Guerre civile au Tigré, la situation sur le terrain (Fulvio Beltrami)

Nous sommes au 165e jour de la guerre civile au Tigray. Le blitzkrieg du Premier Abiy Ahmed Ali s’est transformé en un conflit de longue durée. Malgré la promesse du Premier Ministre éthiopien d’un retrait des troupes érythréennes, de nouvelles divisions envoyées par le régime d’Asmara sont entrées dans le Tigray pour remplacer celles envoyées en Oromia pour faire face à l’offensive militaire du Front de Libération d’Oromo à 70 km de la capitale Addis-Abeba.
Les innombrables preuves de crimes de guerre, de violences sexuelles et de nettoyage ethnique mettent le Premier Ministre Abiy Ahmed Ali dans de graves problèmes, qui, légalement, risque d’être inculpé de crimes contre l’humanité et de tentative de génocide.

Le conditionnel est utilisé parce que, malheureusement, la justice internationale suit souvent des logiques politiques de commodité géostratégique.
La troisième offensive lancée par l’armée érythréenne à Pâques s’est déjà échouée. Le TDF (Tigray Defenses Forces) ont réussi à l’arrêter et à faire des contre-offensives dans certaines zones. La capacité militaire du TDF semble intacte ainsi que les voies de ravitaillement qui, à ce jour, restent inconnues. Des rumeurs font état d’une quatrième offensive des troupes érythréennes et de l’armée fédérale dans les zones centrales du Tigray où le TDF contrôle le territoire et lance ses attaques.

Le TDF, jusque-là majoritairement contrôlé par le Front Populaire de Libération du Tigré (TPLF), reçoit désormais également le soutien de trois partis d’opposition régionaux: le Baytona National Congress of Great Tigray, le Tigray Independence Party (TIP) et Salsay Weyane Tigray (SAWET). Le soutien aux forces armées Tigrinya et la lutte de résistance de ces trois partis sape l’hégémonie du TPLF sur l’appareil de défense régional, augmentant le soutien populaire. Malheureusement, les trois partis d’opposition promeuvent une politique extrémiste et hyper nationaliste dans le but de faire du Tigray un État indépendant. Leur participation à la lutte de résistance pourrait faire basculer la direction du TPLF vers un choix indépendantiste, amorçant ainsi le processus de balkanisation de l’Éthiopie.

Quelle est la situation réelle sur le terrain et quelles sont les tactiques gagnantes promues par les deux parties qui s’affrontent dans la région nord de l’Éthiopie?
Une série d’informations provenant de sources diverses et diversifiées, nous offre un tableau, peut-être partiel, mais clarifiant la guerre civile complexe au Tigray.

L’Érythrée et l’Éthiopie ont besoin d’une défaite totale des forces TDF. La pression internationale obligera les troupes érythréennes à préparer une sorte de retrait, mais seulement après la défaite des forces TDF, permettant à la faible armée fédérale éthiopienne de contrôler la région et de contenir les dernières poches de résistance Tigrigna.
Diverses sources parlent d’un changement stratégique dans la tactique des troupes érythréennes et fédérales. Jusqu’à présent, les trois grandes offensives (toutes échouées) ont été lancées à partir de la capitale fédérale Mekelle. Désormais, la quatrième offensive sera lancée sur le Tigré central à partir de la ville de Gondar dans l’État d’Amhara. Parallèlement à cette offensive, nous assistons à la tentative du TPLF de sortir du bastion du centre du Tigray, mise en œuvre par une série d’attaques au sud et au nord.

L’armée fédérale ne connaît toujours pas les voies d’approvisionnement utilisées par les forces TDF pour poursuivre la guerre. Malgré la reconquête de certaines villes à l’est, le TDF ne parvient pas à pousser l’offensive plus loin car les forces érythréennes ont réussi à créer une ligne de front stable pour bloquer l’avancée du TPLF.

Les unités de l’armée fédérale se retirent de Mekelle, entrant dans la région voisine d’Amhara pour se concentrer dans la ville historique de Gondar. L’offensive sera lancée après avoir rejoint à Gondar les divisions érythréennes et les unités des miliciens Amhara. L’offensive est menée par le général éthiopien Birhanu Jula et son homologue érythréen: le général Filipos Wekdeyohanes. Les deux chefs militaires se sont rencontrés il y a deux jours à Asmara, en Érythrée.

Pour contrer la quatrième offensive, on a l’impression que le TDF et le TPLF travaillent de concert avec le mouvement de guérilla oromo: l’Armée de Libération d’Oromo. Depuis le vendredi 16 avril, l’OLA a lancé une série d’attaques dans l’État d’Amhara, forçant les autorités fédérales à envoyer des troupes pour contenir les rebelles oromo, au lieu de les concentrer pour l’offensive sur le Tigray central. En ce moment, des combats ont lieu dans quatre districts d’Amhara et font un grand nombre de victimes civiles.

L’armée érythréenne et les troupes fédérales éthiopiennes sont également impliquées dans le conflit d’Oromia. Des affrontements violents sont enregistrés dans les régions occidentales d’Oromia. Cette ingérence du deuxième groupe d’opposition armé qui s’est rebellé contre le gouvernement central à Addis-Abeba pourrait interférer avec la quatrième offensive militaire depuis Gondar. Cependant, il y a des rapports de certains affrontements entre les forces TDF et le contingent éthiopien-érythréen dans deux zones du centre du Tigray. On pense que les affrontements sont mis en œuvre pour comprendre la capacité défensive du TPLF.

Vendredi 16 avril au Conseil de Sécurité des Nations Unies L’Érythrée a publiquement reconnu pour la première fois que ses troupes étaient impliquées dans le conflit au Tigray.

L’admission, publiée en ligne par le Ministère de l’Information de l’Érythrée, intervient le lendemain du jour où le chef de l’aide humanitaire de l’ONU, Mark Lowcock, a déclaré qu’il n’avait vu aucune preuve que les soldats érythréens se retiraient. Pour justifier la présence de son armée au Tigray, le régime dictatorial d’Asmara a repris la théorie du complot énoncée par le Premier Ministre éthiopien il y a trois semaines. Le TPLF préparait une guerre totale pour reprendre le pouvoir en Éthiopie et, par la suite, conquérir l’Érythrée. L’attaque du Tigray était donc une mesure préventive obligatoire. Cette théorie n’est pas étayée par des preuves.

Cependant, le régime d’Asmara continue de nier les preuves de crimes contre l’humanité. «Nous avons entendu de fausses accusations concertantes l’utilisation de la violence sexuelle et de la faim comme armes de guerre. Les allégations de viols et autres crimes contre les soldats érythréens sont non seulement scandaleux, mais aussi une attaque féroce contre la culture et l’histoire de notre peuple », a déclaré l’ambassadrice des Nations Unies en Érythrée Sophia Tesfamariam aux médias occidentaux.

L’Ambassadeur a également annoncé: “L’Érythrée et l’Éthiopie sont convenues – au plus haut niveau – d’entreprendre le retrait des forces érythréennes et le redéploiement simultané des contingents éthiopiens le long de la frontière internationale” sans toutefois fournir de calendrier précis. Le retrait des troupes érythréennes cache un truc. Personne ne sait combien de divisions d’infanterie, de divisions mécanisées et d’unités d’élite de l’armée érythréenne sont présentes au Tigray. Cela nous empêche de surveiller le retrait et de comprendre si le retrait est réel ou de façade. Il est hautement improbable que l’armée érythréenne puisse se retirer d’Éthiopie sans tenter d’infliger une défaite quasi finale au TPLF et à la résistance oromo de l’OLF-OLA.

Une nouvelle choquante vient de la Commission électorale éthiopienne (NEBE National Electoral Board of Ethiopia) sur la préparation des élections locales prévues le 5 juin 2021. Dans l’état actuel d’insécurité et de guerre civile, le NEBE informe qu’il sera possible d’organiser des régulières consultations dans seulement 25 000 sièges sur 50 000 existant dans tout le pays. Le Tigray est automatiquement exclu de l’administration. L’exclusion pourrait également concerner Oromia s’il n’est pas possible de vaincre les forces rebelles OLF-OLA d’ici mai prochain. Il va sans dire qu’au Tigray et à l’Oromia, le parti du Premier ministre éthiopien, le Parti de la Prospérité, subirait une lourde défaite électorale.

Des militants de la société civile éthiopienne rapportent que le Parti de la Prospérité a déjà commencé sa campagne électorale (quoiqu’officieusement), en utilisant des moyens coercitifs. On parle d’achat et de vente de votes et de coercition.
Y aura-t-il un gagnant? Pour le moment, tous le prétendants ont subi de lourdes pertes en hommes, en armes et en équipement. Pour le TPLF c’est devenu une lutte pour sa survie politique tandis que pour la population du TIgray une lutte pour ne pas subir de génocide, déjà annoncée par les nombreux nettoyages ethniques et la destruction du patrimoine culturel du Tigray. Une défaite militaire au Tigré est impensable pour l’Érythrée, ce qui remettrait en question le plan du dictateur Isaias Afwerki de domine régionale et pourrait déclencher une révolution dans son pays.

Le Premier Ministre Abiy est conscient qu’une défaite au Tigré représenterait la fin de sa carrière politique et la balkanisation du pays. Beaucoup de sang innocent continuera de couler en Éthiopie.

Fulvio Beltrami