Finance Sommet Africain Paris. Macron propose un New Deal pour l’Afrique (Fulvio Beltrami)

Le Sommet Finance Africain s’est tenu à Paris du 17 au 19 mai, organisé par le Président français Emmanuel Macron, auquel ont participé de nombreux chefs d’État africains, francophones, anglophones et lusophones. Un sommet plein de surprises qui (selon les experts) marque une nouvelle politique entre la France (ancienne puissance coloniale) et l’Afrique. Une politique de respect mutuel et de coopération (selon ce qu’affirment les organisateurs de l’événement) qui abandonne le concept postcolonial dicté par la politique de De Gaulle. Les pays africains vassaux de Paris sont désormais considérés comme des partenaires de premier plan dans un contexte de relations nouvelles. Peut-être la bonne façon de contrer l’influence économique et politique croissante de la Chine et de la Russie.
Rien n’a été laissé au hasard. Le sommet avait été préparé au moins deux mois plus tôt avec des actions impensables à ce jour, dont la plus importante était la reconnaissance de l’implication de la France dans le génocide rwandais de 1994 à travers l’ouverture des archives de l’Etat de la période sombre qui va de 1991 à 1994 qu’il a permis de clarifier le rôle de Paris dans la tragédie. Comme ce fut le cas avec la Libye, les 100 jours de l’Holocauste africain n’étaient pas une affaire interne mais ont donné lieu à une série d’événements de guerre tragiques au Congo et au Burundi qui n’ont pas permis à ces deux pays d’avoir la paix et le développement économique.
L’ouverture des archives fait partie du dégel de la guerre froide entre le Rwanda et la France qui dure depuis 27 ans. Ceci est très positive pour l’Afrique entière et pour la France aussi. Le Président français a annoncé qu’il effectuerait une visite officielle au Rwanda fin mai afin d’écrire une nouvelle page sur les relations entre les deux pays. La dernière visite officielle au Rwanda d’un Chef de l’Etat de l’Elysée a eu lieu en février 2010. Nicolas Sarkozy a été le premier président français à se rendre à Kigali depuis le génocide de 1994.

Le deuxième événement majeur qui a précédé le sommet a été l’annulation de la dette du Soudan contractée avec la France. 5 milliards de dollars ont été pardonnés avec l’objectif clair de soutenir le gouvernement de transition au pouvoir à partir de 2019 après la chute du dictateur Omar El Bashir. Dans ce cas les voix critiques ont raison d’exprimer leurs doutes sur le risque de soutenir la junte militaire qui participe au gouvernement de transition mais il faut noter que l’annulation de la dette colossale contractée est un fait de justice envers le peuple soudanais, un soutien aux parties et à la société civile qui composent l’autre moitié du gouvernement de transition et une tentative de renforcer la paix dans la région de la Corne de l’Afrique.
L’annulation de la dette soudanaise est étroitement liée au renforcement de la démocratie. Cela signifie limiter la marge de manœuvre des généraux (tous anciens loyalistes du dictateur Béchir) qui ont reçu un signal de déni à toute tentative détournée de rétablir l’ancien régime comme, malheureusement, ce fut le cas au Zimbabwe après la chute de Robert Mugabe.

Une grande partie de la dette contractée a été utilisée par le dictateur Béchir pour réprimer militairement l’opposition et la lutte armée. “Pourquoi le peuple soudanais, qui s’est battu en 2018-2019 pour se libérer de l’horrible régime, doit-il maintenant payer la dette de ses oppresseurs?” C’était probablement la réflexion du Président français. Le risque de cette injustice était de livrer la population à l’extrémisme islamique et de renforcer la propagande des groupes terroristes au Sahel contre France-Afrique.

Des sources diplomatiques africaines affirment que l’annulation de la dette aurait également été liée à l’invitation du Soudan à mettre fin à la guerre frontalière de faible intensité avec l’Éthiopie et l’Érythrée qui, liée à l’emblématique diatribe sur l’exploitation des eaux du Nil et du méga barrage éthiopien GERD, menace d’entraîner une grande partie du continent dans la première guerre de l’eau.
La même pression aurait été exercée (avec beaucoup de tact diplomatique) sur l’Égypte, principal allié français en Afrique du Nord. Les nouvelles qui nous sont parvenues de sources diplomatiques doivent être confirmées, mais il y a déjà des signes clairs à l’appui de leur véracité. Soudain, le ministre égyptien des Affaires étrangères a déclaré que les initiatives de l’Éthiopie visant à reprendre le remplissage de son vaste barrage du Nil dans les mois à venir n’auraient pas d’impact négatif sur l’approvisionnement en eau des Égyptiens. Des propos très différents de ceux prononcés par le Général Abdel Fattah Saeed Hussein Khalil el-Sissi il y a deux mois qui sonnaient comme un avertissement clair et menaçant contre l’Éthiopie qui pourrait être considéré comme un prélude au conflit.
Lors du sommet, la décision a été prise de réaffecter 81 milliards d’euros de réserves monétaires pour les droits de tirage spéciaux du FMI aux États africains d’ici octobre. Le « Special Drawing Rights » est un outil d’échange utilisé pour aider à financer les importations en provenance d’Afrique. La PDG du FMI, Kristalina Georgieva, a confirmé avant le sommet que l’organisation émettra cette année 33 milliards de dollars de droits de tirage spéciaux sur le continent africain. Maintenant, Macron vise à tripler ce montant.

Le Kenya, le Sénégal, l’Éthiopie et l’Afrique du Sud ont demandé une révision du paiement de la dette ainsi qu’une amnistie partielle. C’est une démarche nécessaire pour aider le continent à traiter avec le Post Covid19 mais qui doit être bien considérée dans le cas de l’Éthiopie. Il y a des risques que le régime du Premier Ministre Abiy Ahmed Ali, allié au dictateur érythréen Isiaias Afwerki, exploite une éventuelle amnistie pour augmenter les efforts de guerre en continuant à commettre des crimes contre l’humanité sur une partie substantielle de sa population dans les États régionaux du Tigré et Oromia où deux terrifiantes guerres civiles se déroulent depuis 6 mois.
La France entend également mobiliser des investissements privés pour financer les immenses besoins de développement de l’Afrique. Il faut garder à l’esprit que la croissance économique du continent même s’il a connu sa première récession en un demi-siècle, l’année dernière en raison de la pandémie. Les prévisions parlent d’une reprise de 3,4% en 2021 et de 4% en 2022. Il est extrêmement important et pratique pour tous les acteurs (africains et occidentaux) de mobiliser des investissements privés pour financer les immenses besoins de développement d’un continent qui aspire à sortir de la logique de l’assistance.

Malheureusement et avec un regret extrême, nous, Occidentaux, devons admettre l’échec des politiques de coopération au développement nées dans les années 80 et 90 grâce aux ONG. Près de 40 ans plus tard, la coopération pour le développement n’a pas réussi à contribuer au progrès de l’Afrique, se transformant en une assistance pure, manifestement nécessaire, mais incapable d’améliorer véritablement la vie de millions de personnes. Cette situation fait l’objet d’une sérieuse réflexion de la part de diverses ONG occidentales pour trouver des actions nouvelles et stimulantes capables d’accompagner nos frères africains vers un avenir meilleur.

Une attention particulière a été accordée à la menace du terrorisme islamique au Sahel. Mardi matin, une rencontre bilatérale s’est tenue entre les Présidents français et mozambicain en marge du sommet, pour aborder notamment la situation dans le nord du pays, aux prises avec une guérilla djihadiste. La menace terroriste a récemment contraint la France à choisir le moindre mal au Tchad après la mort du dictateur Idriss Deby Itno, acceptant effectivement le coup d’État institutionnel mené par son fils Mahamat ibn Idriss Déby Itno connu sous le surnom de Mahamat Kaka. Un gouvernement purement civil aurait ouvert le gouffre de la guerre civile et de l’infiltration terroriste, selon l’analyse des experts français des « affaires africaines ». Des analyses réalistes si l’on considère l’escalade de la guerre civile dans le nord du Nigéria voisin créée par le groupe terroriste Boko Haram qui a mise pratiquement à genoux le gouvernement nigérian.
En marge du sommet, les chefs d’Etat sahéliens ont profité de leur présence à Paris pour rencontrer la veille, le 17 mai, leur homologue français pour discuter de la situation actuelle dans la lutte contre le terrorisme islamique et trouver de nouvelles stratégies. Il s’agit de la première réunion des présidents du G5 Sahel depuis leur réunion informelle en marge des obsèques d’Idriss Déby Itno le 23 avril. Au cours de la réunion, le Premier Ministre tchadien Albert Pahimi Padacké a réitéré la volonté de N’Djamena de maintenir sa position au sein de cette organisation; et il a répété le même message au Ministre français des Affaires Étrangères Jean-Yves Le Drian, qu’il a rencontré le matin du 18 mai.
En considération que l’armée nigériane étant en extrême difficulté en raison de la reprise des offensives de Boko Haram et d’un début de guerre pour l’indépendance dans le sud, l’armée tchadienne reste la seule force militaire capable de contrer les terroristes nigérians, ceux d’Al-Qaïda Maghreb et du DAESH, connus en l’Occident sous le nom d’ISIS (État islamique d’Irak et al-Sham).

Malheureusement, lors du sommet, il y a eu un incident diplomatique entre le Rwanda et la République Démocratique du Congo en raison de la malheureuse interview donnée par Paul Kagame en marge du sommet à France 24 et Radio France International. Au cours de l’entretien, le Président rwandais a nié que son armée ait commis des crimes de guerre pendant l’occupation militaire de la province du Sud-Kivu, qui a eu lieu lors de la deuxième guerre panafricaine au Congo (1998-2004) qui a profondément déstabilisé l’est du Pays, impliquant de nombreuses milices , l’armée congolaise et celles de l’Angola, du Burundi, du Rwanda, du Zimbabwe et de l’Ouganda. Un mensonge flagrant qui a été interprété par le peuple congolais comme un déni de sa dignité, et de la justice.
Les événements qui se sont déroulés entre 1998 et 2004 étaient à l’époque utilisés par les forces génocidaires rwandaises (réorganisées en 2000 dans le groupe terroriste Forces Démocratiques de Libération du Rwanda – FDLR avec la participation active de la France), flanquées par quelques éléments de la société civile congolaise Rwandaphobe, qui a repris la théorie développée indirectement par le président Jacques Chirac du “double génocide”, pour cacher le responsabilités françaises avant, pendant et après l’Holocauste africain et mettre les victimes et les auteurs sur un pied d’égalité.

La théorie du double génocide a été réfutée par une enquête des Nations Unies. Cependant, il reste indéniable que les troupes d’occupation rwandaises ont commis des crimes de guerre au Sud-Kivu, plus précisément dans la capitale provinciale Bukavu et dans les villes d’Uvira et Fizi. Au moins 600 violations graves des droits humains commises par les troupes d’occupation rwandaises au Sud-Kivu entre 1993 et 2003 ont été enregistrées dans le rapport des Nations Unies intitulé “UN Mapping” et publié en 2010. Le rapport ne parlait pas de génocide mais de graves crimes de guerre commises par le Rwanda et l’Ouganda.
Ces crimes s’inscrivaient dans un climat violent de conflit ethnique militaire et idéologique entre Bantous et Tutsi qui a aussi provoqué des violences sans précédent contre la minorité tutsie congolaise dans la capitale Kinshasa et dans d’autres régions du Congo pendant la seconde guerre panafricaine.
Le déni de ces crimes par le Président Paul Kagame a eu des effets négatifs immédiats. Sa affirmation a renforcée la campagne idéologique des terroristes FDLR au Congo et au Burundi contre la minorité ethnique tutsie et le ressentiment croissant de la population congolaise de l’est envers le Rwanda. Il a également brisé les relations de réconciliation entre Kinshasa et Kigali.

Afin de ne pas compromettre les opérations militaires en cours menées dans l’est du pays pour détruire les FDLR et d’autres bandes armées (opérations commencées avec la déclaration de l’état de siège dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri), le Président Tshiekedi a été contraint de intervenir pour réfuter les fausses allégations de Kagame.

Soulignant que l’objectif du gouvernement congolais est de restaurer la paix à l’est du pays et dans la région des Grands Lacs, le Président Tshisekedi a déclaré son plein soutien à la campagne entreprise par le docteur Denis Mukwege (directeur de l’hôpital Panzi de Bukavu et prix Nobel de la paix 2018) à exiger justice des victimes congolaises au cours de cette sombre page du passé qui encore infâmes le présent. Une justice qui doit inclure non seulement les crimes de guerre commis par le Rwanda mais aussi ceux commis par le Congo lui-même et par les autres pays qui ont participé à la deuxième guerre panafricaine: l’Angola, le Burundi, le Zimbabwe et l’Ouganda.
Le Sommet Finance Africain de Paris représente une nouveauté absolue par rapport aux précédents sommets France – Afrique non seulement pour les nouvelles orientations de politique étrangère souhaitées par Macron mais aussi pour un autre facteur très important. Pour la première fois, la politique étrangère de la France envers ses anciennes colonies africaines et envers l’Afrique en général n’est plus une affaire intérieure. Le président Macron a également souhaité impliquer d’autres pays occidentaux dont l’Allemagne et l’Italie, représentés par le Premier Ministre Mario Draghi. Le Japon (deuxième financier asiatique d’Afrique après la Chine) a également participé à l’événement. Un signe clair que le président Macron ne considère plus les relations avec l’Afrique comme une affaire strictement française.

Que pensent les Africains de ce sommet? Les réactions en général sont positives même si les soupçons ne manquent pas en raison des politiques coloniales et impérialistes françaises passées qui ont affecté négativement le développement du continent africain. Achille Mbembe, philosophe, politologue et professeur d’histoire africaine à l’Université de Witwatersrand à Johannesburg dans un long entretien avec le journal français Le Point incarne mieux les réactions africaines à l’initiative de Macron.

«Le Sommet financier africain est une initiative importante visant à renforcer le nécessaire esprit de confiance entre l’Afrique, la France et l’Occident. Nous commençons à comprendre la nécessité d’une nouvelle coopération basée sur le respect mutuel et non sur des impositions dictées par des relations de force. La France a besoin de l’Afrique pour son avenir et vice versa. Attention cependant! La nouvelle orientation de la politique étrangère française ne portera les résultats escomptés qu’à la condition, outre le renforcement des liens économiques, de promouvoir les valeurs fondamentales qui doivent réguler les relations entre l’Afrique et l’Europe. Sans eux, l’Afrique n’a rien à partager avec la France.
Je parle de valeurs impérissables telles que le respect de la vie, la liberté, la démocratie, les droits humains fondamentaux. Faire des affaires uniquement comme les Chinois, les Turcs, les Russes et les Arabes le font, sans ces valeurs compromettra le chemin commun entre les deux continents, le développement et la paix dans le monde. ”

Des résistances au nouveau cours de Macron dans le relation avec l’Afrique sont également enregistrées en France, en particulier par les partis de droite, et par certains Généraux de l’armée à la retraite qui ont récemment critiqué sévèrement le travail du président Macron dans l’hebdomadaire en ligne d’extrême droite “Valeurs Actuelles”, l’accusant d’avoir provoqué la désintégration des valeurs de la France en favorisant l’islamisme et les hordes de banlieue qui compromettent gravement l’identité française. Ces forces politiques militaires rêvent toujours de maintenir une domination culturelle, politique et économique sur les anciennes colonies africaines. Le Président Macron devra être prudent. Selon un sondage du journal L’Opinion, 48% des Français soutiennent l’intervention des généraux à la retraite.

Fulvio Beltrami