François à Lesbos. “Je prie Dieu mais je prie aussi l’homme. Construisons juste des barrières, ne laissons pas la mare nostrum devenir un cimetière sans pierres tombales”

“La Méditerranée, qui depuis des millénaires a uni des peuples différents et des terres lointaines, devient un cimetière froid sans pierres tombales. Ce grand bassin d’eau, berceau de nombreuses civilisations, ressemble désormais à un miroir de mort. Ne laissons pas la mare nostrum se transformer en une mare mortuum désolante, que ce lieu de rencontre devienne le théâtre de l’affrontement! Ne laissons pas cette mer de souvenirs se transformer en mer d’oubli. S’il vous plaît, arrêtons ce naufrage de la civilisation!”

“Je prie Dieu de nous réveiller de l’oubli pour ceux qui souffrent, de nous secouer de l’individualisme qui exclut, d’éveiller les cœurs sourds aux besoins des autres”. C’est l’invocation du Pape François lors de sa visite aux réfugiés à Lesbos (Grèce), au Centre d’accueil et d’identification, camp de Mavrovouni.

“Et je prie aussi – a dit le Pape – homme, tout homme : surmontons la paralysie de la peur, l’indifférence qui tue, le désintérêt cynique qui condamne à mort les marginaux avec des gants de velours !”.

Nous sommes confrontés “aux causes lointaines, pas aux pauvres qui paient les conséquences, même utilisés à des fins de propagande politique”. Ainsi, au lieu d’arrêter les urgences, la “ghettoïsation” est surmontée et “l’intégration indispensable” est favorisée. Regardez les visages des enfants qui interrogent les consciences, puis demandent, sans fuir “précipitamment les images crues de leurs petits corps gisant inertes sur les plages”, a ajouté le Pontife qui a poursuivi avec force: “Contrer la pensée dominante à son racine, celle qui tourne autour de soi, de ses égoïsmes personnels et nationaux, qui deviennent la mesure et le critère de tout”.

De retour sur l’île égéenne après cinq ans à la rencontre de l’humanité blessée des migrants, Bergoglio a lancé son cri: “Qui rejette les pauvres rejette la paix”. L’avenir “ne sera pacifique que s’il est intégré”.

Avant de prononcer son discours, le Pape a traversé le champ, le long du chemin de terre qui passe entre les conteneurs qui le composent, entre lui et les migrants il n’y a pas de distance, il touche ses mains, sourit, écoute des histoires et des demandes, caresse et il embrasse les enfants qui lui tendent les bras, toujours entourés de chaleur et de sourires, mais aussi du mur et des barbelés qui enserrent ces personnes, comme l’un des camps de concentration dont François avait déjà parlé à Chypre.

Au centre d’accueil et d’identification, il a été accueilli par les chants de certains des invités du camp et par le salut du président qui raconte comment la Grèce a supporté le « fardeau disproportionné de la crise de l’immigration et des réfugiés, qui affecte l’ensemble de Méditerranée, la mer qui nous unit », et comment y faire face est “une responsabilité partagée de l’Europe”.

La réponse du Pape a été d’emblée celle de la dénonciation, car la migration est “une crise humanitaire qui touche tout le monde”, il invoque la solidarité du monde, car si d’autres défis mondiaux comme la pandémie ou le changement climatique voient quelque chose bouger, il n’en va pas de même avec en ce qui concerne les migrations.

“Il y a des gens en jeu, il y a des vies humaines en jeu ! L’avenir de chacun est en jeu, qui ne sera pacifique que s’il est intégré. Ce n’est que s’il est réconcilié avec les plus faibles que l’avenir sera prospère. Parce que quand les pauvres sont rejetés, la paix est rejetée. Les fermetures et les nationalismes – l’histoire nous l’apprend – ont des conséquences désastreuses”.

François a donc demandé de suivre les enseignements de l’histoire et d’adopter des politiques d’envergure: “Ne tournez pas le dos à la réalité, arrêtez le rebond continu de la responsabilité, ne déléguez pas toujours la question migratoire à d’autres, comme si personne ne s’en souciait et c’est juste un fardeau inutile que quelqu’un est obligé d’endosser!”.

Et parmi les témoignages présentés au Pape Bergoglio, le plus marquant est celui de Christian Tango Mukaya, 30 ans, originaire de la République Démocratique du Congo, à Lesbos avec ses deux enfants mais séparé de sa femme et du troisième de ses enfants dont il n’a plus a des nouvelles depuis un an. L’histoire qu’il a racontée en français est celle d’un voyage à travers “d’énormes difficultés” et se confond avec la gratitude et la foi. Il s’est adressé au pape comme à un “père” inquiet pour ses “enfants migrants et réfugiés”. L’homme a remercié le gouvernement et le peuple grec dont, malgré les difficultés, il a eu un logement, des soins et “un peu de paix”, en particulier de la paroisse catholique locale qui “l’aimait comme un enfant” et lui a donné un endroit pour prier. La foi est apparue solide chez ce jeune homme: la persécution et les menaces de mort de son pays qui ont fait de lui un pèlerin en quête d’asile, mais dans les moments difficiles il s’est confié à Dieu et grâce à la puissance de la prière et l’intercession de la Vierge Marie a été capable de surmonter les difficultés.

Lors de sa première visite à Lesbos il y a cinq ans, le Pape était accompagné du patriarche œcuménique Bartholomée et de Ieronymos, archevêque d’Athènes et de toute la Grèce. François est revenu sur ces moments, notant que depuis lors “peu de choses ont changé sur la question migratoire”, il remercie les personnes impliquées dans la prise en charge des migrants et les personnes et les autorités de Lesbos qui ont enduré des sacrifices et ont accueilli et remercié toute la Grèce pour un l’accueil “ce qui devient un problème car bien des fois il ne trouve pas d’issue pour que les gens aillent ailleurs”. La Grèce, cependant, comme d’autres pays, “est toujours sous pression” et alors qu’en Europe il y a ceux qui continuent à traiter le problème comme s’il ne les concernait pas, les migrants vivent dans “des conditions indignes de l’homme!”. « Combien de hotspots où migrants et réfugiés vivent dans des conditions à la limite, sans entrevoir de solutions à l’horizon ! sauvegardées, et la dignité de chacun doit être mise avant tout ! Il est triste d’entendre, comme solutions, l’utilisation de fonds communs pour construire des murs”.

Plutôt que d’instiller la peur de l’autre dans l’opinion publique, il faut parler d’« exploitation des pauvres, de guerres oubliées et souvent somptueusement financées, d’accords économiques passés sur la peau du peuple, de manœuvres occultes pour faire passer des armes et fabriquer des leur commerce prolifèrent”. “La foi – a rappelé le Pape à chaque croyant – n’est pas l’indifférence qui se justifie même au nom de prétendues valeurs chrétiennes”, mais c’est la compassion et la miséricorde, qui ne sont pas “une idéologie religieuse, mais sont des racines chrétiennes concrètes”.

Enfin, François a également a tourné sa pensée vers toutes les femmes enceintes qui “ont trouvé la mort à la hâte et en voyage alors qu’elles portaient la vie”, se tournant vers Notre-Dame, afin qu’elle soit “celle qui enseigne à faire passer la réalité de l’homme avant les idées et idéologies, et de prendre des mesures rapides envers ceux qui souffrent”.