Burundi. Les ravages de l’intolérance et la Commission Vérité et Réconciliation rendent le dialogue et la paix impossibles

Il y a dix-sept ans, Pierre Nkurunziza, leader du parti racial Hutu CNDD-FDD (Conseil National pour la Défense de la Démocratie – Forces de Défense de la Démocratie) est arrivé au pouvoir après 10 ans de guerre ethnique contre les gouvernements burundais de Madame Sylvie Kinigi, Cyprien Ntaryamira, Sylvestre Ntibantunganya et Pierre Buyoya à la suite du coup d’État organisé par des officiers de l’armée contre Melchior Ndadaye, le premier président hutu démocratiquement élu dans l’histoire postcoloniale du pays qui a été assassiné pendant le coup d’État.

Le changement violent de régime a été mené par les forces armées car elles considéraient que le gouvernement Ndadaye représentait un réel danger pour la paix, la stabilité du Burundi et la survie de la minorité ethnique tutsi. En effet, Ndadaye durant les 103 jours de la présidence a promu une politique de « double visage », se présentant à l’Occident comme un chef d’État capable de surmonter les clivages ethniques séculaires entre Hutu et Tutsi, de promouvoir la réconciliation et l’identité nationales et d’offrir au Burundi une ère de paix, de stabilité et de progrès.

Cette image extérieure idyllique contrastait avec la politique promue par Ndadaye dans le pays qui reposait sur un concept de HutuPower (pouvoir aux Hutus). Partant du constat que les Hutus représentaient environ 80% de la population, Ndadaye considérait la construction d’un pays mono-ethnique comme la seule garantie pour garantir la paix, la stabilité et le développement. Il considérait la minorité ethnique tutsi comme un danger et un obstacle constant ainsi qu’une menace sérieuse pour la majorité hutue à éliminer définitivement.

La paix de 2004, née dans les Accords de Arusha 2000, reposait sur un mécanisme compliqué d’alternance et d’équilibre des pouvoirs entre les deux ethnies. Le président Pierre Buyoya (Tutsi) a proposé une entrée progressive au pouvoir des Hutus à travers une longue période intermédiaire pour créer des partis non ethniques et renforcer la société civile, période sous la direction de Domitien Ndayizeye appartenant au parti Hutu du FRODEBU où les forces armées représentaient le garantie républicaine.

Les États-Unis, le Canada, l’Union Européenne, l’Afrique du Sud et la Communauté de Sant’Egidio, désireux d’atteindre immédiatement la paix et la démocratie, ont choisi de nommer Piere Nkurunziza comme président pour 5 ans, avec la possibilité d’accéder à un seul mandat ultérieur. Les acteurs extérieurs pensaient qu’offrir la présidence à la principale guérilla hutue en échange de garanties démocratiques, était le meilleur moyen d’éviter le risque de poursuite de la guerre civile.

Paradoxalement, les acteurs internationaux ont confié la tâche de créer les conditions démocratiques des élections de 2010 à Nkurunziza, un chef de guerre assoiffé de sang et de haine ethnique au lieu de continuer avec le gouvernement provisoire de Domitien Ndayiseye, un leader hutu qui a abjuré l’extrémisme et qui était orienté vers surmonter les divisions ethniques. Comme il fallait s’y attendre, une fois arrivé à la présidence, Nkurunzia a repris la politique de Ndadaye de créer un pays mono ethnique. La politique poursuivie comme héritage politique après sa mort par la junte militaire actuelle.

Au Burundi, la paix et la réconciliation nationale sont nécessaires pour faire sortir le pays du cycle de violence qui dure depuis 1993 et ​​qui trouve ses origines dans les massacres des années ‘60 et les horribles événements du 1972. Une nécessité aussi pour la Région des Grands Lacs depuis le Burundi sous la direction de l’actuel régime HutuPower constitue une grave menace pour la paix et la stabilité régionales.

Malheureusement, il n’est pas possible d’engager un processus de démocratisation et de dialogue national, confié à la Commission Vérité et Réconciliation, en raison de la nature idéologique de la junte militaire actuellement au pouvoir. La solution pour le Burundi semble destinée à passer par un changement de régime mené par les armes.

Fulvio Beltrami

L’impossibilité d’un procès pacifique et les racines de la haine ethnique et de la philosophie de la mort du Pouvoir aux Hutus, nous sont expliquées par un éminent intellectuel burundais qui vit actuellement en exil, d’où il suit assidûment la politique de sa terre natale: Nestor Nduwaha.

Burundi: les ravages de l’intolérance et la Commission Vérité et Réconciliation

Le Burundi est actuellement connu pour des violations des droits de l’homme que nos leaders ne semblent pas pouvoir, ou vouloir arrêter. C’est que ce pays a connu des massacres et autres crimes à caractère ethnique en 1965, 1972, 1987-88, 1991, et de 1993 à nos jours. Les gouvernements et les régimes changent, mais le non-respect de la vie humaine semble être une constante. Une Commission Vérité et Réconciliation (CVR) a été mise sur pied il y a plusieurs années déjà pour se pencher sur cette question.

Malgré les controverses de sa mise en place, il y avait un mince espoir qu’elle effectuerait peut-être un travail honnête, qu’elle confirmerait les faits connus, et exposerait ceux inconnus. Hélas, on a vite déchanté. Sa première décision importante, celle de se concentrer sur 1972 au détriment d’autres époques, n’augurait rien de bon déjà. Maintenant elle a soumis un rapport d’étape, dont les méthodes et les conclusions ne font pas l’unanimité.

Jusqu’au recouvrement de l’indépendance en 1962, les royaumes du Burundi et du Rwanda étaient administrés ensemble comme un unique territoire confié à la Belgique par la Société des Nations (SDN), et plus tard l’Organizations des Nations Unies(ONU). Le Burundi et le Rwanda opèrent comme des vases communicants, comme ils le sont même aujourd’hui. C’est pourquoi, pour une meilleure compréhension de la problématique burundaise, ce dernier pays est invoqué aussi parfois.

La mauvaise graine a été plantée il y a longtemps

L’année 1972 a été l’une des plus traumatiques, et était une continuation d’autres crises. La graine de la haine qui a germé dans ces catastrophes avait été plantée par la colonisation, mais elle a continué à être entretenue par nous-mêmes, Burundais, principalement. Quand les agents coloniaux ont atteint l’Afrique des Grands Lacs (et ailleurs), ils regardaient les populations locales avec une coloration reflétant les théories racistes de leur temps (inégalité des races de Gobineau).

C’est ainsi qu’ils ont classifié la population en groupes supérieurs et inferieurs, entre presque-européens et primitifs, entre naïfs et fourbes … la liste est longue. De là à l’infame théorie hamitique qui dit que les Tutsis sont des migrants Ethiopiens qui se sont imposés aux populations autochtones bantoues par fourberie, il n’y avait qu’un petit pas. Même si ‘bantou’ est une classification linguistique, et même si les Tutsis sont eux-mêmes bantous.

Le Burundi comporte trois principaux groupes dits faussement ‘ethniques’ : les Hutus, les Tutsis, et les Twas. Beaucoup ont probablement déjà vu les photos d’anthropologues belges prenant des mesures des traits morphologiques caractéristiques de ces groupes. Basés sur des préjugés, des décisions concernant qui pouvait ou ne pouvait pas assister les administrateurs coloniaux ont été prises. C’est ainsi que par exemple, alors que l’administration traditionnelle du royaume du Burundi était assurée par des princes de sang, des Tutsis et des Hutus, en 1925 le résident colonial du Burundi (l’homme qui gouvernait le Burundi au nom de la Belgique) a systématiquement remplacé tous les chefs et sous-chefs Hutus par des princes et des Tutsis. L’accès à l’école occidentale, confiée par la colonisation aux missionnaires catholiques (les pères blancs, les jésuites, les Xavériens, …) a également favorisé les princes et les Tutsis. L’élite est devenue donc principalement Tutsie, avec les princes (Ganwa) assimilés aux Tutsis. C’est cette élite qui a réclamé l’indépendance.

Avec le vent des indépendances, et les réclamations des élites majoritairement Tutsies donc, l’administration coloniale et l’Eglise ont rapidement changé leur fusil d’épaule : neutraliser les assistants d’hier, les Tutsis, et promouvoir les Hutus, qui d’après l’idéologie raciste coloniale, étaient plus malléables. Particulièrement au Rwanda, l’administration coloniale et son allié, l’église catholique, ont commencé à parler de l’exploitation des masses Hutues, pas par la colonisation belge, mais par les « la colonisation » Tutsie.

Des leaders Hutus ont eu la même lecture, plus particulièrement au Rwanda. A ce titre, en 1957, des leaders Hutus Rwandais ont envoyé un document, le Manifeste des BaHutus, au Vice-Gouverneur Général du Rwanda-Urundi(Burundi) parlant du problème racial hamitique(Tutsi) et prônant la promotion des masses Hutues. L’un des co-auteurs de ce manifeste, Grégoire Kayibanda, était le secrétaire privé de Mgr. A. Perraudin, futur archevêque du Rwanda. Grégoire Kayibanda a aussi créé le premier parti dont la ligne directrice était la suprématie des Hutus sur les Tutsis, le ParmeHutu. Deux partis similaires furent créés au Burundi : le Parti du Peuple et l’UproHutu.

Mgr. A. Perraudin fera parler de lui en 1959, par une lettre pastorale “Super Omnia Caritas” qui mettait en cause « la race » Tutsie comme responsable des inégalités sociales, et qui devait céder la place à la majorité ethnique Hutue. Cette même année, avec l’assistance de l’administration coloniale belge, une « révolution Hutue » conduira à des pogroms contre les Tutsis et à l’abolition de la monarchie du Rwanda. Le roi et des milliers de Tutsis vont partir en exil. Grégoire Kayibanda deviendra président du Rwanda lors de l’indépendance. Son agenda politique établira la base du ‘Hutu Power’. Il présidera au premier génocide des Tutsis rwandais en 1963.

Le royaume du Burundi échappera à ce destin, parce que l’Eglise catholique locale n’avait pas la même ferveur anti-Tutsie, et parce que le peuple Burundais était resté unanimement unis derrière le roi … ou presque. Toutefois, l’idéologie du ‘Hutu Power’ était déjà encrée dans certains esprits. En fait, les élites du Burundi et du Rwanda se connaissaient intimement, parce qu’elles étaient passées par les mêmes écoles catholiques. Les idéologues du Hutu power Rwandais ont fait des émules parmi les Hutus du Burundi.

Bien plus, un colon belge, Albert Maus, membre du conseil de la colonie de l’Urundi, avait commencé à agiter pour une révolution des Hutus au Burundi. Il a financé et a écrit le manifeste d’un parti exclusivement Hutu, le Parti du Peuple, dont les membres parlaient ouvertement de retourner les Tutsis d’où ils étaient venus, c’est-à-dire l’Ethiopie et/ou le Misri(Egypte). Dans les premières élections législatives en 1961, ce parti a eu peu de succès, et Albert Maus s’est suicidé en conséquence. Mais il aurait dû être patient, parce que le PP aura plus de succès dans les élections suivantes, en 1965.

En fait, cette année-là, les Hutus (de tous les partis politiques) sont devenus majoritaires au parlement. Quelque temps après les élections, des gendarmes et militaires Hutus appuyés par des politiciens Hutus tenteront un coup d’état (le 19 octobre 1965), et essayerons d’assassiner le roi et son premier ministre. Cette même journée, des membres d’une milice fondée par un politicien Hutu prééminent, Paul Mirerekano, ont massacré les Tutsis dans la province de Muramvya. Les auteurs de ces tueries étaient assistés par des agents envoyés par le régime Rwandais de Grégoire Kayibanda. C’était la réalisation des premiers massacres ethniques et la première tentative d’épurer le Burundi de sa population Tutsie. Dieu merci, elle n’a pas réussi.

La peur et la radicalisation

Avec l’arrivée de milliers de Tutsis Rwandais comme refugiés au Burundi, en 1959 et en 1963, évidement la vue du monde a changé pour les Hutus et pour les Tutsis, surtout parmi les élites. Pour les premiers, l’exemple du Rwanda dictait qu’ils devaient prendre le pouvoir parce que « peuple majoritaire », et éliminer physiquement ou marginaliser les Tutsis. Pour les Tutsis, le danger d’être massacrés se profilait à l’horizon.

Les massacres des Tutsis de Muramvya en 1965 semblent leur avoir donné raison. C’est durant cette période d’anxiété qu’un coup d’état (le 8 juillet 1966) dominé par de jeunes officiers Tutsis, a porté un capitaine de 26 ans, Michel Micombero, au pouvoir. Le fait que les coups d’état militaires étaient à la mode en Afrique a probablement aussi été un catalyseur. Micombero était aux commandes en 1972 quand le pays a connu des massacres plus étendus.

Le 29 Avril 1972

C’était le week-end du 1er mai, la journée internationale du travail. Des soirées dansantes étaient organisées à travers tout le pays apparemment par des fonctionnaires et autres officiels Hutus. Le but était d’y attraper les Tutsis prééminents dans leurs régions. Une soirée festive était notamment organisée au mess des officiers et le président de la République, Michel Micombero, y était invité.

Deux jeunes officiers de sa garde rapprochée sont partis vérifier l’état des lieux avant l’arrivée du président, mais ils sont tombés dans une embuscade tout près de la cathédrale catholique de Bujumbura, et ils ont été tués. C’était après 18h. Les deux officiers conduisaient la voiture du président et l’embuscade lui était destinée. Plusieurs soldats Tutsis, qui rentraient dans des barraques des environs, furent tués au même endroit.

Presqu’au même moment, environ 50 kilomètres plus au sud, le long du lac Tanganyika, vers Kabezi et Mutumba, des Tutsis furent massacrés à la machette, notamment des instituteurs, et ce par leurs collègues renforcés par d’autres insurgés Hutus. Tout male Tutsi attrapé subissait ce sort.

Environ 80 kilomètres plus au sud, toujours le long du lac Tanganyika à Rumonge, des Tutsis qui étaient venus à la soirée dansante et des Tutsis habitant cette localité ont été massacrés par des insurgés Hutus, soutenus par des féticheurs ou sorciers congolais. Tout ce groupe de tueurs circulaient en s’écriant ‘Mai, Mulele’. C’est pourquoi ils sont généralement connus comme ‘les Mai-Mulele’, même si « Mulele » était un leader politique congolais.

Encore environ 100 kilomètres plus au sud, le capitaine Misigaro, Hutu, et chef de la position de gendarmerie de Nyanza-Lac a fait désarmer les gendarmes Tutsis et les a fait abattre, tous. Il en est de même de la population Tutsie de Nyanza-Lac. En fait Nyanza-Lac a été complètement épuré de sa population Tutsie.

La même chose se passait au même moment à Cankuzo, au Nord-Est du pays, mais avec une moindre ampleur. Tout semblait marcher selon un plan bien établit, un plan d’extermination des Tutsis. Sans organisation, les massacres des Tutsis n’auraient pas eu lieu sur une aussi grande étendue de territoire, et ce en même temps. Il semblerait que le coup d’envoi des tueries aurait dû être donné à travers la radio nationale, les insurgés avaient essayé de la prendre d’assaut mais avaient échoué.

Les autorités semblent avoir été prises de cour. Il semble qu’il y avait eu des rumeurs de révolte ou de coup d’état. Des instituteurs Hutus avaient quitté leurs postes d’attache pour rejoindre des camps d’entraînement militaire. Des leaders Hutus bien connus étaient dans des camps d’entraînement militaire en Tanzanie. Dans la confusion du début des massacres, les autorités semblent avoir pensé que des royalistes étaient à l’attaque et voulaient rétablir la monarchie. C’est pourquoi peut-être l’ex-roi Ntare V, en résidence surveillée à ce moment, a été exécuté.

La progression des massacres des Tutsis vers l’intérieur du pays

Après avoir éliminé les Tutsis de la plaine du Lac Tanganyika, les insurgés ont passé le dimanche à se réorganiser et à progresser vers les hauteurs où les populations Tutsies étaient nombreuses. Le lundi matin, les massacres ont continué à Mutumba, Bururi, Vyanda, Vugizo, Mabanda, … Certaines communes comme Vugizo et Mabanda avaient eu leurs administrateurs et autres élites Tutsies éliminées bien avant, lors des fameuses soirées dansantes organisées à travers le pays par des conjurés Hutus. Dans leur progression, les insurgés tuaient les hommes, les garçons et les femmes enceintes pour éliminer la possibilité qu’elles mettent au monde des garçons. Certaines mères ont pu sauver leurs garçons en les déguisant en filles.

Dès que les forces gouvernementales ont réalisé qu’elles étaient en face d’un mouvement d’épuration ethnique, à caractère génocidaire, elles ont intervenu en commençant par les environs de la capitale, Bujumbura. Mardi et Mercredi, il y a eu des combats à Rumonge, Bururi et Vyanda. La commune de Vugizo est l’exception, parce que difficile à joindre et complètement entourée de montagnes. Pendant presqu’une semaine, les rebelles ont occupé cette commune et ont massacré tous les hommes Tutsis attrapés. A Mabanda les combats ont eu lieu Mercredi et Jeudi. Battus, les conjurés ont fui principalement vers la Tanzanie, mais aussi vers le Zaïre de l’époque. Par après, la répression a dérivé en tueries des Hutus soupçonnés seulement d’avoir participé ou collaboré aux tueries des Tutsis, sans procès comme tels.

L’Idéologie

Un document produit par un parti Hutu en clandestinité circulait en 1972 à Rumonge, et des rebelles l’avaient avec eux. Ce document disait notamment : « Debout, tous comme un seul homme : armez-vous de lances, de serpettes, de machettes, de flèches et de massues et tuez tous les Tutsis où qu’ils se trouvent. Que tous nos partisans s’unissent pour exterminer jusqu’au dernier Tutsi, quel qu’il soit, militaire ou dirigeant. Attaquez-vous aux Ministres, aux Gouverneurs, aux Commissaires, aux Administrateurs, aux Conseillers, aux Cadres du Parti uniquement Tutsi, massacrez-les avec leurs femmes et leurs enfants, n’hésitez pas à éventrer les femmes enceintes. Rivalisons de courage, de discipline, d’agilité pour exterminer tout homme Tutsi et que l’histoire n’en parle plus. Pas d’emprisonnement, pas de jugement pour les Tutsis : Tous, femmes et enfants à la tombe ! ». Par leurs actions, les rebelles ont essayé de réaliser ce qui était écrit.

Une ‘Commission Vérité et Réconciliation’ sans vérité et sans soucis de réconciliation

Cette commission était controversée dès le départ, parce que servant le parti au pouvoir, le CNDD-FDD. Pour mettre les choses en perspective, ce parti est accusé de beaucoup de crimes. Il est venu au pouvoir à la suite de négociations qui ont mis fin à une longue guerre civile. Quand le CNDD-FDD était dans le maquis, son modus operandi était d’arrêter les bus de transport, en retirer les Tutsis et les tuer, et d’attaquer les villageois Tutsi. Selon une opinion courante au Burundi, la cruauté des crimes du CNDD-FDD est devenue plus prononcée après qu’il a absorbé des éléments de l’ancienne armée Rwandaise et des infâmes miliciens Interahamwe, ces auteurs présumés du génocide des Tutsis du Rwanda.

Ses combattants ont massacré 40 jeunes séminaristes à Buta, parce qu’ils ont refusé de se séparer en Hutus et en Tutsis. C’était le 30 Avril 1997. Ils ont aussi massacré environ 648 enfants, femmes et vieillards Tutsis vivant dans un site de déplacés à Bugendana le 21 Juillet 1996. Plus récemment, les services de sécurité du gouvernement CNDD-FDD sont accusés d’avoir tué 3 sœurs italiennes, âgées entre 75ans et 83ans : Olga, Lucia et Bernadette. Bien avant ça, leurs combattants avaient tué 2 archevêques (Ruhuna et Courtney) dans des endroits différents. La liste est longue. C’est ce parti, maintenant au pouvoir qui a mis en place cette commission.

Certes, les accords de paix d’Arusha en 2000 avaient prescrit l’établissement d’une Commission Vérité et Réconciliation, comme en Afrique du Sud après l’apartheid. Cette commission devait inclure des nationaux choisis pour leur intégrité, des étrangers de renom et des représentants de l’ONU. Le gouvernement actuel du parti CNDD-FDD en a décidé autrement. Une première commission a été établie avec à sa tête un prélat connu pour sa sagesse, Mgr. Louis Nahimana.

La première commission semble n’avoir pas travaillé au rythme et dans la direction que souhaitait le parti au pouvoir. Elle a été remplacée par une autre conduite par un politicien avec des vues extrêmes, Mr. Pierre Claver Ndayicariye. C’est un ancien président de la commission nationale électorale inféodée au CNDD-FDD, et un ancien ministre dans un gouvernement que la CVR doit examiner ; donc un conflit d’intérêt majeur pour Mr. Ndayicariye. En plus de ça, il a soutenu le régime Nkurunziza dans les repressions sanglantes de 2015 qui ont visé ceux opposés au troisième et illégal mandat de Nkurunziza. Les opposants étaient des Hutus et des Tutsis, mais la répression dans le sang s’est vite focalisée sur les jeunes Tutsis.

Le gouvernement CNDD-FDD est accusé de disparitions forcées, de tortures, et d’exécution extra-judiciaires d’opposants, de militaires Tutsis en retraite, et de jeunes Tutsis tout simplement. Il a détruit la presse indépendante. La société civile indépendante a été bannie et contrainte à l’exil. De même que plus de 400 milles refugiés à un moment. Quant à Mr. Ndayicariye, il a dirigé deux élections controversées qui ont porté Nkurunziza et le parti CNDD-FDD au pouvoir, et il a défendu les graves violations des droits humains de 2015. Mr. Ndayicariye continue à dire qu’il n’appartient à aucun parti politique.

Les collègues de Mr. Ndayicariye ne sont pas non plus sans conflits d’intérêts majeurs qui les disqualifient. Par exemple, deux des plus importants commissaires, Aloys Batungwanayo et Deo Hakizimana, sont depuis longtemps des fondateurs et présidents d’Organizations qui militent pour la cause Hutue. On ne peut donc pas s’attendre à ce qu’ils exercent l’impartialité que requiert une Commission de Vérité et Réconciliation.

Comme membres, la CVR a aussi dans ses rangs un prêtre qui a été condamné pour meurtre, puis relâché : en effet, il a tué une personne soupçonnée d’être voleur, et ce, à coups de bâton. Plus inquiétant encore, un homme récemment nommé commissaire, Sadiki Kajandi, est soupçonné d’avoir activement participé aux massacres des Tutsis à Mutaho en 1993

Les doutes sur cette CVR se sont malheureusement réalisés sur le terrain. Alors qu’elle est supposée couvrir de la période coloniale à 2008, elle a décidé de se concentrer sur 1972, pour favoriser les gains politiques que le parti au pouvoir pourrait en tirer. La raison donnée est que les témoins sont entrain de vieillir et de mourir. Et pourtant les premiers massacres ethniques ont eu lieu en 1965 et ce sont ces témoins qui sont entrain de disparaître. Est-ce parce que les victimes de 1965 étaient principalement des Tutsies ?

La CVR a choisi 1972 parce que c’est la période qui enflamme le plus la composante Hutue de notre population, qui radicalise certains le plus, et pour que le parti au pouvoir puisse se présenter validement comme le défenseur des Hutus. Mr. Ndayicariye et sa CVR apparait donc comme un support de la propagande politique du parti au pouvoir. Cette CVR semble travailler pour une conclusion en vue. Pas de neutralité, pas d’impartialité, pas d’indépendance.

Son activité principale a été le déterrement des restes humains à travers le pays, des restes trouvés dans des fosses illégales, et sans identification scientifique. Dernièrement ses agents ont été bloqués par la population locale alors qu’ils tentaient de collecter des os d’un cimetière ordinaire. Les restes humains qu’ils déterrent sont étiquetés ‘Hutus’. Dans un pays qui a connu autant de massacres que le Burundi, ça dépasse l’imagination comment on peut séparer des os des Tutsis de ceux des Hutus, à vue ?

De cette activité, un rapport d’étape a été soumis au parlement et au gouvernement. Mais ce rapport reste secret. La CVR a juste publié un résumé de ses découvertes faites sur moins d’un tiers du territoire et elle a tiré ses conclusions. Même ce résumé montre à suffisance les défauts de son approche. Par exemple des accusations en miroir y sont abondantes. Elle change la description et les circonstances de tueries de Tutsis en tueries de Hutus à volonté. Les massacres des Tutsis de 1972 sont mis sur le dos d’autres Tutsis.

Elle n’accepte pas les feedbacks quand ces erreurs sont évidentes. Elle n’utilise aucune approche scientifique reconnue pour indentification des restes humains. Pas d’expertise forensique. Pas d’identification par ADN. C’est vrai que la CVR a enregistré différents témoignages, notamment d’anciens fonctionnaires Tutsis, de paysans Hutus et Tutsis, mais c’est surprenant que les leaders Hutus des massacres des Tutsis encore en vie au Burundi et en Tanzanie n’ont pas été auditionnés, ni les rescapés, orphelins ou veuves des Tutsis.


Et l’avenir ?

Le Burundi vit dans une crise politique quasi-permanente. Le virus de la haine est très présent parmi ses leaders actuels, qui se voient toujours comme des maquisards et des défenseurs de la cause Hutue. La fin de la guerre civile n’a apporté ni paix, ni prospérité. Au contraire, des institutions qu’on espérait pouvoir aider à déraciner les idéologies racistes du Hutu Power semblent avoir été piégés par ce dernier.

On a notamment observé l’affichage ethnique des fonctionnaires de l’Etat, des employés des organisations non-gouvernementales et de certaines compagnies privées. Les tentatives d’exclusion, et la répression dans le sang ou l’exil semblent être dans l’ADN du parti au pouvoir, le CNDD-FDD. Les jeunes miliciens Hutus du parti au pouvoir (Imbonerakure) quadrillent et surveillent tout mouvement de tout Tutsi au niveau national.

A cette allure, un autre génocide dans les Grands Lacs est plus plausible qu’on ne le pense. Pour éviter cette catastrophe, un leadership qui a les intérêts du pays et de toutes les composantes de notre société à cœur est indispensable.

Nestor Nduwaha