Congo : Tshisekedi forme un gouvernement de techniciens avec une forte composante féminine pour sauver le pays (Fulvio Beltrami)

Le président congolais Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo a nommé le nouveau gouvernement après avoir consommé la crise politique avec l’allié politique gênant: l’ancien dictateur Joseph Kabila et son parti: le Parti Populaire pour la Reconstruction et la Démocratie (PPRD). Le gouvernement est composé pour la majorité de techniciens hautement qualifiés avec une forte présence féminine. Pas moins de 15 femmes à la tête de ministères clés pour le pays sur un total de 57 ministres. Ils occupent donc 27% des postes et nous ne sommes pas loin de l’objectif de 30% annoncé par le chef de l’Etat. Cependant, il convient de noter que la majorité des femmes ministres occupent des postes straté

giques.

Tshisekedi avait formé une alliance avec l’ancien dictateur après les élections controversées de décembre 2018. Des élections qui devaient se tenir en 2016 mais continuellement reportées par le dictateur, déclenchant une juste révolte populaire à laquelle le clergé catholique s’était joint en versant un horrible hommage de sang. Le nouveau président critiqué pour cette alliance inhabituelle à l’époque avait déclaré à ses partisans: «Je sais ce que je fais. Vous verrez bientôt les résultats ». Tshisekedi était conscient que l’éviction du dictateur, arrivé au pouvoir en janvier 2001 après avoir participé à l’assassinat de son père: le président Laurent Désiré Kabila, revenait à plonger le Congo dans la guerre civile.

L’alliance avec Kabila et le PPRD s’est avérée être une tactique gagnante. Tshisekedi a érodé le pouvoir du régime précédent par étapes bien étudiées jusqu’à ce qu’il soit finalement évincé en février dernier. Les principales armes étaient: la lutte contre la corruption; les offensives militaires contre les terroristes rwandais FDLR, (principaux partenaires commerciaux de Kabila sur le marché noir des minerais dans l’est du pays); des alliances avec les gouverneurs de province pour diminuer le contrôle exercé sur eux par Kabila; le contrôle de la seule multinationale congolaise: la Gécamines, désormais en charge de la gestion de l’immense richesse minérale congolaise.

En formant le nouveau gouvernement, principalement technique avec une forte composante féminine, Tshisekedi a également envisagé des alliances stratégiques avec des politiciens influents de l’opposition, dont le milliardaire et ancien chef de guerre: Jean-Pierre Bemba. La société civile a également été fortement impliquée. Deux femmes leaders de la société civile ont été nommées respectivement Ministre de la Justice et Ministre des Mines. Le choix d’incorporer les dirigeants de la société civile vise à obtenir le consensus et le soutien de l’Église Catholique et des Protestants qui ont en fait créé la société civile congolaise.
Voyons qui sont les femmes placées aux commandes de la nation africaine la plus riche dévastée par une myriade de guerres civiles pour le contrôle des ressources naturelles.

Eva Bazaiba, 55 ans, bras droit de Jean-Pierre Bemba, est nommée Vice-Premier Ministre et collaborera avec Sama Ludonde Kyenge, le Premier Ministre congolais, ancien directeur de la Gécamines, respecté internationalement. Eva Bazaiba est la Secrétaire Générale de l’ancien mouvement de guérilla MLC (Congo Liberation Movement) de Bemba allié à l’Ouganda pendant la Seconde Guerre Panafricaine (1997-2004) qui a abandonné la lutte armée pour la lutte politique.

Bazaiba a commencé sa carrière politique dans les années 1990, aux côtés d’Etienne Tshisekedi (père de Félix et opposant historique depuis l’époque du dictateur de Zaure: Mobutu Sese Seko), alors chef de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS). Elle a ensuite rejoint le MLC de Bemba en 2006. Féroce opposant à Joseph Kabila, Bazaiba est l’un des rares cadres du parti à ne pas avoir tourné le dos à Jean-Pierre Bemba lorsqu’il a été arrêté par la Cour Pénale Internationale (CPI) à pour crimes de guerre en République Centrafricaine. Les accusations se sont avérées non fondées, ce qui a conduit au acquittement de Bemba qu’il est retourné au Congo en 2019 pour recommencer la lutte dans la chaotique e compliquât arène politique congolais.

Eva Bazaiba n’est pas une Vice-Première Ministre de façade juste pour plaire aux Occidentaux qui se soucient tant du «genre». Le portefeuille reçu est impressionnant. Eva est chargée de doter le pays d’une véritable politique environnementale: de la protection de la flore et de la faune des nombreuses forêts vierges et parcs nationaux (menacé par les travaux de déforestation menés par les entreprises chinoises d’exportation de bois), à la remise en état des mines désaffectées. De la gestion des déchets urbains et industriels à la promotion des énergies alternatives et renouvelables. Eva Bazaiba a déclaré qu’elle soutenait l’ONG Greenpeace Afrique qui avait exhorté il y a deux jours le président Tshisekedi à faire appliquer le moratoire sur les nouvelles concessions forestières industrielles, “violé sans scrupules et à plusieurs reprises par son prédécesseur, en complicité avec des entreprises chinoises et congolaises”.

Adèle Kahinda hérite du Ministère du Portefeuille
Moins connue qu’Eve Bazaiba, Adèle Kahinda hérite d’un Ministère stratégique, celui du Portfolio qui est également chargé de nommer les dirigeants d’entreprises publiques dont la Gécamines ou la Société Nationale des Chemins de Fer du Congo (SNCC). Adèle Kahinda est un pilier de l’Alliance des Forces Démocratiques du Congo (AFDC), le parti du célèbre opposant Modeste Bahati Lukwebo, qui a activement collaboré pour former une nouvelle majorité parlementaire en faveur de Tshisekedi après le divorce avec Kabila. Maintenant, le Ministre d’Etat, Adèle Kahinda, devra formuler des propositions pour transformer les entreprises publiques congolaises en entreprises continentales modernes et productives en luttant contre la corruption et en ouvrant les portes aux investisseurs privés.
Rose Mutombo Kiese a été placée à la tête du Ministère stratégique de la Justice. Rose a été la présidente du Cadre Consultatif Permanent pour les Femmes Congolaises (Cafco), une importante plate-forme pour la défense des droits des femmes en RDC créée en février 2005 à la suite du dialogue inter congolais à Sun City qui a sanctionné la paix et terminée à la deuxième guerre pan – africaine. Eva, qui occupait auparavant le poste de conseiller général du Conseil d’Etat, remplace le ministre corrompu et inefficace de Kabila: Célestin Tunda Ya Kasende. Rose est chargée de remettre la justice sur pied, de lutter contre la corruption et d’initier des réformes pour protéger le pouvoir judiciaire de l’ingérence politique. Rose devra également suivre le dossier très délicat de l’assassinat de l’Ambassadeur italien Luca Attanasio.

Antoinette N’Samba a été placée au délicat Ministère des Mines. Comme Rose est une figure importante de la société civile congolaise, connue pour avoir publié en 2016 un ouvrage qui remet en question l’indépendance de la commission électorale. Antoinette était à l’avant-garde des manifestations populaires balayées en 2016 pour empêcher Joseph Kabila de rester au pouvoir au-delà de la fin de son deuxième mandat.
Désormais à la tête d’un secteur stratégique en RDC, Antoinette N’samba Kalambayi devra faire face à de nombreux défis: lister les permis de recherche qui, contournant la législation, ne se transforment jamais en permis d’exploitation; assurer le rapatriement de la part en devises des exportations, comme l’exige le code minier révisé; titrier les dépôts pour rechercher des financements sur les marchés financiers; obliger les opérateurs miniers nationaux et étrangers et apporter une réelle contribution au développement des communautés dans les zones minières.

Il devra également réhabiliter et réorganiser les petits propriétaires de mines artisanales qui représentent plus de 50% de la production d’or et de coltan dans l’est du pays. Ces mines artisanales ont toujours été sous le contrôle du groupe terroriste rwandais FDLR et d’autres petits groupes armés. Il est clair qu’Antoinette ne pourra engager cette réorganisation des mines artisanales qu’après que les forces armées auront libéré les provinces du Nord et du Sud Kivu des terroristes et des gangs armés.

Aminata Namasia, Vice-Ministre de l’Éducation. Animata, 28 ans, est la plus jeune femme de ce nouveau gouvernement à tenir l’une des promesses clés du président Tshisekedi, à savoir une éducation de base gratuite et de qualité. Le Congo (anciennement Zaïre) était réputé pour le haut niveau de ses écoles, de l’élémentaire à l’université, et la population congolaise connue comme la plus éduquée de toute la région des Grands Lacs. La chute du dictateur Mobutu, deux guerres civiles, la guerre constante de faible intensité dans les provinces de l’Est et la corruption des gouvernements de Kabila ont complètement détruit l’éducation. Aujourd’hui, environ 40% de la population est semi-analphabète.

A’ la Défense est nommée Séraphine Kilubu Kutuna, Véronique Kilumba Nkulu Vice-Ministre de la Santé et Irène Esambo, Vice-Ministre des Affaires Sociales et des Actions Humanitaires. Les autres femmes en charge du pays sont: Nana Manuanina Kihumba Ministre du Président de la République; Nicole Bwatshia Ntumba, Chef d’Etat-Major Adjoint en charge des questions politiques, juridiques et diplomatiques; Anne-Marie Karume Bakaneme (Relations avec le Parlement), Gisèle Ndaya Luseba (Genre, Famille et Enfants), Antoinette Kipulu (Formation Professionnelle), Catherine Katumbu Furaha (Culture) et Ndusi Ntembe (Emploi, Travail et Sécurité Sociale).

Avec ces femmes calibre 90, le président Félix Tshisekedi entend sauver le pays. Les défis sont nombreux: renforcement de la démocratie, réforme de la commission électorale, sécurité, lutte contre la corruption, au fraude et évasion fiscale, revitalisation économique, amélioration des infrastructures, des transports, de l’éducation, de la santé, du logement, de l’eau et de l’électricité, de l’agriculture, des mines, des secteurs industriel, agro-industriel et tertiaire, réforme de l’administration publique.
Cependant, la renaissance du Congo devra passer par un autre conflit militaire pour libérer les provinces orientales des terroristes rwandais des FDLR et de 142 autres groupes armés mineurs, dont beaucoup sont de simples bandits. L’objectif de restauration de l’état de droit à l’est n’aura de grandes chances de succès que grâce à la collaboration avec les Casques Bleus de la MONUSCO et les armées de l’Angola, du Rwanda et de l’Ouganda. Des accords à cet effet sont déjà en cours.

Tshisekedi est conscient qu’il faudra payer le prix du sang mais, promet-il, il sera limité et l’attention des forces armées sera de protéger les civils. Une lutte acharnée aux FDLR et à d’autres groupes armés. Pas de prisonniers. Un sérieux avertissement aux pays voisins alliés de ces terroristes, tout d’abord le Burundi. Malheureusement, l’offensive des terroristes FDLR rwandais sur la Masisi, au Nord-Kivu, et les violentes manifestations contre les soldats de la paix de l’ONU qui se sont transformées en conflit interethnique à Goma et Beni représentent une menace pour le plan de relance de Tshisekedi au Congo. Tant que les provinces orientales du pays ne seront pas complètement débarrassées des gangs armés, ce renouveau politique, sociale et économique devra être reporté.

Fulvio Beltrami