Ethiopie. La guerre civile risque de devenir un autre conflit éternel oublié du tiers-monde

La récente offensive du régime fasciste d’Amhara a contraint les forces démocratiques à se retirer. Le TPLF retourne au Tigré et l’Armée de Libération Oromo en Oromia. C’est grâce aux quelque 120.000 soldats érythréens envoyés par le dictateur Isaias Afwerki et à l’utilisation massive de drones de combat gracieusement offerts par la Chine, les Émirats arabes unis, l’Iran et la Turquie.

Le conflit éthiopien touche donc à sa fin avec la victoire finale du régime Amhara ? Pas du tout!

« Il n’y aura pas de trêve ni de pourparlers de paix à moyen terme. Le gouvernement du Parti de la Prospérité, aveuglé par cette victoire, entend désormais anéantir l’ennemi. Le TPLF et l’OLA ne désarmeront pas malgré leurs reculs. Le TPLF est conscient que se désarmer est équivalent à offrir aux gouvernements érythréen et éthiopien la possibilité d’envahir le Tigré dès le lendemain. Je ne pense donc pas que le désarmement soit une perspective pour le TPLF et l’OLA. S’ils le font, ce serait comme renoncer à protéger leurs propres populations », explique Tekalu Gebremichael, un écrivain éthiopien qui documente en continu la terrible guerre civile éthiopienne depuis novembre 2020. Tekay a récemment été qualifié par le régime de « terroriste actif » en attente de justice.

La paix ne sera pas atteinte pour Noël ou Gennà (Noël éthiopien du 6 au 7 janvier) de cette année ou de l’année prochaine. L’Éthiopie est en train de devenir une autre guerre du Tiers-monde oubliée en raison de la volonté de toutes les parties éthiopiennes impliquées d’obtenir la victoire finale, de l’incapacité de la communauté internationale à les forcer à s’asseoir à la table des négociations et à arrêter le génocide au Tigré, et l’internationalisation du conflit éthiopien.

Comme en Syrie et au Yémen, deux blocs opposés se sont formé autour de la guerre civile éthiopienne qui soutiennent les belligérants pour protéger leurs intérêts géostratégiques et économiques, prolongeant indéfiniment le conflit. D’un côté, nous avons la Chine, les Émirats Arabes Unis, l’Iran, la Russie et la Turquie qui soutiennent directement le régime fasciste Amhara et le dictateur érythréen Afwerki avec des armes, des munitions, une protection politique aux Nations Unies, accordent des prêts supplémentaires et envoient des mercenaires pour piloter à distance les drones et conseillers militaires pour les opérations terrestres.

De l’autre côté, nous avons l’Arabie Saoudite, l’Égypte, la Grande-Bretagne, les États-Unis et le Soudan qui soutiennent, financent et arment le TPLF et l’OLA. Au sein de l’Union Européenne (comme d’habitude), il existe de profondes divisions. L’Autriche, le Danemark, la France, l’Allemagne, l’Italie, la République Tchèque, la Pologne ont voté en faveur de la résolution de l’ONU pour une commission indépendante chargée d’enquêter sur les crimes contre l’humanité commis en Éthiopie. Résolution à laquelle le régime fasciste éthiopien s’est immédiatement opposé de manière claire et ferme.

Pourtant, il y a deux jours, l’Allemagne a annoncé 80,6 millions d’euros qui seront versés au régime éthiopien pour financer l’autosuffisance alimentaire, la bonne gouvernance, la mécanisation agricole et les programmes de lutte contre la sécheresse. L’annonce a été faite lors d’une rencontre entre l’Ambassadeur d’Allemagne à Addis-Abeba Aure Stephan et le ministre des Finances Amhend Shide, un autre faucon amhara, fervent partisan du génocide contre les Tigrinis et du nettoyage ethnique contre les Oromo. L’Allemagne doit savoir que ces 80,6 millions d’euros serviront à payer les efforts de guerre d’une guerre qui perdurera encore longtemps. L’Italie, bien que donnant des signes d’esprit critique envers le régime d’Addis-Abeba (jusqu’à présent honteusement soutenu jusqu’au bout) reste inébranlable dans son soutien politique et financier silencieux au régime érythréen, l’un des principaux acteurs du drame éthiopien.

« En Éthiopie, le régime militaire a toujours été crucial pour un contrôle central efficace. Le règne de Haile Selassie était basé sur la victoire militaire de Rye en 1916 sur son prédécesseur déchu. Le gouvernement du Derg était basé sur le contrôle de l’armée, jusqu’à ce qu’il soit renversé par le Front Démocratique Révolutionnaire du Peuple Éthiopien (EPRDF) en 1991. Mais le contrôle militaire seul ne suffit jamais. L’État doit encore être perçu comme légitime aux yeux des peuples gouvernés, ou du moins par une majorité suffisante d’entre eux », explique sur le site African Arguments le directeur de la Royal African Society : Nick Westcott ancien PDG de l’UE pour l’Afrique ( 2011 – 2015 ). C’est précisément le concept de gouvernement par la domination militaire qui empêche les parties en conflit de rechercher une autre solution que l’anéantissement de l’adversaire.

Depuis novembre 2020, le Premier ministre Abiy et la direction du TPLF ont surestimé leur force politique et militaire et sous-estimé celle de leur adversaire. Abiy croyait résoudre le conflit en une semaine en novembre 2020. Le TPLF était convaincu de libérer Addis-Abeba et renverser le régime d’ici Noël 2021. C’est cette erreur de calcul mutuelle qui risque, si elle se prolonge, de conduire à une impasse qui verra l’Éthiopie rejoindre le Soudan du Sud, la Libye, la Syrie et le Yémen dans un conflit interminable, dévastateur pour l’économie et pour la population.

Les deux parties voient déjà le conflit comme existentiel. Abiy craint d’être expulsé du pouvoir, les Amhara craignent d’être à nouveau exclus, comme ils l’étaient après la chute de Haile Selassie, et les Tigréens craignent l’anéantissement et l’exil réels, comme cela semblait se produire avant qu’ils ne reprennent le contrôle militaire du Tigré. Dans ces circonstances, aucune des deux parties ne veut renoncer au moindre avantage par la négociation et considère la victoire militaire comme le seul moyen de survivre. Ainsi, les deux se battront jusqu’au bout, repoussant la paix pendant de nombreuses années.

La guerre civile en Éthiopie est déjà en train de devenir une guerre d’usure. « Le Premier ministre Abiy est convaincu qu’une guerre à long terme sera à son avantage. Avec seulement 7 millions de Tigres et plus de 90 millions de personnes dans le reste du pays, une éventuelle victoire peut sembler inévitable. Mais même cela peut s’avérer être une erreur de calcul si le coût de la guerre sape sa légitimité même et met son autorité en danger. Cela pourrait être l’une des raisons pour lesquelles le gouvernement fomente si implacablement et imprudemment la rhétorique de la méfiance et de la haine ethnique pour renforcer sa position politique en augmentant la peur des Tigréens. Ailleurs cette rhétorique a été précurseur de génocide.» explique Nick Westcott.

Les récentes victoires du régime fasciste d’Amhara ne résolvent rien. Alors qu’Abiy parvient actuellement à contrôler les plaines et les villes, il est presque impossible de vaincre le TPLF au Tigré et l’OLA à Oromia. Le repli des TDF et de l’OLA est à interpréter comme une décision de se replier sur des terres plus adaptées à leur infanterie légère que les plaines de l’Amhara où ils sont la cible de l’aviation et des drones. Il n’est possible de les affaiblir qu’en empêchant pour le moment de mener des campagnes militaires classiques comme elles l’ont fait de juin à octobre de cette année.

« Il est probable que la tentative du gouvernement éthiopien consiste maintenant à enfermer les TDF à l’intérieur des frontières du Tigré, les frappant d’en haut par intermittence avec des raids aériens, déstabilisant la cohésion sociale et donnant le coup de grâce à la population, espérant abandonner toute forme de politique et instance militaire et surtout la rendre dépourvue de toute source d’approvisionnement », analyse le confrère Matteo Palamidesse sur le site d’information italien Focus on Africa (@FocusonafricaIt).

Cette tactique est probable car elle a été conçue par le dictateur érythréen Isaias Afwerki qui détient effectivement le contrôle de l’Éthiopie. Le Premier ministre Abiy et les dirigeants nationalistes d’Amhara ne disposent plus de forces armées suffisantes pour se mettre sur un pied d’égalité avec le régime d’Asmara. Ils ne survivent que grâce à l’intervention militaire érythréenne.

Même leurs alliés : la Chine, les Emirats, l’Iran, la Turquie, sont avant tout des alliés de l’Erythrée que le dictateur Afwerki a convaincu de soutenir le régime fasciste éthiopien. Comparé à l’enfant mentalement instable, Abiy, Isaias Afwerki est un stratège astucieux et bénéficie du respect et de la considération de ces alliés internationaux. L’armée érythréenne contrôle efficacement la vie politique et militaire éthiopienne en transformant Abiy et les dirigeants amhara en simples exécuteurs des décisions politiques prises à Asmara. Addis-Abeba est sous le contrôle total et exclusif des forces armées érythréennes.

Bien que la tactique de siège et d’attrition du Tigré soit hautement probable, elle nécessite une vision à long terme. Le Tigré ne s’effondrera pas dans les mois à venir tandis qu’à Oromia, l’OLA maintient sa position et il y a des signes clairs d’un soulèvement populaire de masse. Un grave problème pour Afwerki et ses marionnettes éthiopiennes, étant donné que la capitale est située en Oromia et que les Oromo représentent 40 % de la population éthiopienne.

Le TPLF et l’OLA ont subi une défaite militaire mais le soutien populaire reste intact. Ils travaillent également au renforcement des alliances avec d’autres régions éthiopiennes après la création du Front uni des Forces Fédéralistes Éthiopiennes à Washington DC en novembre dernier. De nouvelles alliances sont probables pour trois raisons.

La majorité des régions éthiopiennes sont opposées au projet d’Abiy de centralisation du pouvoir et de parti unique qui reviendrait à restaurer la domination ethnique amhara au détriment des 79 autres ethnies. Ils considèrent le soutien de l’Érythrée comme une offense impardonnable à la fierté et à l’indépendance de l’Éthiopie, conscients qu’Afwerki est en fait en train de devenir le véritable maître du pays, bien qu’en coulisses.

La présence majoritaire de l’OLA dans le front uni et la conscience que le TPLF (s’il gagne la guerre) ne pourra plus jamais assumer au sein de la nouvelle coalition gouvernemental, le rôle dominant joué au sein de l’EPRDF (Ethiopian People’s Revolutionary Democratic Front) de 1991 à 2018, représentent d’autres facteurs en faveur d’une alliance des autres régions avec les forces démocratiques à l’exclusion des régions Amhara et Afar.

A l’exception des Amhara (23 millions de personnes), la majorité de la population éthiopienne est opposée aux projets totalitaires d’Afwerki, Abiy et de la direction amhara bandée. Le nombre d’Éthiopiens opposés au gouvernement central et au pouvoir écrasant du dictateur érythréen devrait augmenter à mesure que les conditions économiques se détériorent, comme l’a souligné Alex Rondos dans un discours sur l’émission télévisée ABC (American Broadcasting Company) The World Today. L’économie éthiopienne s’est effectivement effondrée en raison des dépenses militaires insensées d’Abiy. Des dépenses qui se poursuivront face à l’impossibilité d’obtenir une victoire à court terme sur TPLF et OLA, anéantissant toute possibilité de reprise économique.

Le seul facteur qui peut changer cette situation est externe. La communauté internationale a suffisamment de pouvoir et d’influence pour accroître la pression en faveur d’une solution pacifique. Mais pour l’instant, il semble divisé, et cela pourrait en soi prolonger plutôt que résoudre le conflit. Le bloc régional IGAD (Autorité intergouvernementale pour le développement en Afrique de l’Est) est divisé en interne. L’Érythrée, Djibouti et la Somalie soutiennent le régime éthiopien groupé tandis que le Soudan s’y oppose, et le Kenya, le Soudan du Sud et l’Ouganda n’ont pas adopté de politiques ambiguës. L’Union Africaine a déjà démontré son échec total à faire respecter la paix en Éthiopie, en raison de l’incompétence et de la corruption qui règnent au sein de cette institution internationale. L’ONU est bloquée par le veto de la Russie et de la Chine au Conseil de Sécurité. L’Union Européenne est divisée à l’intérieur. Les seuls acteurs actifs sont l’Arabie Saoudite, l’Égypte, les Émirats Arabes Unis, la Grande-Bretagne, l’Iran, le Soudan et les États-Unis. Malheureusement tous prêts à soutenir et aider le régime d’Abiy ou le TPLF et l’OLA pour obtenir la victoire militaire finale.

Cette internationalisation du conflit éthiopien (aux fortes et fausses connotations idéologiques dune fantomatique confrontation entre le Tiers Monde et l’Occident) est le principal facteur de la poursuite de la guerre qui deviendra de plus en plus atroce, féroce et impitoyable.

L’Éthiopie, comme la Libye, le Yémen, la République Centrafricaine, la Syrie et le Soudan du Sud, sera-t-elle une autre victime du nouveau monde multipolaire ?