France. Macron décide de mettre fin à l’opération Barkhane en Afrique de l’Ouest. Un bon choix? (Fulvio Beltrami)

Jeudi 10 juin, lors d’une conférence de presse à la veille du sommet du G7, le Président français Emmanuel Macron a annoncé la fin de l’opération « Barkhane » au Sahel, une opération militaire qui a duré huit ans, dont les objectifs proclamés étaient de sécuriser la région et de lutter contre la propagation du terrorisme islamique. Une opération militaire qui a employé plus de 5 000 soldats, 7 avions de chasse, 20 hélicoptères, 3 drones, sans compter environ 500 blindés et 400 véhicules pour garantir la logistique, pour un budget de près d’un milliard d’euros par an selon le journal Le Monde.

Le gouvernement français a justifié cette annonce “choc” en réponse au deuxième coup d’Etat au Mali qui a compliqué les plans d’intervention français dans la région : “On ne peut pas sécuriser les régions qui tombent dans l’anomie car les Etats décident de ne pas prendre leurs responsabilités”.
En soutien à la décision de Macron est intervenu Aurélien Taché, député du Val d’Oise et membre de la Commission de la Défense à l’Assemblée Nationale. « Il est douloureux de se rendre compte que ce qui faisait la grandeur de la France, vouloir intervenir dans nombre de pays où l’on voulait contrer la menace islamiste, n’était pas une stratégie rentable. Cette stratégie d’ingérence, qui peut être comparée aux interventions américaines en Afghanistan, en Iran, cela ne fonctionne pas même si Barkhane a été créé avec de bonnes intentions », a déclaré Taché aux médias nationaux français.

La décision prise tente de contrer le sentiment anti-français croissant qui émerge un peu partout parmi la population francophone d’Afrique de l’Ouest qui accuse la France de lourdes ingérences néocoloniales et impérialistes. A titre d’exemple, en 2019 des dizaines de milliers de Maliens ont manifesté à Bamako pour exiger le retrait des troupes françaises du territoire, alors qu’un sondage de la radio Tamani exprimait l’opinion défavorable en vers l’Etat français auprès de plus de 80% de la population. Des situations similaires sont également enregistrées au Tchad, au Niger, au Sénégal, au Cameroun. Le sentiment anti-français a été alimenté ces dernières années par de nombreuses “erreurs” où divers civils (notamment au Mali) ont été tués par des soldats français lors d’opérations de combat.

L’objectif de Barkhane de lutter contre le djihadisme est mis à mal par les récents rapports du journal Le Monde qui affirme que « pendant les 8 ans de l’opération Barkhane, la violence exercée par les groupes terroristes islamiques contre les populations civiles n’a -Qaïda et DAESH ont accru leur influence régionale ». Bref, Barkhane gagnerait les combats contre les terroristes mais pas la guerre. Selon Le Monde, l’objectif principal de Barkhane était de protéger les intérêts économiques français au Mali (particulièrement riche en matières premières) au Niger (monopole de l’uranium) et les investissements économiques et portuaires en Côte d’Ivoire.
L’expert Franck Cognard a exprimé un avis différent sur FranceTVinfo. «L’opération Barkhane a empêché et empêche une consolidation territoriale massive des djihadistes dans la zone sahélienne au sens large, c’est-à-dire que les militaires français contiennent, comme ils peuvent, l’extension des métastases terroristes dans les pays voisins, comme la Côte d’Ivoire. Les Français ont neutralisé des milliers de combattants d’Al-Qaïda au cours des huit dernières années. Ils ont également visé en grand nombre des dirigeants et des cadres, afin de désorganiser les rangs de l’EIGS [État islamique pour le Grand Sahara], de Daech, ou du RVIM [Rassemblement pour la victoire de l’islam et des musulmans], d’Al-Qaïda et d’autres terroristes formations », explique Cognard.

Les forces africaines pourront-elles gagner la guerre contre l’islam radical sans le soutien français ou les forces européennes Takuba ? Les contingents européens de l’opération Takuba ont été mis à disposition par : la Belgique, Danemark, Estonie, Grèce, Italie, Pays-Bas, République Tchèque, Portugal et Suède. L’expert Franck Cognard sur le sujet est très sceptique.
Malgré la contribution du Tchad (qui soutient un certain nombre d’actions antiterroristes en envoyant des troupes bien entraînées et fiables), les forces armées maliennes et ouest-africaines en général se sont révélées incapables de faire face seules. Parmi les principaux problèmes qui empêchent les armées régionales d’être vraiment dignes de confiance figurent : le manque de soldats suffisamment entraînés à la lutte contre le terrorisme, la rareté des moyens et des fonds, les rivalités entre les différentes armées qui compromettent une coordination efficace. “Macron parie sur les forces africaines mais il n’est pas sûr que les chances de leur succès soient très élevées”, estime Gognard, interprétant indirectement la pensée de l’état-major de l’armée française, modestement non externalisée dans les médias.

A la grande surprise, de nombreux Maliens interrogés par R.F.I. et Jeune Afrique s’opposent au désengagement de Macron, et donnent un bilan global positif à l’opération Barkhane, souhaitant qu’elle se poursuive. “Alors que nos soldats se plaisent à faire des coups d’Etat et à occuper des postes gouvernementaux qui ne les attendent pas, les soldats français se battent et meurent pour sauver la population malienne”, a déclaré un citoyen de Bamako à Radio France Internationale.
Mais attention à ne pas déformer la nouvelle donnée par le Président Macron. La fin des opérations militaires n’était pas déclarée. Seulement leur métamorphose pour les rendre plus efficaces. La « fin » de l’opération Barkhane prévoit la fermeture de trois des cinq bases françaises au Mali et le retrait (d’ici l’été 2022) de seulement 1 500 militaires sur les 5 000 déployés. Un deuxième retrait de 2 500 soldats est attendu en 2023.
A partir de ces précisions fournies par Elisée il est convaincu que le retrait du contingent français Barkhane n’est pas total et se fera progressivement afin de ne pas favoriser les différents groupes terroristes. A partir de 2023, deux bases militaires et 1 000 soldats français resteront actifs au Mali. Ce petit contingent sera flanqué d’un important groupe de travail d’experts et de conseillers militaires qui assisteront les armées africaines engagées dans la lutte contre le terrorisme islamique tandis qu’une augmentation des fonds à allouer pour soutenir les forces armées et de sécurité africaines est attendue. Au Mali, des experts militaires français auront pour mission de reconstruire l’armée et la police nationales, d’améliorer le recrutement, la formation et l’équipement des militaires.

En plus des experts militaires, des unités spéciales antiterroristes françaises entreront en scène pour être utilisées contre les groupes terroristes, décapitant les chefs des mouvements djihadistes les plus importants par des exécutions extrajudiciaires à l’américaine avec l’utilisation de commandos et d’attaques de drones. Une tactique moralement discutable qui risque aussi de faire des victimes civiles mais, malheureusement, une arme efficace contre les terroristes, comme tout soldat le sait depuis un certain temps.
Comme le souligne à juste titre Florence Parly, Ministre de la Denfece, la décision du Président Macron concernant l’opération Barkhane est en réalité un changement de modèle opérationnel qui prévoit également un engagement financier partagé avec les autres États membres de l’Union Européenne et des opérations militaires de défense commune avec l’opération Takuba. Dans le même temps, le gouvernement français a ouvert des négociations avec les Nations Unies pour renforcer rapidement les casques bleus onusiens de la mission de maintien de la paix MINUSMA avec environ 2 000 soldats français retirés de l’opération Barkhane qui se déploieront dans les zones les plus chaudes du nord du Mali.

Pour résumer, Macron ne met pas fin à la grande opération de confinement terroriste en Afrique de l’Ouest, ni abandonne ses alliés africains. Il rationalise le nombre de troupes françaises déployées, en s’appuyant davantage sur les armées africaines. Un bruit parcourt également les couloirs de l’Elisée, pour le moment non officiellement confirmé. Le Président Macron entend élargir le spectre des alliés occidentaux au-delà des frontières de l’UE demandant aussi le soutien de… la Russie.

Fulvio Beltrami