Ethiopie. Le leader du TPLF interviewé par la CNN: “La pression américaine nous a convaincus de battre en retraite”

Le leader du Front Populaire de Libération du Tigré – TPLF, Gebremichael Debretsion, a accordé une interview à CNN concernant le retrait des troupes des provinces d’Afar et d’Amhara et le développement futur de la guerre civile. Dans l’interview, le Dr Debretsion semble avoir laissé filtrer quelques lueurs d’une possible paix, mais l’interview révèle que le TPLF traverse une période difficile tant sur le plan militaire que politique.
Voyons les temps forts de l’interview, dont nous soumettons la vidéo de l’interview à l’attention des lecteurs.

Le chef du TPL affirme que le retrait de l’armée régionale du Tigré (TDF) des régions d’Afar et d’Amhara a été causé par la pression internationale, principalement des États-Unis, pour ne pas conquérir la capitale Addis-Abeba et résoudre le conflit de manière pacifique. « Par conséquent, nous avons accepté d’écouter ces conseils et de ne pas renverser le gouvernement éthiopien.
Le Dr Debretsion se concentre sur l’avenir du pays, laissant entrevoir une lueur de paix. « Suite à la guerre et aux développements diplomatiques, nous sommes arrivés à la conclusion qu’il vaut mieux résoudre ce conflit au niveau politique par la négociation et le dialogue avant de mener d’autres offensives militaires.

Ces deux temps forts de l’entretien révèlent les difficultés actuelles auxquelles le TPLF est confronté et les tentatives de les minimiser par la direction tigrinya. Le retrait d’Afar et d’Amhara n’était pas dû à la pression internationale mais à la supériorité militaire du régime éthiopien obtenue grâce à l’intervention massive de l’armée érythréenne et des pays alliés : Chine, Emirats Arabes Unis, Iran et Turquie qui ont fourni des dizaines des drones, des milliers de missiles et des techniciens mercenaires pour les guider à distance.

Ces deux facteurs ont joué un rôle décisif dans le renversement du cours du conflit. N’oublions pas qu’avant l’intervention érythréenne, le régime était sur le point de s’effondrer alors que les forces démocratiques (TPLF et OLA) étaient désormais aux portes d’Addis-Abeba avec l’intention de renverser le gouvernement et d’arrêter le Premier Ministre pour le juger pour crimes contre l’humanité.
Ce n’est pas la première fois que le Dr Debretsion fournit des explications alternatives à la défaite militaire subie. Déjà pendant la retraite, le Dr Debretsion avait affirmé qu’il s’agissait d’un pis-aller stratégique pour réorganiser les forces. Maintenant, il motive la défaite avec les pressions reçues des États-Unis et de la communauté internationale en général.
Le Dr Debretsion n’a jamais expliqué quelles dispositions avaient été prises entre le TPLF et le régime érythréen pour permettre aux troupes tegaru et oromo de se retirer sans être attaquées. Lors de la dernière offensive du régime, de nombreuses villes d’Amhara ont changé de mains sans aucun combat et les troupes de TDF – OLA ont pu se retirer en ordre sans être attaquées par les troupes érythréennes ou bombardées par des drones.
Deux explications circulent dans les cercles diplomatiques. Le régime éthiopien a choisi de ne pas concentrer ses énergies sur la destruction des forces démocratiques car il avait besoin d’une victoire éclair pour renforcer le consensus interne et restaurer son image internationale. Il aurait donc choisi de marchander avec l’ennemi pour reprendre le contrôle de la région d’Amhara sans combats urbains épuisants qui auraient prolongé l’offensive et peut-être la compromettre.
Le TPLF aurait accepté car dans la première phase de l’offensive il avait perdu près de 60% de son « matériel » de guerre : véhicules blindés, camions de transport de troupes, lance-roquettes mobiles, chars, artillerie lourde. L’infanterie légère à elle seule n’aurait aucun moyen de s’opposer aux troupes érythréennes et aux drones.

La seconde explication fait l’hypothèse que le choix de ne pas attaquer les forces démocratiques lors de leur retrait a été décidé par le dictateur érythréen qui tient entre ses mains la défense et la survie du régime nationaliste d’Amhara. Le choix aurait été dicté par la stratégie d’Isaias Afwerki de maintenir un état de guerre permanent en Éthiopie pour mieux contrôler le pays.
Cette seconde hypothèse est la plus accréditée parmi les milieux diplomatiques et semblerait indirectement confirmée par les fortes divergences survenues dans la seconde quinzaine de décembre entre Afwerki et le Premier Ministre éthiopien qui attendait de troupes érythréennes une victoire totale sur ses ennemis . Les deux hypothèses convergent sur le fait que des accords entre les belligérants pour permettre un retrait ordonné des forces démocratiques ont bien eu lieu.

Actuellement, le TPLF est revenu à son point de départ en mai-juin, après la défaite subie par les troupes fédérales éthiopiennes et l’armée érythréenne au Tigré qui a permis de libérer la région. Le Tigré est assiégé avec de grandes difficultés pour recevoir de nouvelles armes et munitions. Le blocus humanitaire associé au siège fait des milliers de morts civils, mettant le Tigré à genoux. Siège et blocus humanitaire sont mis en place par le régime dans l’espoir que la population tigrigna se rebelle contre le TPLF en destituant la direction « terroriste ».

Les médecins et le personnel médical du Tigré ont lancé hier une nouvelle demande de levée du blocus de l’aide humanitaire en décrivant une situation cauchemardesque dans les hôpitaux, faute de médicaments et de tests de laboratoire. Dans cette situation, il n’est pas possible d’offrir des soins de santé adéquats à la population déjà éprouvée par une année de guerre, des raids aériens continus et la faim. De nombreux patients sont déjà décédés faute de médicaments et de traitements appropriés.

Simultanément au siège du Tigré, le régime accélère le nettoyage ethnique contre les citoyens d’origine Tegaru à Addis-Abeba et dans plusieurs autres villes. Cette escalade de la persécution contre les Tegaru est due à la fois à la haine ethnique des dirigeants amhara qui pointe vers le génocide, et à la nécessité militaire d’éliminer toutes les cellules et cinquièmes colonnes possibles du TPLF présentes dans la capitale et dans d’autres parties du pays.

Les congrégations religieuses catholiques sont particulièrement touchées par ce nettoyage ethnique. Après Don Bosco et l’Église catholique du Tigré, maintenant aussi la congrégation des Sœurs Ursulines est sous la ligne de mire du régime. Deux autres religieuses Ursulines ont été arrêtées il y a deux jours dans la région d’Amhara, rapporte son collègue Matteo Palamidesse dans Focus on Africa.

Le régime éthiopien a déclaré il y a deux semaines un cessez-le-feu en arrêtant l’offensive au Tigré. Décision probablement prise par le leader érythréen Afwerki. Le cessez-le-feu a été utilisé comme propagande pour démontrer la volonté du gouvernement fédéral de trouver une solution pacifique au conflit. Encore une autre tromperie d’Abiy.
Le siège et le blocus humanitaire du Tigré se poursuivent, renforcés. Les troupes érythréennes sont engagées dans divers combats dans le Tigré occidental et méridional afin de rendre irréversible l’annexion territoriale du nord, annexé à l’Érythrée, et du sud, annexé au Grand Amhara. Les raids aériens avec utilisation disproportionnée de drones sur les centres urbains du Tigré se sont intensifiés depuis le réveillon de Noël.

Depuis octobre, le régime d’Amhara a mené 40 frappes aériennes contre des centres urbains et des infrastructures du Tigré grâce à des drones en provenance de pays “alliés”. Un bilan provisoire des agences humanitaires fait état de 143 victimes et 213 civils blessés. Les dernières frappes aériennes ont eu lieu hier avec une fureur particulière contre les civils dans les villes de Daero Hafas, Axum, Endabaguna et Shire. Toutes villes éloignées des combats au nord et au sud du Tigré et sans aucune importance militaire. Les forces armées du Tigré ne possèdent pas de défense anti-aérienne efficace.

Les déclarations du leader du TPLF à CNN risquent à terme d’être interprétées comme un signal de la difficulté actuelle que traverse le Tigré. Les TDF doivent être réorganisés et réarmés car il devient de plus en plus urgent pour les dirigeants tigrinyas de résoudre la situation humanitaire dramatique des civils. Ils sont de plus en plus conscients du risque de rupture avec la population, car on ne peut pas demander un chagrin et des sacrifices éternels pour la cause.

Malheureusement, le blocus humanitaire semble insoluble pour le moment. Le TPLF vise à se réarmer pour lancer de nouvelles offensives. L’approvisionnement en armes et munitions persiste dans le couloir avec le Soudan même s’il est gravement entravé par les troupes érythréennes. Le TPLF attend avec impatience le système de défense anti-drone : le SkyWall bazooka (arme expérimentale) promis par les États-Unis.

L’ouverture du Dr Debretsion à une éventuelle ouverture de la paix à travers une solution politique au conflit est contredite par le Chef des Forces Armées du Tigré : le Général Tadesse Werede. Hier, il a déclaré qu’il réservait une surprise inattendue au régime éthiopien s’il ne levait pas le blocus humanitaire du Tigré. Il y a des rumeurs selon lesquelles le Général Werede étudie les possibilités de lancer une offensive majeure après avoir réorganisé et réarmé l’armée.

Malgré la nécessité de réorganiser les forces, le TPLF est contraint de lutter pour empêcher la tentative d’annexion des territoires du sud et du nord. Le TDF a réussi à stabiliser le front dans les environs d’Addi Arkay, à libérer à nouveau la ville d’Alamata et à contrôler les territoires adjacents à Waja. Cependant, ce ne serait pas la grande offensive menacée par le Général Werède qui serait en préparation. Aucun détail sur le mérite n’est connu à ce sujet.
La dernière inconnue est la fin du mandat de Jeffrey Feltman en tant qu’envoyé spécial du Département d’État pour la Corne de l’Afrique. Il sera remplacé par David Satterfield, un vétéran de la diplomatie américaine qui fut longtemps ambassadeur en Turquie.

Feltman conclut son mandat par une visite à Addis-Abeba dans l’espéoir rencontrer Abiy Ahmed Ali en personne. Le Premier Ministre éthiopien a refusé de le rencontrer à trois reprises.
La nomination de David Satterfield confirmera le soutien américain aux forces démocratiques éthiopiennes qui veulent libérer le pays du régime d’Amhara ou, au contraire, c’est un signal sinistre que la Maison Blanche envisage de changer de stratégie et de se rapprocher du régime éthiopien, profitant des connaissances de Satterfiled sur l’allié turc ? Pour le moment, il n’y a pas assez de données pour comprendre. Toute hypothèse serait pure spéculation.

Fulvio Beltrami