Guinée Conakry. Le nouveau conseil promet la passation des pouvoirs. Condé tente d’échapper à la justice. Les ambiguïtés de l’UA (F. Beltrami)

Huit jours après avoir pris le pouvoir, la junte militaire prend des mesures forcées pour créer un gouvernement de transition contrôlé par des civils. «La destitution d’Alpha Condé était nécessaire car son leadership était caractérisé par la corruption, le détournement des richesses nationales et le tribalisme qui ont accru la pauvreté et bloqué le développement du pays. Des réformes radicales sont désormais nécessaires tant au niveau institutionnel que dans le concept d’administration de la Guinée Conakry. Rien qu’en observant l’état de nos rues, de nos hôpitaux, de nos écoles, nous comprenons la nécessité d’agir», a déclaré «Le Colonel» (Mamady Doumbouya) dans un discours à la nation prononcé samedi 11 septembre.

«Pour le moment, la population est contente de la destitution d’Alpha Condé mais cette euphorie ne durera pas longtemps. Les Guinéens veulent des actions concrètes de la parte de la junte militaire, un vrai changement et un transfert rapide du pouvoir aux civils», affirme un éditorial du principal quotidien d’opposition FocusGuinee.
Sur le plan politique, le nouvel homme fort de la Guinée a libéré 79 prisonniers politiques dont les célèbres leaders de l’opposition Oumar Sylla (alias Fonikè Mangué), Abdoulaye Bah et Ismaël Condé, avec l’espoir de les associer au gouvernement de transition. Il a renvoyé les policiers à la caserne, interrompant l’état de siège (non déclaré) voulu par le président corrompu en octobre dernier après la victoire électorale contestée qui lui avait assuré un troisième mandat non prévu par la Constitution.

Pendant près d’un an, les unités de police ont réprimé toutes les manifestations et tué des dizaines de militants des partis d’opposition. Il a ordonné à la police de quitter les locaux du siège du parti UFDG (Union des Forces Démocratiques de Guinée) occupés en novembre 2020 pour empêcher l’organisation de manifestations populaires après l’arrestation de son chef: Cellou Dalein Diallo (né en 1952) ancien Premier Ministre de 2004 et 2006 et candidat principal aux élections d’octobre 2020.
Sur le plan sécuritaire, Le Colonel a invité la population à arrêter les manifestations de soutien à la junte militaire afin de ne pas créer de frictions entre cette tranche de citoyens qui soutiennent toujours l’président. Le colonel Mamady a suspendu et radié deux officiers des forces spéciales accusés de vandalisme et de pillage pendant le coup d’État.

Il a également activé un numéro sans frais (le 100) pour permettre aux citoyens de signaler tout abus commis par les soldats et la police. «Le temps de l’impunité est terminé. Nos soldats et policiers doivent être au service de la République et du peuple, et non des instruments de répression. Désormais, ils seront soumis au contrôle des citoyens. Tous abus signalé, s’ils sont prouvés, seront sévèrement punis», a déclaré Mamady Doumbouya. Des purges sont attendues au sein de l’armée et de la police visant les officiers suspectés de défendre «l’ancien régime».
Sur le plan économique, la junte militaire, après avoir pris le contrôle de la Banque Centrale et gelé tous les comptes des ministres de Condé, a confisqué leurs passeports pour empêcher leur fuite. Beaucoup d’entre eux feront face à des procès pour corruption. La junte a également invité les commerçants et entrepreneurs guinéens et étrangers à reprendre leurs activités en toute tranquillité, assurant qu’ils ne seront plus victimes de corruption. Mamady a annoncé que tous les contrats miniers en cours seront honorés en appelant les multinationales à rétablir leurs activités. La Guinée Conakry est l’un des principaux producteurs africains de bauxite.

Le Colonel a publié un calendrier complet de rencontres avec toutes les forces politiques, sociales, religieuses et économiques du pays pour procéder par étapes forcées à la création d’un gouvernement de transition dirigé par des civils avec pour mission de stabiliser l’économie, de moraliser le pays et convoquer de nouvelles élections. « Je n’ai pas entrepris cette aventure au nom d’une ethnie ou pour des intérêts personnels. Je n’ai pas besoin de partisans pour me soutenir sur les places. J’ai pris le pouvoir pour faire décoller le développement économique et social de notre pays et j’ai besoin du soutien de tous les groupes sociaux guinéens», a déclaré Mamady, tout en restant réservé sur sa possible participation au gouvernement de transition.

Mardi 14 septembre, la junte rencontrera tous les partis politiques, les représentants des 4 régions, les chefs des différentes confessions religieuses. Le lendemain : représentants de la société civile, missions diplomatiques étrangères, et représentants de la diaspora guinéenne à l’étranger. Jeudi sera le tour des organisations patronales et multinationales opérant dans le pays. Le vendredi 17, il y aura des réunions avec les dirigeants syndicaux, les directeurs des banques et des coopératives de microfinance.

Une commission mixte pour la création d’un gouvernement de transition sera mise en place la semaine prochaine à l’issue de ces réunions. Le procès sera supervisé par le chef d’état-major des armées, le Général Namory Traoré.
L’ancien président est en état d’arrestation dans une caserne. Il y a deux jours, Condé a posé les conditions de sa démission alors qu’il est officiellement toujours en fonction. Sa libération immédiate. Immunité contre toutes mesures judiciaires contre sa personne. Déblocage des comptes bancaires personnels. Droit de vivre en Guinée après sa démission avec tous les honneurs et privilèges de son rang d’ancien chef de l’Etat. Les conditions de Condé ont été rejetées en bloc par la junte militaire, qui est susceptible de le juger pour des crimes économiques et civils commis pendant son mandat présidentiel.
Une mission diplomatique de la CEDEAO, dirigée par Jean-Claude Kassi Brou, est arrivée vendredi 10 septembre à Conakry pour s’assurer de la santé de Condé et demander à la junte militaire sa réinstallation immédiate à la présidence. Demande rejetée par le Colonel Mamady.

Face à ce «manque de coopération des putschistes», le CEDEO et l’Union Africaine (basée à Addis-Abeba, en Éthiopie) ont décidé de suspendre la Guinée Conakry en tant qu’État membre jusqu’à ce que le président Condé soit libéré et reprenne ses fonctions. La demande de lui réinstaller comme président est théoriquement soutenue par les États-Unis et la France. Compte tenu des liens du Colonel Mamady avec ces deux pays (ainsi qu’avec l’Italie), ces déclarations semblent n’être qu’une façade.

La position prise par l’Union Africaine et la décision de suspendre la Guinée Conakry mettent en évidence l’échec de cette institution supranationale et son incapacité à contribuer au développement économique, à la démocratie et au respect des droits humains sur le continent africain. A noter que l’UA défend un président corrompu qui a traumatisé et violé sa population afin de voler les richesses nationales en toute tranquillité mais n’a pas prononcé un seul mot de condamnation pour le régime du Premier Ministre éthiopien Abiy Ahmed Ali. Depuis novembre 2020, le gouvernement éthiopien massacre sa population, après avoir déclenché deux guerres civiles au Tigray et en Oromia et permis à l’une des dictatures africaines les plus brutales (Erythrée) de participer à la guerre et de massacrer la population. La Guinée Conakry et l’Éthiopie sont les exemples les plus frappants de l’échec total du rôle de l’Union Africaine sur le continent.

La décision de Le Colonel de ne pas céder aux exigences provocatrices de l’UA et de la CEDEAO a été partagée et soutenue par la majorité de la population, les partis politiques, la société civile et les intellectuels. «Alpha Condé ne doit pas être libéré. Il doit être traduit en justice. Les Guinéens ne doivent pas écouter la CEDEAO et l’Union Africaine venues dans notre pays pour sauver leur petit ami. CEDEAO e l’Union Africaine sont simplement des clubs de dictateurs et de présidents corrompus. Alpha Condé a trahi le peuple guinéen et pour cela il doit être jugé pour ses crimes en Guinée ou, à défaut, par la Cour Pénale Internationale», a déclaré Tiken Jah Fakoly, célèbre homme de reggae et militant politique guinéen.

Le célèbre écrivain guinéen Tierno MO Nornembo explique pourquoi Alpha Condé ne peut pas être libéré mais, au contraire, doit être jugé pour ses crimes. «Alpha Condé a toujours une grande capacité de créer de graves problèmes. Il a des sommes colossales en monnaie précieuse dans ses comptes à l’étranger. Il possède des amis très puissants en Afrique, en Chine, en Russie, en Turquie et aux Nations Unies, de l’Union Africaine et CEDEAO. À l’occasion minimale, il recrutera une armée de mercenaires pour reconquière le pouvoir. Mon cher Colonel Mamady, connaissez-vous mieux que quiconque Alpha Condé. Vous savez à quel point est vengeant. Si vous lui libérez, si vous vous lui permettez d’aller en exil, vous vous retrouverez avec la corde à cou».

Fulvio Beltrami