Ethiopie. L’offensive diplomatique franco-américaine pour mettre fin à la guerre civile (Fulvio Beltrami)

Après la fin de la première phase du conflit éthiopien avec la victoire de l’armée régulière du Tigré contre les armées fédérales éthiopienne et érythréenne, nous sommes passés à la deuxième phase : celle du conflit national avec la claire intention de renverser le régime des Meshrefets encore au pouvoir à Addis-Abeba. Cette deuxième phase implique une escalade des activités de guerre à laquelle les Présidents Joe Biden et Emmanuel Macron entendent mettre un terme afin de sauvegarder la stabilité désormais compromise de la région de la Corne de l’Afrique.

D’importantes initiatives diplomatiques franco-américaines sont en cours après que Washington et Paris ont établi une communion d’intention avec les Émirats Arabes Unis qui ont participé à la première phase du conflit en envoyant des drones de guerre en soutien au régime nationaliste Amhara du Premier Ministre Abiy Ahmed Ali. Les Émirats Arabes Unis ont garanti un soutien total aux initiatives diplomatiques occidentales en garantissant la neutralité militaire et le soutien politique à Biden et Macron.

Du samedi 31 juillet au mercredi 4 août, Samantha Jane Power (née en 1970) est en visite officielle au Soudan et en Éthiopie. Power, un cadre dirigeant du Parti Démocrate et actuel directeur de l’Agence américaine pour le développement international: USAID, était un ancien conseilleur à la politique étrangère de Barak Obama et 28e Ambassadeur américain aux Nations Unies.

L’objectif officiel de Power est de lever le blocus imposé par le régime d’Addis-Abeba sur l’aide humanitaire au Tigré pour sauver des centaines de milliers de personnes de la famine. Le deuxième objectif déclaré est de pousser le gouvernement éthiopien, le TPLF, l’OLA et l’opposition éthiopienne à s’asseoir dans des négociations de paix pour trouver une solution pacifique au conflit en cours. En Éthiopie, Power rencontrera le conseiller à la sécurité nationale. Une rencontre est également prévue avec le Premier Ministre Abiy qui, pour le moment, n’a pas encore notifié sa disponibilité.

Power portera les préoccupations du président Joe Biden à l’attention du gouvernement éthiopien suite à des nouvelles d’arrestations massives, de passages à tabac et de torture de citoyens éthiopiens du Tigré qui ont lieu dans la capitale Addis-Abeba et dans d’autres grandes villes du pays toujours sous contrôle du Parti de la Prospérité. “Les inquiétudes que nous avons concernant le nettoyage ethnique et le ciblage ethnique sont très réelles”, a déclaré Power. Le gouvernement éthiopien a nié avoir ciblé les Tigréens en tant que groupe ethnique, affirmant que leur lutte est avec le parti au pouvoir qui contrôle le Tigré.
Alors que les raisons de la visite de Power en Éthiopie ont été partiellement clarifiées, celles concernant la visite au Soudan n’ont pas été expliquées.

L’initiative diplomatique américaine est soutenue par une initiative parallèle du gouvernement français. Samedi 31 juillet, le Président français a appelé le Premier Ministre éthiopien Abiy Ahmed et le Premier Ministre soudanais Abdallah Handok, exprimant les inquiétudes d’Elisée face à l’escalade du conflit dans les régions d’Amhara et d’Afar et la terrible situation humanitaire au Tigré. Emmanuel Macron appelle à un accès immédiat à l’aide humanitaire, à un cessez-le-feu immédiat et à l’ouverture d’un dialogue national pour mettre fin à la guerre civile.

Macron a affirmé le soutien total du gouvernement français aux efforts de Martin Griffiths, directeur du Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) et la mission de Samantha Power.

Les premières réponses aux offensives diplomatiques franco-américaines viennent du TPLF. Dans une déclaration officielle du 31 juillet, le gouvernement légitime du Tigré a posé les conditions d’un cessez-le-feu.
Reprise immédiate des services de base suspendus au Tigré : télécommunications, eau, électricité, services bancaires et de santé et toutes formes de transports et de commerce avec les autres régions éthiopiennes. Fin immédiate du blocus de l’aide humanitaire avec l’activation de multiples couloirs humanitaires qui permettent l’aide humanitaire. Autorisation inconditionnelle aux médias nationaux et étrangers de pouvoir opérer librement dans le pays sans crainte de représailles. Déblocage immédiat du budget national 2020-2021 pour le Tigré, bloqué en novembre 2020.

Une fois ces conditions réunies, la direction du gouvernement légitime du Tigrinya pourra accepter le cessez-le-feu qui doit servir non pas à réarmer les différentes factions belligérantes mais à engager des consultations immédiates entre toutes les forces politiques du pays et les forces de la société civile pour la création d’un accord de transition et d’un processus politique capable de traiter de manière pacifique et civile les problèmes politiques et constitutionnels actuels qui affligent l’Éthiopie.

En formulant cette demande, les dirigeants de TPLF déclarent ne pas être intéressés par de simples pourparlers de paix impliquant uniquement le Tigré et le régime actuel d’Addis-Abeba car ils manquent de légitimité, de mandat constitutionnel et de moyens de gouverner le pays.

Les réactions du gouvernement éthiopien actuellement en place sont différentes. La demande franco-américaine de restauration des couloirs humanitaires a été rejetée par le vice-ministre éthiopien des Affaires Étrangères, accusant que les agences humanitaires de l’ONU et les ONG internationales sont utilisées par les puissances occidentales pour fournir des armes et des munitions aux “terroristes” du Tigré. Une accusation portée à plusieurs reprises par le régime des Meshrefets sans jamais apporter de preuves concrètes.

Le Parti de la Prospérité a lancé une campagne médiatique internationale qui accuse le TPLF de tous les problèmes du pays, y compris la crise humanitaire. Selon la théorie proposée par le P.P., le gouvernement de Mekelle bloquerait l’aide humanitaire indépendamment des souffrances de sa propre population afin de rejeter la faute sur le gouvernement central. Toutes les agences humanitaires des Nations Unies, la Croix-Rouge internationale et les rapports de renseignement de l’UE et des États-Unis affirment le contraire. Le blocus de l’aide est l’œuvre du gouvernement d’Addis-Abeba.

Deux autres campagnes médiatiques parallèles ont été activées. La première, visant à renforcer la guerre virtuelle sur les réseaux sociaux, tente de faire apparaître l’Éthiopie comme la victime d’un complot européen, britannique et américain qui entend restaurer le TPLF à la tête du pays. « La fausse indignation de l’Occident cache une volonté manifeste de donner crédit aux fausses informations faisant état de viols, de meurtres aveugles et de génocide attribués au gouvernement éthiopien. L’Occident a choisi de soutenir les terroristes du TPLF et d’utiliser la fausse urgence humanitaire pour justifier une intervention militaire au nom des besoins humanitaires. En réalité, un plan pour domestiquer le peuple éthiopien qui ne s’est jamais soumis à une puissance étrangère au cours de son histoire millénaire », lit-on dans un éditorial du journal du Prosperity Party : Ethiopia Observer.

La deuxième campagne, confiée à ses représentations diplomatiques en Europe, vise à “censurer” les journaux et journalistes occidentaux qui suivent particulièrement les événements éthiopiens, les accusant d’être au service des “terroristes” du TPLF et de diffuser la propagande Tegaru (Tigrinya) pour profit financier ou affinité idéologique. En Italie, le site d’information Focus On Africa a reçu de l’Ambassade d’Éthiopie à Rome une lettre demandant la censure de certains articles sur la crise du Tigré.

La télévision d’Etat éthiopienne : ETV rapporte l’arrivée de mercenaires et de drones russes en soutien au régime Abiy. Selon ETV, les renforts « russes » vont renverser le cours de la guerre, en battant les « terroristes » du TPLF. La nouvelle a été donnée sans fournir aucune preuve et n’a reçu aucune confirmation de la parte de Moscou.

Cette nouvelle, qui ne pouvait être que le résultat d’un besoin de propagande, qu’elle soit vraie ou fausse, n’aura d’autre effet que de renforcer la volonté des puissances occidentales de stabiliser l’Ethiopie par un changement de régime.

Washington est clair dans ses intentions lorsqu’il déclare que si la visite de Power n’aura pas les résultats escomptés, de fortes mesures de « persuasion » seront mises en œuvre. La Maison Blanche a également clairement indiqué qu’elle n’aimait pas la rhétorique du Premier Ministre éthiopien visant à éviter la paix et une solution à la crise nationale.
Vendredi 30 juillet, l’Armée régulière du Tigré (TDF) a pris le contrôle de la ville stratégique et historique d’Amhara de Lalibela où se dressent les célèbres églises orthodoxes creusées dans la roche. La conquête a été rendue possible grâce aux accords signés avant l’offensive militaire avec les leaders de la communauté amhara de la ville afin de garantir zéro violence contre les civils.

Les généraux des TDF ont imposé à leurs soldats et miliciens une interdiction des violences contre la population amhara et une interdiction de piller, endommager ou détruire des propriétés privées, des églises et des monuments historiques. Ils ont également imposé le recours à la force minimum nécessaire qui doit être dirigé exclusivement contre les milices Amhara Fano et les renforts reçus d’Érythrée.

L’armée fédérale se désagrège alors que les premiers effets économiques dévastateurs de la fermeture du seul corridor commercial avec l’extérieur sont déjà visibles à Addis-Abeba : l’axe routier et ferroviaire Djibouti – Addis-Abeba.

Fulvio Beltrami