Burundi. Lutte fratricide au sein de la junte militaire en attente d’argent de l’Union Européenne (Fulvio Beltrami)

L’Union Européenne a entamé en décembre dernier un processus de révision des sanctions économiques appliquées en 2016 contre le régime HutuPower du CNDD-FDD à la suite de graves violations des droits humains et de crimes contre la population. Ce processus de révision est lié à la possibilité d’un changement démocratique du CNDD-FDD et à l’espoir que le nouveau leader, le Général Neva (Alias Evariste Ndayishimiye), arrivé au pouvoir après l’assassinat du dictateur Pierre Nkurunziza, sera en mesure d’offrir une politique plus modérée et acceptable.

Le processus de révision devrait s’achever en novembre, date à laquelle la décision de reprendre le financement ou de maintenir les sanctions sera prise par le Parlement européen. La reprise des financements européens est d’une importance vitale pour le régime car ses partenaires internationaux : Russie, Chine, Turquie, ne vont pas au-delà du soutien politique au Conseil de Sécurité de l’ONU, des ventes d’armes et du vol de ressources naturelles. Le pays se retrouve avec une économie effondrée, il est donc de plus en plus difficile pour la junte militaire de gouverner la population au-delà des techniques habituelles de terreur et de répression.

La junte militaire, à travers le Président Ndayishimiye depuis janvier 2021, a tenté de donner une image d’ouvertures démocratiques. Malheureusement, ce processus de démocratisation n’a pas dépassé les aspects superficiels. Quelques enquêtes sur des administrateurs accusés de corruption, quelques miliciens Imbonerakure arrêtés, plusieurs promises de lutter contre la corruption et d’instaurer une bonne gestion administrative. La substance du régime ne change pas. Il s’appuie sur les milices paramilitaires Imbonerakure et les terroristes rwandais des FDLR. Il maintient la population soumise à la violence et à la terreur. Il procède à un pillage stupide des ressources nationales disponibles qui aggrave la crise économique du pays.

Au sein du CNDD-FDD, la lutte interne déjà commencée au cours des dernières années de Nkurunziza s’intensifie. On espérait que ce combat prendrait fin après que le Général Neva et le Premier Ministre Alain-Guillaume Bonyoni aient liquidé le dictateur Nkurunziza, afin de purger le volumineux et d’ouvrir le (faux) dialogue avec l’Union européenne pour réactiver les canaux de financement.

Au contraire, après l’assassinat de Nkurunziza, deux factions opposées ont été créées. Celle du Général Neva, qui entend mettre en œuvre une timide ouverture démocratique pour maintenir le pouvoir et diminuer la pression sur la population, et celle du Maréchal Général Bunyoni, représentant de la ligne dure et extrémiste du HutuPower.
Depuis son arrivée au pouvoir, Evariste Ndayishimiye a montré sa volonté de s’ouvrir pour contribuer à apaiser les relations tendues entre le Burundi et ses partenaires occidentaux. Mais cette initiative ne plairait pas au camp des faucons, auquel appartient son Premier Ministre Alain-Guillaume Bunyoni. L’intellectuel burundais David Gakunzi estime que ces différences sont avant tout formelles.

“Il y a d’un côté Evariste Ndayishimiye, dont le nom n’est pas mentionné dans les crimes de sang, qui voudrait normaliser les choses. Et de l’autre, il y a une aile du pouvoir qui voudrait continuer à régner comme elle l’a toujours fait. régné depuis 2015. disons de la terreur et de la prédation. Je dirais que c’est une différence plus dans la manière que dans le fond”, explique David Gakunzi.

Alain-Guillaume Bunyoni est l’une des figures les plus sinistres du régime CNDD-FDD. Ancien Directeur de la police, ancien Ministre de la sécurité, le Premier Ministre fait partie des dix personnalités burundaises contre lesquelles la Cour Pénale Internationale (CPI) a ouvert une enquête pour des soupçons de crimes contre l’humanité commis lors de la répression de ceux à qui ils se sont opposés le troisième mandat du Président Pierre Nkurunziza en 2015.
Le président des États-Unis d’alors, Barack Obama, a imposé des sanctions à quatre hauts responsables burundais pour leur responsabilité dans les violences contre l’opposition en 2015. Parmi eux se trouvait Alain-Guillaume Bunyoni, alors Ministre de la Sécurité Publique et, de fait, numéro 2 du régime de Nkurunziza.

Le Maréchal Général Bunyoni est impliqué dans divers cas de corruption et de détournement de fonds publics, notamment la faillite des sociétés parapubliques florissantes ONATEL (télécommunications) et REGIDESO (service public de l’eau), qui ont été détruites en détournant les bénéfices vers divers comptes privés de Bonyoni et de ses associés. Le Premier Ministre aurait également le contrôle des relations avec les sociétés minières internationales présentes dans le pays pour exploiter les gisements de terres rares et du nickel. A été la nécessité de bloquer l’activité minière de Bunyoni à l’origine de la décision du Général Neva de bloquer tous les contrats miniers en juillet dernier. La Grande-Bretagne, la Chine et la Russie sont parmi les pays les plus touchés par la mesure. En particulier la multinationale britannique Rainbow Rare Earths qui gère une mine de terres rares à Gakara.

Le train de vie du Premier Ministre ne dissipe certainement pas les soupçons de corruption. Des véhicules de luxe neufs, diverses villas présentées comme des joyaux de l’architecture moderne dans les quartiers les plus exclusifs de Bujumbura, des maitresses tres beaux mais très chères, des restaurants de luxe. Sa femme mène également une vie de reine, quelles que soient les dépenses.

Le courant Neva serait clairement minoritaire et toléré afin d’utiliser le “visage propre” d’Evariste Ndayishimiye pour pouvoir obtenir des financements européens. Bunyoni s’appuie sur les milices Imbonerakure et les terroristes rwandais des FDLR qui restent encore les seules forces de défense nationale valables des départements de la police et de l’armée nazies réticents à se battre pour la junte militaire. Ndayishimiye n’aurait le soutien ni des forces armées régulières ni des Imbonerakure et des FDLR. Il ne compte que sur le soutien relatif offert comme signe de distinction de l’Union européenne et des États-Unis.

Malgré le fait que la faction du Général Neva soit minoritaire, elle se montre déterminée à éliminer le courant des faucons en tentant de frapper son chef : le Maréchal Général Alain Guillaume Bunyoni. Entre août et septembre 2021, il y a eu une tentative de liquidation du Premier Ministre Bunyoni par empoisonnement. Le plan a cependant échoué, forçant Bunyoni à être hospitalisé à Singapour. À son retour, Bunyoni semble être devenu invisible. C’est la deuxième tentative d’assassinat de Bunyoni. La première s’est produite en octobre 2020, encore une fois par empoisonnement.

N’ayant pas réussi à éliminer Bunyoni, le Président Evariste Ndayishimiye a donné l’ordre d’assassiner sa sœur : Madame Chantal Hatungimana, brutalement assassinée lundi 20 septembre à son domicile de Bujumbura. Madame Hatungimana a occupé le poste important au Ministère de l’Intérieur en tant que responsable du rapatriement des réfugiés burundais à l’étranger. L’assassinat a été suivi d’un remaniement au sein du Mnistère de l’Intérieur pour diminuer le pouvoir et l’influence de Bunyoni.

Après les attentats des forces armées démocratiques: RED Tabara, qui ont également touché l’aéroport international de Bujumbura, la rivalité interne au sein de la junte militaire a connu une escalade inquiétante. La faction faucon a répondu à la tentative du Président Ndayishimiye de réduire le pouvoir écrasant de la milice paramilitaire Imbonerakure et d’éliminer Bunyoni en lançant une campagne d’attaques terroristes dirigée par les Imbonerakure. Depuis le 16 septembre, il y a eu 14 attaques à la grenade à main qui ont fait plusieurs dizaines de morts parmi les civils.

La police (partiellement sous le contrôle des terroristes rwandais des FDLR) est incapable de répondre de manière adéquate et les miliciens Imbonerakure ont de facto carte blanche. Ils décident quand et où mener les attaques qui atteignent toutes les objectifs fixés. Lors de la dernière attaque à Bujumbura il y a deux jours, un milicien Imbonerakure a été arrêté. Malheureusement, l’aile des faucons a réussi à l’assassiner en prison pour l’empêcher de fournir des informations importantes.

La tentative du régime de cacher cette escalade de la violence interne en blâmant l’opposition pour les attaques a échoué. Tout le monde au Burundi sait que les auteurs des attaques sont les miliciens Imbonerakure et la réalité est désormais évidente même pour la communauté internationale, au grand embarras de la faction Pro Burundi au sein de l’Union Européenne.

Parallèlement à la lutte interne du CNDD-FDD, une nouvelle campagne d’arrestations massives a été lancée par la police politique appelée “Documentation” visant les opposants hutus au CNL du leader Aghaton Rwasa et contre la minorité tutsie. Dans les rues de Bujumbura, Gitega, Ngozi et d’autres villes, il y a des pick-up de la police politique sans plaques avec des dizaines d’interpellés à bord. On soupçonne que la plupart d’entre eux sont éliminés par la suite.

« La violence pratiquée par le régime contre la société est désormais dirigée contre le régime lui-même », note l’intellectuel David Gakunzi. “Nous devons comprendre que nous sommes confrontés à un régime qui a fait de la violence le seul moyen de gouverner. Au sein de ce régime, il n’y a pas de gens éclairés qui veulent une vraie réforme. Il y a des lobbies politiques économiques qui se battent pour la suprématie absolue”, explique Gakunzi.
L’analyse de Gakunzi correspond à la réalité, qui était visible depuis la composition du gouvernement après les élections frauduleuses de mai 2020 qui ont désigné Evariste Ndayishimiye comme vainqueur. Bunyoni a été nommé Premier Ministre, un poste supprimé au cours des 20 dernières années, en tant que contre-pouvoir du président. Le Général Gervais Ndirakobuca, ancien chef du redouté SNR (Service National de Renseignement) a été nommé Ministre de l’Intérieur, du Développement Communautaire et de la Sécurité Publique. Ndirakobuca était al centre du système répressif de 2015 à 2019 et fait l’objet de sanctions de la part des États-Unis, de l’Union Européenne et de autres pays européens depuis cinq ans.

L’Ambassadeur du Burundi auprès des Nations Unies, Albert Shingiro, partisan bien connu de la solution finale contre la minorité tutsie, a été nommé Ministre des Affaires étrangères et de la Coopération au Développement. Révérien Ndikuriyo, 100% Hutupower qui contrôle la milice Imbonerakure et les relations avec les terroristes rwandais des FDLR, nommé Secrétaire Général du parti CNDD-FDD.

Avec la nomination des durs et des purs, le CNDD-FDD a consolidé sa domination sur les institutions et le pays. Les auteurs de la crise politico-militaire de 2015, après avoir éliminé leur chef, alternent mesures de répression sanglantes et proclamations de tolérance et d’ouverture démocratique. Un NON-CHANGEMENT facile à comprendre au-delà des petites actions réformatrices lancés à la communauté internationale.

Une réalité facile de comprendre pour tout le monde à l’exception de l’Union Européenne qui, à travers son représentant à Bujumbura : l’Ambassadeur Claude Bochu, propose encore une réalité du Burundi où prévaudrait la volonté de réformes démocratiques et d’un climat « apaisé ». Une réalité très utile pour abroger les sanctions économiques mais contestée au sein du Parlement européen. Divers observateurs commencent à remettre en cause l’impartialité de l’Ambassadeur Bochu, en raison de diverses déclarations privées sur les réseaux sociaux qui soulignent une implication personnelle et une amitié envers les leaders de la junte militaire.

« La reprise de la guérilla RED Tabara et la lutte interne du CNDD-FDD menée à coups de grenades à main et d’assassinats d’État, montrent que le Burundi est loin du climat de quiétude et de réformes démocratiques que le régime affiche à l’extérieur. Le parti de l’aigle à la machette (symbole du CNDD-FDD NDT) est déjà dans la balance. Le Burundi revient au bord de l’implosion », conclut l’intellectuel David Gakunzi.

Fulvio Beltrami