Capitaine Tomas Sankara. Le Che Guevara Africain (Fulvio Beltrami)

«Les révolutions qui se déroulent dans le monde ne se ressemblent pas. Chaque révolution apporte son originalité qui la distingue des autres. Notre révolution, la révolution d’août n’échappe pas à cette règle ». Cette phrase a été prononcée par le Président des Hommes Intègres, Thomas Sankara, le 02 octobre 1983, deux mois après la Révolution d’Août lorsqu’il a limogé, avec d’autres jeunes officiers, le Général Jean-Baptiste Ouédraogo au pouvoir depuis novembre 1982.

Thomas Shankara devient le nouveau Président du « Pays des Hommes Intègres » (traduction du Burkina Faso) en annulant le nom colonial du pays : Haute-Volta, imposé par les Français. Sa présidence a duré 3 ans et 72 jours lorsque le 15 octobre 1987, il a été tué par un groupe armé avec douze autres responsables lors d’un coup d’État organisé par son ancien compagnon d’armes et ami personnel: Blaise Compaoré qui s’est nommé président à vie.

Aujourd’hui à Ouagadougou se dresse une immense statue à son effigie, des guirlandes de fleurs sont posées à quelques mètres, à l’endroit exact où, le 15 octobre 1987, le jeune Président a été assassiné. Une inscription, qui résume la politique de Sankara, dit: “Quand le peuple se lève, l’impérialisme tremble”. 34 ans après ce drame, l’homme, considéré par tous les Africains comme le Che Guevara du Burkina Faso, inspire toujours la jeunesse du continent, et plusieurs partis politiques burkinabés revendiquent son héritage.

Né en 1949 dans le nord du pays, le jeune Thomas Sankara a grandi dans une famille très militante : son père est un vétéran et un militant nationaliste. A 12 ans, il assistera à la décolonisation de son pays. Après avoir obtenu son diplôme, Thomas Sankara se consacrera à la lutte. Il a quitté le pays pour suivre une formation militaire à l’étranger, notamment à Madagascar. Après un coup d’État en novembre 1980, le nouveau chef de l’État, le Colonel Saye Zerbo, lui confie le poste de secrétaire d’État à l’Information. Ses idées progressistes lui ont fait claquer la porte du gouvernement un an et demi plus tard. Mais il revient avec la Révolution d’Août 1983, placé à la tête du pays.

Un Président attaché à ses idéaux. Sportif et élancé, souriant et coquet, le jeune leader porte toujours son uniforme militaire et porte à sa ceinture un pistolet à crosse en nacre offert par le leader nord-coréen Kim Il-Sung. Vivant modestement avec sa femme et ses deux enfants dans un palais présidentiel délabré, il n’a que sa guitare et une Renault 5 d’occasion. Sa politique est volontariste et menée d’une main de fer. La population est surveillée par les Comités de Défense de la Révolution (CDR) et sanctionnée par les Tribunaux Populaires Révolutionnaires (TPR).

Si l’on analyse le programme politique et les succès remportés par le Che Guevara africain, on comprend que les craintes de Paris et de Washington étaient fondées.
Immédiatement après la Révolution d’Août, Sankara a lancé une campagne pour réduire les dépenses publiques et une lutte drastique contre la corruption et contre les privilèges des politiciens et des militaires. Parmi les mesures, la vente de toutes les très chères Mercedes fournies aux Ministres et Généraux pour les remplacer par des Renault 5 moins chère, des vols diplomatiques en classe touriste et des salaires n’excédant pas 450 dollars par mois.

Le programme politique de Sankara consistait principalement à améliorer les conditions des femmes. Sankara a assigné à de nombreuses femmes le rôle de Ministre et des haut postes militaires, ce qui est rare en Afrique encore aujourd’hui. Il les a encouragées à se rebeller contre le machisme et à rester à l’école si elles étaient enceintes. Sankara a été le premier Président africain à mettre en garde la population contre le sida, invitant ses compatriotes à utiliser des contraceptifs pour éviter toute séropositivité. Il a aboli la polygamie et interdit l’infibulation, pratiques largement répandues et tolérées dans toute l’Afrique.

L’attention portée à la prostitution est importante. Sankara a estimé qu’il était important de ne pas punir ou incarcérer les prostituées comme cela se produisait dans de nombreux pays africains, mais de les aider à échapper à la situation d’esclavage physique dans laquelle elles se trouvaient, en leur donnant un véritable emploi. Il précise ce programme dans le télex envoyé au Congrès mondial des prostituées, le 2 décembre 1986.
Sankara est devenu l’avocat et le promoteur d’une rupture totale avec la tradition, qui voyait les soldats et surtout les positions de l’armée en position d’avantage évident sur le peuple. L’un de ses premiers gestes fut d’impliquer l’armée dans la production agricole et industrielle. La formation militaire, qui a été réduite de 18 à 12 mois, a été mise en œuvre dans des fonctions d’utilité sociale qui ont occupé les 3/4 du temps total des soldats et des officiers.

La création de poulaillers et de fermes gérées par les militaires au service de la population a conduit à un succès économique qui a garanti une amélioration de l’autosuffisance alimentaire du pays, et une baisse significative des prix sur le marché de la viande blanche, des céréales, des fruits et légumes pour la population civile. Il y avait aussi une forte augmentation de la culture de la pomme de terre, au point de surproduction.
Sankara a senti l’importance des seules ressources réelles: le coton, les légumes, les légumineuses, les agrumes et le bétail (ainsi qu’une bonne quantité d’or, qui ne sera cependant découvert que pendant la dictature de son ancien ami et assassin : Blaise Compaoré ). Ancrée dans la politique économique de Lénine, la NEP a rejeté le modèle stalinien adopté par divers autres pays du « socialisme réel » africain, empêchant le Parti de devenir l’État et le maître de l’économie nationale. Au contraire (et en cohérence avec les NEP de Lénine) il a décidé de donner une impulsion aux petites entreprises, à mi-chemin entre l’artisanat et l’industrie.

Sankara n’était pas contre la propriété privée et voulait donner de l’importance à l’entreprise privée, tant qu’elle ne s’imposait pas à la souveraineté populaire. Il était bien ouverte à tous investisseurs étrangers, comme la Suisse, qui voulaient s’associer avec des particuliers ou le gouvernement du Burkina. Les principales collaborations concernaient le fromage (lait) et les tomates pour les sauces et les tomates pelées en conserve, mais il y avait un certain nombre d’autres possibilités économiques infinies.

Sankara a travaillé dur pour faire baisser les prix et mettre à disposition de la population de nombreux types de produits habituellement réservés aux élites bourgeoises. Il a promu le développement du logement social car “un être humain ne peut être contraint de vivre dans un hangar métallique ou dans une hutte de paille et de boue pour permettre à une poignée d’exploiteurs de vivre dans des villas pharaoniques”, refusant le concept du logement social soviétique. D’immenses copropriétés déshumanisantes n’ont pas été construites mais des maisons modestes mais familiales dans le plein respect de l’environnement, assurés par des plans d’urbanisme rigoureux.

L’une des principales raisons de la pauvreté du Burkina était sa dépendance vis-à-vis des importations étrangères. Et pour la plupart, il s’agissait de produits de luxe inutiles, n’ajoutant que dette sur dette. Sankara a donc promu une campagne contre le matérialisme et le consumisme capitaliste pour inciter les gens à être fiers de ce qu’ils avaient, sans avoir honte de montrer au monde que le Burkina Faso était un pays pauvre qui aspirait non pas à la richesse mais au bien-être inclusif de tous sa population. Il s’agissait surtout de porter préjudice à la puissante petite-bourgeoisie moyenne qui contrôlait ces marchés.

Sur le modèle des Soviétiques, Sankara a promu la participation populaire à travers les Maisons du Peuple qui géraient l’administration quotidienne des villages, des quartiers et des villes pour améliorer la vie des Burkinabè et lutter contre les petites et grandes injustices et crimes. Les Chambres du peuple participent également à la vie juridique en créant un tribunal présidé par un juge de carrière, deux juges choisis parmi le peuple, un militaire et quatre membres des comités de défense de la révolution. Les gens pouvaient assister aux procès en y assistant en public et en participant au débat. Le climat a été allégé par la distribution de boissons et de collations par les petits commerçants locaux.
Célèbre fut le procès de Saye Zerbo, ancien Président de la Haute-Volta, pour détournement de fonds. L’énorme somme, 427 millions de francs, a mystérieusement disparu des comptes de l’État pendant son règne. Zerbo sera condamné à quinze ans de prison et à rembourser la totalité de la somme en confisquant avoirs et biens. Un ancien Ministre du gouvernement, impliqué dans une énorme entreprise viticole, sera également condamné. Les procès étaient principalement liés à des scandales financiers et à des soustractions aux affaires publiques.
Chaque représentant du peuple, y compris les ministres et les hauts fonctionnaires, était tenu de déclarer ses dépenses.
L’effort pour faire participer tous les Burkinabés à la révolution a été réalisé en leur permettant d’entrer dans les locaux de la radio nationale le matin pour parler en direct, critiquer son gouvernement et proposer des idées. Un circuit de radio rurale a été développé pour diffuser des programmes d’alphabétisation et de sensibilisation agricole.

Sankara attache une grande importance à la coopération internationale, mais estime qu’elle doit être réformée. Il critiquait les économistes et les bureaucrates, qui en échange de la consultation des États se faisaient payer à pois d’or. La révolution a refusé l’aide des agences de l’ONU et des ONG occidentales qui ont été utilisées pour acheter les produits des donateurs et ouvrir des comptes bancaires en Occident, entrant en conflit à plusieurs reprises avec des puissances telles que les États-Unis d’Amérique et la France.

En politique étrangère, Sankara a promu tous les mouvements démocratiques en Afrique, soutenu sans réserve la population palestinienne sans jamais tomber dans l’antisémitisme et défendu le droit des peuples d’Amérique Centrale, principalement du Nicaragua, à défendre contre l’impérialime « yankee » Quand, en 1985, l’Ambassadeur américain « a suggéré » à Sankara de ne plus dénoncer les attentats en Amérique Centrale pour éviter de contrarier Washington, le Président a répondu par un non catégorique.
Ses relations avec l’ancienne puissance coloniale française et plusieurs pays voisins, dont la Côte d’Ivoire de Félix Houphouët Boigny et le Togo de Gnassingbé Eyadéma, ont été tendues tout au long de son mandat.
L’invitation aux pays africains à ne pas payer leur dette aux pays occidentaux, la dénonciation des guerres « impérialistes » des Nations Unies, déguisées en missions de paix, de l’apartheid en Afrique du Sud, la défense du droit des Palestiniens à l’autodétermination, ils ont poussé la France et les États-Unis à décréter sa mort en utilisant leur fantoche: Compaoré.

“Ils ont assassiné Thomas Sankara parce qu’il dérangeait pour le bien de son peuple, de son pays e de l’Afrique entière. On avait peur que ses idées se répandent dans toute l’Afrique et au-delà”, a déclaré à France Info Richard Tiéné, auteur du documentaire “Sankara, l’humain”.

En quatre ans de règne de Thomas Sankara, au Burkina Faso, ils étaient :
2 500 000 enfants vaccinés contre la rougeole, la fièvre jaune, la rubéole et la fièvre typhoïde. L’Unicef lui-même a complimenté le gouvernement.

Postes de santé primaires créés dans tous les villages du pays.

Augmentation du taux d’alphabétisation de 86 %.
258 bassins d’eau créés. 1 000 puits creusés et 302 forages commencés. 334 écoles, 284 maternités, 78 pharmacies, 25 entrepôts alimentaires et 3 000 logements sociaux ont été construits. Terrains de sport construits dans presque tous les 7 000 villages du Burkina Faso.

Les programmes de transports publics ont commencé.
Les coupes abusives d’arbres, les incendies de sous-bois et l’errance des animaux ont été combattus.

Baisser les frais de scolarité de 10 000 à 4 000 francs pour le primaire et de 85 000 à 45 000 pour le secondaire.
Créer des unités et des infrastructures de traitement, de stockage et d’élimination des produits avec une construction aéroportuaire pour mettre en place un système de vases communicants grâce à l’utilisation d’une partie des résidus agricoles pour l’alimentation.
Créé l’Union des Femmes du Burkina (UFB), l’Union Nationale des Personnes Agées du Burkina (UNAB), l’Union des Paysans du Burkina (UPB) et évidemment les Comités de Défense de la Révolution (CDR), qui bien qu’initialement aient enregistré quelques les cas d’insurrection devinrent bientôt l’épine dorsale de la vie sociale.

Aux lecteurs nous proposons un excellent film documentaire sur le Che Guerava africain : Le Capitaine Thomas Sankara.