En Europe, l’Église doit quitter les sacristies. Le Pape aux évêques du Vieux Continent: “retour à la vision des fondateurs”

“Aidons l’Europe d’aujourd’hui, malade de fatigue”, fuyant la “tentation de rester à l’aise dans nos structures, dans nos maisons et dans nos églises, dans la sécurité donnée par les traditions, dans l’accomplissement d’un certain consensus, alors que tout autour de la les temples se vident et Jésus est de plus en plus oublié”. C’est le message du Pape François aux évêques européens réunis à Rome pour l’Assemblée qui élira le successeur d’Angelo Bagnasco à la présidence du CCEE. L’invitation du Pape est très claire : “quitter la commodité de l’immédiat et revenir à la vision clairvoyante des pères fondateurs”, qui “ne cherchaient pas le consensus du moment, mais rêvaient de l’avenir de chacun”. “Cela vaut aussi pour l’Église. Pour la rendre – a-t-il expliqué – belle et hospitalière, il faut regarder ensemble vers l’avenir, pas restaurer le passé”.

“Combien de personnes n’ont plus faim et soif de Dieu!”, s’est exclamé François depuis la basilique Saint-Pierre: « Non pas parce qu’ils sont mauvais, non, mais parce qu’il n’y a personne qui leur donne appétit de foi et ravive cette soif qui existe. c’est dans le cœur de l’homme: cette “soif concréée et perpétuelle dont parle notre père Dante et que la dictature du consumérisme, légère mais suffocante, tente d’éteindre”. “Beaucoup sont amenés à ne ressentir que des besoins matériels, pas le manque de Dieu”. “Et nous nous en soucions certainement, mais à quel point nous en soucions-nous vraiment? Il est facile de juger ceux qui ne croient pas, il est commode d’énumérer les raisons de la sécularisation, du relativisme et de bien d’autres ‘ismes’, mais au final c’est stérile. La Parole de Dieu nous amène à réfléchir sur nous-mêmes : ressentons-nous de l’affection et de la compassion pour ceux qui n’ont pas eu la joie de rencontrer Jésus ou l’ont perdue ? Sommes-nous calmes parce qu’au fond nous ne manquons de rien pour vivre, ou avons-nous hâte de voir tant de frères et sœurs loin de la joie de Jésus?”.

“Le manque de charité cause le malheur, car seul l’amour satisfait le cœur”, a ajouté François, mettant en garde contre l’autoréférentialité d’une Église qui ne sait pas être extravertie, car elle a perdu “le goût de la gratuité”.
“Cela peut aussi être notre problème”, a suggéré le Pape: “se concentrer sur les différentes positions dans l’Église, sur les débats, les agendas et les stratégies, et perdre de vue le vrai programme, celui de l’Évangile : l’élan de la charité, l’ardeur de gratuité. La sortie des problèmes et des fermetures est toujours celle d’un cadeau gratuit. Il n’y en a pas d’autre”.

“Je voudrais vous remercier – a ajouté le Pape – pour ce travail de reconstruction pas facile. Merci pour ces 50 premières années au service de l’Eglise et de l’Europe”, l’hommage au Ccee. “Nous sommes appelés par le Seigneur à une œuvre splendide, à travailler pour que sa maison soit toujours plus accueillante, pour que chacun puisse y entrer et y vivre, pour que l’Église ait ses portes ouvertes à tous et que personne ne soit tenté de se concentrer seulement en regardant et en changeant les serrures”, était la recommandation du Pape, qui nous exhortait à agir comme “les grands reconstructeurs de la foi du continent”, comme Martin, François, Dominique, Pio dont nous nous souvenons aujourd’hui ; à des mécènes tels que Benoît, Cyrille et Méthode, Brigitte, Catherine de Sienne, Teresa Benedetta de la Croix. Ils ont commencé par eux-mêmes, en changeant leur vie en acceptant la grâce de Dieu, sans se soucier des temps sombres, des adversités et de certaines divisions, qui ont toujours existé. Ils n’ont pas perdu de temps à critiquer et à blâmer. Ils vivaient l’évangile, indépendamment de la pertinence et de la politique. Ainsi, avec la douce puissance de l’amour de Dieu, ils ont incarné son style de proximité, de compassion et de tendresse, et ont construit des monastères, récupéré des terres, restauré l’âme des gens et des pays: pas de programme social, seulement l’Evangile”.

“Chaque reconstruction se fait ensemble, au nom de l’unité. Avec les autres. Il peut y avoir des visions différentes, mais l’unité doit toujours être préservée. Car, si nous gardons la grâce de l’ensemble, le Seigneur construit aussi là où nous ne pouvons pas”. Dans la dernière partie de l’homélie, François dessine le visage de la communion ecclésiale. “C’est notre appel”, a-t-il rappelé aux personnes présentes: “d’être Église, un seul Corps parmi nous. C’est notre vocation, en tant que Bergers : rassembler le troupeau, ne pas le disperser et même pas le conserver dans de beaux enclos fermés”.

“Reconstruire, c’est devenir artisans de communion, tisseurs d’unité à tous les niveaux : non pas pour la stratégie, mais pour l’Evangile”, a enfin souligné le Pape. “Beaucoup en Europe pensent que la foi est quelque chose de déjà vu, qui appartient au passé”. “Pouquoi? Parce qu’ils n’ont pas vu Jésus à l’œuvre dans leur vie. Et souvent, ils ne l’ont pas vu parce que nous ne l’avons pas assez montré dans nos vies. Parce que Dieu se voit dans les visages et les gestes des hommes et des femmes transformés par sa présence. Et si les chrétiens, au lieu de rayonner la joie contagieuse de l’Évangile, proposent à nouveau des schémas religieux éculés, intellectualistes et moralisateurs, on ne voit pas le Bon Pasteur. Il ne reconnaît pas Celui qui, amoureux de chacune de ses brebis, l’appelle par son nom et la cherche pour la mettre sur son épaule. Il ne voit pas Celui dont nous prêchons l’incroyable Passion, précisément parce qu’Il n’a qu’une passion : l’homme. Cet amour divin, miséricordieux et bouleversant est la nouveauté éternelle de l’Évangile”. D’où la nécessité de “choix sages et audacieux, faits au nom de la folle tendresse avec laquelle le Christ nous a sauvés” : car l’Évangile, a expliqué le Pape, “ne nous demande pas de démontrer, mais de montrer Dieu, comme les saints : pas avec des mots, mais avec la vie. Il demande la prière et la pauvreté, il demande la créativité et la gratuité”.