens burundais affirmant avoir stoppé leur offensive militaire près de Gashenyo et Kitembe en faisant de lourdes pertes le dimanche 2 janvier 2022. Des experts de l’ONU confirment également que l’armée burundaise opère militairement contre les Tabara rouges dans le territoire d’Uvira, au Sud-Kivu.Une semaine avant le début des opérations sur le plateau d’Uvira, le Général Neva – Ndayishimiye a demandé aux forces armées de “rester vigilantes contre les actes terroristes des Tabara rouges”.

Selon certaines sources diplomatiques, les services secrets burundais ont eu connaissance d’une série de plans militaires des Red Tabara pour déclencher une guerre de libération en envahissant le Burundi avec le plein soutien du Rwanda. Même si officiellement la junte militaire de Gitega n’extériorise aucun problème envers le gouvernement de Kigali, une telle nouvelle aurait provoqué un ralentissement du processus de pacification avec le Rwanda voisin.

Les unités de l’armée burundaise et des miliciens Imbonerakure outre a combattre contre les unités Red Tabara doivent offrir un soutien actif aux FDLR pour contrer les prochaines offensives militaires conjointes de l’armée congolaise et de la police rwandaise alors qu’au Nord Kivu, l’armée ougandaise récolte une série de victoires militaires qui mettent le groupe terroriste islamique ougandais ADF (Alliance des forces démocratiques), lié à ISIS-DAESH et allié aux FDRL, en sérieuse difficulté.

Une guerre se profile à l’horizon entre le Burundi et le Rwanda en territoire congolais qui impliquera l’armée congolaise et fera des victimes civiles. Une guerre qui ne sera jamais déclarée et qui n’impliquera pas les territoires burundais et rwandais. Depuis plusieurs années, les Généraux de Gitega, Paul Kagame et Félix Tshisekedi ont compris la nécessité de faire des guerres sans les déclarer. Cela protège de toute surveillance internationale des crimes commis et empêche les médias de dénoncer l’existence du conflit et les violences subies par les civils. Une tactique efficace.

Fulvio Beltrami