Ethiopie. Les États-Unis prêts à intervenir militairement? (Fulvio Beltrami)

La guerre civile en Éthiopie crée une grande instabilité dans la région qui pourrait saper les intérêts économiques américains et déstabiliser leurs zones d’influence. Le Général de division William L. Zana, commandant de la Force Opérationnelle Interarmées Américaine pour la Corne de l’Afrique (CJTF-HOA) a accordé une interview à la BBC indiquant que les troupes américaines stationnées à Djibouti sont prêtes à intervenir en Éthiopie pour résoudre la crise.

« Ce qui se passe en Éthiopie est étroitement lié au reste de la région. La décision de retirer les soldats éthiopiens de Somalie a compromis la capacité militaire des 5 autres pays africains qui composent l’AMISOM dans la lutte contre Al-Shabaab et le terrorisme islamique. Désormais, ces organisations terroristes peuvent regagner du terrain. Les tensions frontalières persistantes entre le Soudan et l’Éthiopie risquent de déclencher une guerre entre les deux pays. Pire encore, des puissances étrangères pourraient exploiter la faiblesse du gouvernement éthiopien pour mener une intervention politique ou militaire importante », affirme le Général Zana en faisant clairement référence aux antagonistes régionaux et internationaux: la Turquie, l’Iran, la Russie et la Chine.

Interrogé par le journaliste de la BBC quel rôle les forces armées américaines pourraient jouer dans la crise éthiopienne, le Cénéral Zana précise que le mandat de la CJTF-HOA prévoit des interventions militaires dans la région si les intérêts américains sont gravement menacés. “Nous sommes prêts à prendre des mesures pour assurer l’évacuation de notre personnel diplomatique, de nos citoyens et des citoyens d’autres pays si la situation se détériore.”

Divers experts régionaux ont interprété ces déclarations comme un message direct au Premier Ministre éthiopien et aux dirigeants nationalistes amhara du risque d’une intervention militaire américaine visant à accélérer le processus de changement de régime, sous prétexte de protéger les citoyens occidentaux. Des sources diplomatiques avertissent qu’à la base des forces américaines à Djibouti, toutes les licences ont été révoquées, plaçant les troupes de l’État en alerte maximale.

La Force Opérationnelle Interarmées Américaine pour la Corne de l’Afrique a été créée en réponse aux événements du 11 septembre. La mission a commencé comme une mission expéditionnaire maritime à bord de l’USS Mount Whitney en 2002. La CJTF-HOA a déménagé à terre et a établi sa base au Camp Lemonnier, à Djibouti, en 2003 sous le commandement de l’Africa US Command. En 2013, à la suite de l’attentat contre l’ambassade de Benghazi en Libye, la CJTF-HOA a été chargée d’aider le Département d’État pendant la crise d’urgence.
La Force opérationnelle interarmées combinée de la Corne de l’Afrique est composée de divers corps militaires américains, de branches de services secrets, ainsi que de personnel militaire étranger de divers pays alliés et partenaires. La CHTF-HOA a pour mandat d’utiliser tous les moyens disponibles pour renforcer la sécurité dans la région de la Corne de l’Afrique, défendre les intérêts nationaux des États-Unis et promouvoir la stabilité et la prospérité régionales.
Les déclarations du Général Zana clarifient les intentions de l’Administration Biden pour résoudre la crise éthiopienne. La diplomatie américaine travaille sans relâche pour imposer un cessez-le-feu et ouvrir des négociations de paix entre le régime et les forces démocratiques qui le combattent.

Le Département d’État a récemment accepté le requetés de la direction tigrine du TPLF et de la direction oromo de l’Armée de Libération Oromo de la démission du Premier Ministre Abiy comme condition préalable à une trêve et à des pourparlers. Des sources diplomatiques à titre personnel informent que les États-Unis ont convaincu le TPLF et l’OLA d’accepter un compromis qui prévoit la démission d’Abiy et son exil dans un pays étranger.

Les efforts américains pour parvenir à une solution politique et mettre fin au massacre éthiopien ne portent pas les résultats escomptés. Le régime fasciste d’Amhara considère les États-Unis comme des ennemis directs et appelle à la résistance panafricaine aux « Yankees », appelant tous les pays africains à l’aide et au soutien pour «empêcher les États-Unis de coloniser l’Éthiopie».

Peu importent les efforts diplomatiques de l’Union Africaine jugés totalement inadaptés. L’Union Européenne, dans la crise éthiopienne, met en avant sa faiblesse interne causée par un manque de cohésion de la politique étrangère entre les États membres, divisés sur la considération que le soutien à la doctrine américaine pour l’Éthiopie représente ou non les intérêts européens dans la région.

Certains États européens se livrent même à des manœuvres opaques et à double croix. Parmi eux, l’Italie, qui fait toujours un clin d’œil au Premier Ministre Abiy et renforce ses liens politiques et économiques avec le dictateur érythréen Isaias Afwerki, visé par le Président Biden.

Le Département d’État américain constate également un manqué la volonté de soutenir une solution politique de la part du régime fasciste d’Amhara qui identifie les pourparlers comme une sorte d’abdication. La dernière proposition semi-officielle du Parti de la Prospérité est celle d’un simple cessez-le-feu et la possibilité d’accorder l’indépendance au Tigré alors que le cadre politique actuel qui place les dirigeants amhara à la tête du pays reste inchangé. Une proposition inacceptable qui tend à identifier le TPLF comme la seule source de problèmes alors que, d’un autre côté, c’est l’ensemble de l’Éthiopie qui se bat contre le régime du Parti de la Prospérité.
Toute possibilité de trêve et le début des pourparlers ont été définitivement compromis avec l’atroce raid aérien de Mekelle, la capitale du Tigré, qui a eu lieu dans la nuit du 20 novembre. Une boucherie gratuite de civils qui n’a aucun impact sur les opérations militaires en cours pour arrêter l’avancée vers Addis-Abeba du TPLF, de l’OLA et de sept autres armées régionales coalisées.

Face à cette réalité connue de longue date, les États-Unis examinent l’opportunité de passer à un niveau supérieur pour soutenir les forces démocratiques combattant le régime. Actuellement, les États-Unis fournissent un soutien en matière de renseignement, de communications par satellite et un soutien logistique au TPLF et à l’OLA. De grandes quantités d’armes et de munitions arrivent également via les pays alliés, ainsi que des unités de mercenaires combattant le régime, principalement en provenance du Soudan.

Sur le plan politique, l’Administration Biden s’attache à éviter un scénario de guerre ethnique après la chute du régime Amhara qui semble à présent inévitable. Le Département d’Etat entend à tout prix empêcher au après Abiy Ethiopia de suivre le sort de la Somalie en 1991 (après la chute du dictateur Siad Barre). Un scénario qui verrait la poursuite de la guerre civile entre les différentes ethnies et les tentatives d’indépendance des différentes régions qui composent actuellement l’Éthiopie.

Les États-Unis se concentrent sur l’unité du pays et sur un gouvernement de coalition qui sait comment renforcer le fédéralisme et les intérêts ethniques de chaque région éthiopienne. A cet effet, la diplomatie américaine a joué un rôle de premier plan dans la naissance de l’alliance politique et militaire entre le TPLF, l’OLA et 7 autres armées régionales qui a donné naissance au Front Uni des Forces Fédéralistes et Confédéralistes Éthiopiennes (UFEFCF) mis en place pour former un gouvernement de coalition après la chute du Premier Ministre Abiy.
Le Pentagone et la Maison Blanche étudient maintenant quelle est la meilleure option militaire si les efforts de paix échouent. Trois options sur le terrain. Intervention américaine directe, Casques bleus, intervention des forces régionales alliées comme l’Egypte. La première option semble prévaloir. Selon des sources diplomatiques, Biden envisage une attaque contre le régime éthiopien depuis la base du Camp Lemonnier à Djibouti.

L’intervention consisterait principalement en des frappes aériennes pour neutraliser ce qui reste des forces aériennes éthiopiennes, les différents drones iraniens, chinois et turcs, neutraliser les colonnes de miliciens qui combattent toujours les forces démocratiques. Des raids aériens sur tous les aéroports militaires (y compris Addis-Abeba), des dépôts de munitions, des postes de commandement de pilotage de drones à distance seraient prévus. Les raids aériens serviraient à anéantir la dernière résistance et à permettre aux forces démocratiques de libérer Addis-Abeba, renversant le régime fasciste d’Amhara.

Le Ministre djiboutien des Affaires Étrangères Mahmoud Ali Youssef a déclaré que les États-Unis ne seraient pas autorisés à frapper l’Éthiopie depuis leurs bases militaires à l’intérieur du pays. « Djibouti apprécie son partenariat stratégique avec les États-Unis mais ce partenariat ne s’adresse à aucun pays », a déclaré le ministre Youssef.

Une déclaration pathétique qui ne pose aucun problème pratique. Le gouvernement djiboutien n’a aucune souveraineté de fait à faire valoir comme argument valable. Le petit pays qui survit grâce aux activités portuaires et à la présence de bases étrangères est en fait un protectorat de la France et des États-Unis. Son pouvoir de s’opposer à une éventuelle décision américaine d’utiliser les bases Djiboutiennes pour lancer des frappes aériennes en Éthiopie est pratiquement nul.

Le plan visant à influencer personnellement le changement de régime en Éthiopie a été précédé d’une série d’actions politiques et militaires dans les pays voisins afin de s’assurer un « terrain favorable ». Tout d’abord, les États-Unis ont favorisé le coup d’État au Soudan fin octobre pour se débarrasser de la composante civile de la coalition gouvernementale de transition considérée comme pro Abiy. La junte militaire, désormais revenue au pouvoir, assure un soutien inconditionnel à toute intervention militaire américaine, y compris l’envoi de troupes au sol sous forme de mercenaires, si cela sera jugé nécessaire. La junte militaire soudanaise a toujours été ouvertement contre le régime du Premier Ministre Abiy.

La semaine dernière, Washington a imposé de nouvelles sanctions contre l’armée érythréenne et contre plusieurs dirigeants du régime érythréen, avertissant qu’elle est prête à agir si l’Érythrée décide de rétablir son soutien militaire direct à la défense du régime fasciste d’Amhara. Ce ne sont pas des menaces mais des avertissements clairs. L’Administration Biden est déterminée à ce que l’Éthiopie reste sous la sphère d’influence occidentale et ne soit pas perdue pour la Chine, l’Iran, la Russie et la Turquie.
Les récentes visites diplomatiques auprès des alliés de la péninsule arabique visaient à soutenir l’initiative.

De délicates négociations sont en cours entre les États-Unis et les Émirats Arabes Unis pour mettre fin au soutien des émirats au régime. Depuis le début du conflit 124 vols d’Ethiopian Airlines ont été effectués d’Abou Dhabi à Addis-Abeba pour le transport d’armes et de munitions destinées à l’armée fédérale et aux milices pro-régime.

Mardi, le Département d’État américain a de nouveau exhorté les citoyens américains en Éthiopie à quitter le pays immédiatement. L’Administration Biden a également annoncé qu’elle était prête à payer les frais d’achat de billets d’avion au cas où certains citoyens américains n’auraient pas les fonds nécessaires pour partir. Un signe clair que le Pentagone ne veut pas avoir ses citoyens en Éthiopie avant de lancer des frappes aériennes afin de ne pas risquer de les transformer en otages ou en boucliers humains.

La Federal Aviation Authority des États-Unis a publié une déclaration conseillant à tous les citoyens américains de ne pas se rendre en Éthiopie ou d’acheter des billets d’avion pour d’autres destinations africaines qui incluent une escale à l’aéroport international de Bole, à Addis-Abeba ou qui survolent l’espace aérien éthiopien.

La machine de guerre américaine est prête à déchaîner l’enfer sur ce qui reste du régime du Premier Ministre prix Nobel de la paix qui voulait devenir Empereur d’Éthiopie. Seul le prétexte officiel manque. La semaine prochaine, le Congrès discutera de la question de savoir si un génocide contre la minorité ethnique Tigrinya a lieu en Éthiopie. Si le génocide sera reconnu, les États-Unis auront une couverture morale plus que suffisante pour intervenir.

Fulvio Beltrami