Burundi. La junte militaire nous a trompés. Les révélations d’un haut diplomate européen (Fulvio Beltrami)

“Ça ne va pas bien du tout”, révèle au journal belge “La Libre” una source européenne basée à Bujumbura, la capitale économique du Burundi, évoquant la reprise du dialogue entre l’Union Européenne et le plus petit pays d’Afrique centrale, après la levée des sanctions économiques instaurées en 2016. Des sanctions qui comprenaient la suspension des aides financières directes à l’administration ou aux institutions burundaises et supprimées en février dernier. A l’époque, le représentant de l’Union Européenne au Burundi Claude Bochu avait cautionné
pour la junte militaire, vantant des progrès imaginaires dans le respect des droits de l’homme et des ouvertures démocratiques fantomatiques. La société civile burundaise et les associations de défense des droits humains internationaux s’étaient opposées au château du mensonge de l’ambassadeur Bochu mais en vain.

Une Europe de plus en plus confuse, faible, dépourvue d’une vision unitaire et clairvoyante en matière de politique étrangère avait cru que la levée des sanctions contre l’un des régimes africains les plus monstrueux et primitifs suffisait à déclencher un processus démocratique et à stabiliser le pays. Même une démocratie contrôlée à l’ougandaise aurait bien fait d’éviter de futures crises nationales et régionales et, surtout, la menace toujours imminente de génocide de la minorité tutsi.

Cinq mois plus tard, la réalité dans le petit pays africain dément de manière flagrante la vision en rose de l’ambassadeur Bochu, accusé par la société civile d’avoir tissé des relations trop amicales avec le régime et de mener une vie sociale excessive. “Le gouvernement burundais n’envoie pratiquement aucun signal positif. Le dialogue a repris mais c’est un dialogue sourd”, explique le haut fonctionnaire de l’UE.
Le président illégitime, le Général Neva (alias Évariste Ndayishimiye) continue de véhiculer la même fausse image à l'époque donnée par Bochu d’un pays où règnent la paix et la sécurité. “Une image fallacieuse que tente de garantir en multipliant les manifestations de force dans le pays et, en particulier, à Bujumbura, où elles apparaissent davantage comme une tentative de garantir la sécurité de la caste au pouvoir, suscitant colère et peur dans les rangs de la population qui vit aujourd'hui une véritable psychose”, révèle le haut fonctionnaire de l’UE.

L’entretien avec le journal “La Libre” révèle une inquiétante militarisation du pays dictée par la peur de la junte militaire de perdre le pouvoir. Une crainte fondée étant donné qu’aucune amélioration économique n’a été obtenue, obligeant le régime à rester en selle uniquement par la terreur et la violence. Le mécontentement se répand partout, notamment parmi les masses Hutu dont le régime s'obstine encore à être le représentant en s’offrant un avenir idyllique sous le HutuPower (pouvoir aux Hutus) que la majorité des Burundais ne veulent de loin.
Le haut responsable de l’UE souligne que le régime doit maintenir une pression constante sur la population pour éviter les manifestations et les émeutes. Tous les agents de la police de la circulation portent des armes de guerre, le plus souvent des AK47, tandis que chaque convoi de notables (du président au maire de la ville) est escorté par au moins deux véhicules militaires lourdement armés. traverser la ville avec toutes les sirènes hurlantes, sans respecter le code de la route.

“Cela accroît le sentiment d’insécurité dans un pays de 12 millions d’âmes, qui compte 25 000 militaires – dont environ 7 000 sont en permanence dans de lucratives missions de maintien de la paix de l’ONU – 17 000 policiers et plusieurs milliers de miliciens Imbonerakure. Cela montre que le pouvoir ne fait confiance qu’aux organes officiels de défense, même limités. Perception également confirmée par le fait que ces milices sont de plus en plus nombreuses, de mieux en mieux armées et souvent entraînées directement par des cadres de l’armée qui n’hésitent pas à franchir la frontière congolaise – sans accord officiel – pour effectuer ces entraînements au Sud-Kivu”, explique-t-il le haut fonctionnaire de l’UE.

L’absence de progrès tangibles, notamment sur les questions du respect des droits de l’homme, de la démocratie et de l'État de droit, a renforcé la faction politique de l’UE qui s’était obstinément opposée à la levée des sanctions tout au long de l’année 2021. Face à l’évidente monstruosité du régime, la faction pro-démocratie au sein du Parlement européen a effectivement gelé les fonds européens destinés au Burundi.
Le gouvernement burundais, qui s’était réjoui depuis la levée des sanctions en février dernier, semble désormais avoir compris que la manne européenne n'arrivera pas de sitôt. “C’est la fin d’une forme de déni. Les autorités ont fait semblant de croire que l’argent coulerait sans effort et sans condition. Ce n’est pas le cas, les autorités l’ont compris et la colère monte chez les décideurs politiques”, confirme le journal La Libre une deuxième source européenne qui joue un rôle important rôle au Burundi.

Les révélations faites au journal belge sont destinées à exaspérer le Général Neva et ses camarades notamment parce que les alliés de la junte: la Russie et la Chine n’ont aucune intention de soutenir financièrement le régime, qu’ils jugent peu fiable. Les révélations mettent aussi l'ambassadeur Bochu, qui bénéficie encore du soutien français, en grande difficulté. Nos sources de Bujumbura rapportent que l’ambassadeur est entrain de perdre en
crédibilité au sein de l’UE et se serait mis dans une position délicate vis-à-vis du régime qui pourrait facilement lui creer des embarassantes chantages à cause de sa vie mondaine excessive.

Pendant ce temps, la principale opposition armée burundaise, le RED Tabara, opérant depuis le Congo voisin, a noué une alliance militaire et politique avec le mouvement 23 Mars – M23 qui a réactivé la rébellion contre le gouvernement de Kinshasa en conquérant divers territoires au Nord-Kivu, à l’est du pays. L’accord prévoit un soutien militaire au M23 contre l’armée congolaise en échange d’un futur soutien militaire du M23 pour la libération du Burundi.
La paix entre l’Ouganda et le Rwanda joue également contre la junte militaire burundaise. Les principaux acteurs politiques des deux pays: le Président ougandais Yoweri Kaguta Museveni, son fils le Général Muhoozi et le Président rwandais Paul Kagame sont tous tutsis et commencent certainement à considérer le régime fragile mais très violent de Gitega comme un problème à résoudre.

Fulvio Beltrami