Les déclarations malheureuses (pro régime) du Délégué de l’UE au Burundi Claude Bochu et l’analyse de l’ACAT sur la situation actuelle dans le pays (F. Beltrami)

Le message de fin d’année de la Délégation de l’Union européenne au Burundi signé par le représentant européen Claude Bochu a suscité de nombreuses discussions même à Bruxelles. Le message adressé aux autorités burundaises (à partir de 2020 en fait une junte militaire mafieuse née du régime du défunt dictateur Pierre Nkurunziza) contenait un contenu extrêmement conciliant, voire amical, jugé inapproprié selon les diktats d’une diplomatie objective et sobre. La junte militaire est saluée pour les réformes et les progrès du “gouvernement”, espérant une reprise rapide des relations Burundi-UE interrompues en 2016 en raison des crimes contre l’humanité commis à partir de 2015.

Le message diplomatique anormal de Bochu se brise contre la réalité répressive du régime. Toutes les principales organisations internationales de défense des droits de l’homme s’accordent à dire qu’il existe une continuité des méthodes répressives et criminelles du régime passé et celui actuel. Le soi-disant «vent de réforme» ou «ouvertures démocratiques» fantômes ne sont qu’un théâtre bien conçu par le régime et ses conseillers occidentaux axés idéologiquement sur HutuPower, le pouvoir racial absolutiste intrinsèque dans le DNA du parti au pouvoir: le CNDD-FDD.

L’association américaine de défense des droits humains Human Rights Watch a invité la communauté internationale à suivre la situation préoccupante des droits humains au Burundi, en accordant une attention particulière aux violations en cours et à la responsabilité. “Les incidents de sécurité et les rapports sur les meurtres, les disparitions et les arrestations arbitraires se sont poursuivis au Burundi malgré les espoirs initiaux de réforme suite à l’élection d’un nouveau président en mai 2020”. Affirme HRW.

Le rapport de septembre 2020 sur la situation des droits de l’homme de la Commission d’Enquête des Nations Unies sur le Burundi confirme les plaintes des associations, de l’opposition, de la société civile et des citoyens ordinaires sur les nombreuses violations des droits de l’homme promues et encouragées par le gouvernement burundais. Les membres de la Commission se sont déclarés «extrêmement préoccupés» par le nouveau président Evariste Ndayishimiye.

Alors qui a raison? Le représentant européen Claude Bochu au Burundi qui voit des aperçus du changement et la possibilité de reprendre les relations et la coopération économique entre l’UE et la junte militaire ou les associations internationales et l’opposition burundaise qui dénoncent ouvertement une continuité idéologique et criminelle entre l’ancien régime de Nkurunziza et l’actuel du Général Neva, nom de guerre d’Evariste Ndayishimiye?

Pour tenter d’offrir aux lecteurs une réponse à cette question cruciale détachés aux alignements politiques et super partisans, nous avons contacté ACAT ITALIA, Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture, qui a gentiment offert une analyse précise de la situation actuelle au Burundi que nous avons l’honneur de vous proposer.

ACAT Italia est une association chrétienne œcuménique qui agit contre la torture et la peine de mort en s’engageant à travailler aux côtés de tous ceux qui ont les mêmes objectifs et promeuvent les Droits de l’Homme dans le monde. L’ACAT Italia fait partie de la FIACAT (Fédération internationale des ACAT), une organisation non gouvernementale (ONG) dotée du statut d’observateur auprès des Nations Unies, du Conseil de l’Europe et de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples qui regroupe les Les ACAT sont dispersés dans le monde entier.

DROITS DE L’HOMME AU BURUNDI – PAS DE DISCONTINUITÉ AVEC LE RÉGIME PASSÉ Organisé par ACAT ITALIA

Le 24 décembre 2020, par surprise, le nouveau président du Burundi, Évariste Ndayishimiye, décide de gracier Christine Kamikazi, Agnès Ndirubusa, Egide Harerimana et Térence Mpozenzi, journalistes d’Iwacu, l’un des rares médias indépendants restants dans le pays. Les 4 ont été arrêtés le 22 octobre 2019 et condamnés à deux ans et demi de prison à la suite d’une procédure judiciaire inéquitable.

L’accusation? Un script largement rejoué: “menace pour la sécurité de l’Etat”. En octobre de l’année dernière, pas moins de 65 organisations, dont la FIACAT (Fédération Internationale des ACAT), s’étaient mobilisées pour exiger leur libération, soulignant à quel point l’arrestation arbitraire des 4 journalistes était une fois de plus un avertissement pour les habitants du pays, cherchant à exercer le droit à la liberté de pensée et d’information.

La position du nouveau président en vers les 4 accusés, aux yeux de certains commentateurs aurait tenté de marquer un changement de rythme par rapport à l’ancien régime, démontrant ainsi aux puissances occidentales la bonne volonté en matière de protection des droits de l’homme.
Un signe de vrai changement? Selon Armel Niyongere, actuel présidente ACAT Burundi, pas exactement: «Franchement jusqu’à présent, nous n’avons vu aucun changement par rapport au régime précédent: les violations massives des droits de l’homme continuent d’être perpétrées dans la plus grande impunité . ” Il affirme.

«Lorsque nous parlons de violations, nous entendons spécifiquement – explique-t-il – les atteintes au droit à la vie, les enlèvements et / ou les disparitions forcées, les violences sexuelles sexistes, la torture, les arrestations et détentions arbitraires, principalement contre des membres de partis politiques de l’opposition, entre autres. ceux du Conseil National de la Liberté (CNL), d’anciens militaires des ex FAB (Forces armées burundaises) ou d’anciens policiers et jeunes ethnies tutsies.

Ces actes sont régulièrement commis par des membres de la milice Imbonerakure, affiliée au parti au pouvoir CNDD FDD, des policiers, des agents du Service national des renseignements (SNR) et des membres administratifs du même parti. En effet, rien qu’en 2020, les organisations de la société civile, dans un rapport rendu public en décembre dernier, ont enregistré 368 meurtres (soit au moins 1 meurtre par jour), dans diverses circonstances, 182 cas de torture, 59 enlèvements parfois suivis de meurtres, disparitions, 821 arrestations arbitraires et 33 cas de violence sexuelle contre les femmes et les filles. Toutes les violations sont commises en toute impunité. ”

Armel Niyongere, comme les autres membres de l’ACAT Burundi, vit en exil depuis 2015, lorsque l’ancien ministre de l’Intérieur a décidé d’interdire quatre organisations actives dans la défense des droits de l’homme, néanmoins, il continue de surveiller et de dénoncer les crimes perpétrés dans le pays. Dans le rapport détaillé , rendu public en décembre de l’année dernière et dressé par 15 organisations, le portrait d’un pays profondément battu et déçu par un changement illusoire de direction se dégage.

A titre d’exemple, il suffit de consulter le bulletin des violations enregistrées au cours des 100 premiers jours (à partir du 18 juin) de la nouvelle présidence, par la Ligue Iteka, organisation historique burundaise de défense des droits de l’homme: 203 personnes tués, dont 78 cadavres trouvés abandonnés dans différents endroits, 16 personnes enlevées de force, 28 victimes de violences sexuelles, 44 torturées et 417 arrestations arbitraires. Des chiffres qui marquent l’horreur, mais que le gouvernement rejette comme faux, poursuivant, comme la précédente, la campagne visant à discréditer amenée pare les lobbies des défenseurs des droits humains.

Germain Rukuki toujours en prison

A cet égard, le cas de Germain Rukuki, membre de l’ACAT Burundi, employé par l’Association des juristes catholiques du Burundi et président de Njabutsa Tujane (Association pour la lutte contre la pauvreté) continue d’être représentatif. Germain a été arrêté le 13 juillet 2017 à son domicile de Bujumbura et en avril 2018, condamné à 32 ans d’emprisonnement pour de très lourdes charges: attaque contre le chef de l’Etat, rébellion, participation à un mouvement insurrectionnel et atteinte à la sécurité intérieure de l’Etat. L’une des peines les plus sévères infligées à un défenseur des droits humains, également dans ce cas, un avertissement à tous les autres.

L’affaire de Germain a été marquée d’emblée par une série d’irrégularités de procédure et la violation flagrante de son droit à un procès équitable, à tel point qu’en juin 2020, la Cour Suprême a décidé de renverser l’arrêt de la Cour de Justice acceptant l’appel présenté par la défense. La date de la nouvelle audience est toujours attendue. Les appels répétés que la FIACAT, l’ACAT toutes et de nombreuses ONG, la communauté internationale ont adressées ces dernières années aux institutions burundaises (dont le dernier en décembre 2020)n’ont pas eu les effets escomptés. Germain est en prison depuis maintenant trois ans et tout au long de cette période, il a également été privé de la possibilité de voir sa famille.

Le rôle de la communauté internationale

En septembre de l’année dernière, la commission d’enquête mandatée par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a présenté son deuxième rapport. Il y est souligné à maintes reprises comment la caractéristique la plus saillante et la plus inquiétante est donnée par la restriction continue et persistante de l’espace démocratique à l’intérieur du pays, également donnée par la concentration du pouvoir entre les mains des seuls membres du parti au pouvoir (beaucoup appartenant à l’ancien établissement et responsable de multiples violations déjà en 2015) tandis que, d’autre part, les partis d’opposition, la presse et la société civile sont réduits au silence. La condition d’impunité absolue, indique le rapport, qui couvre les responsables de crimes contre les droits de l’homme, il continue de marquer la continuité totale entre l’ancien et le nouveau gouvernement.

Il est à espérer que le renouvellement du mandat de la Commission pour une autre année, décidé en octobre dernier, servira à garder les projecteurs sur un pays où les crimes contre les droits de l’homme sont à l’ordre du jour et, comme le souhaitent les organisations burundaises et de nouveaux partenaires du Burundi à exercer leur influence pour contraindre les décideurs politiques à un réel changement de rythme et à respecter les principes inscrits dans la Constitution ainsi que les traités internationaux signés.

Mais un rôle important appartient également à la société civile, a fait remarquer Massimo Corti, président de l’ACAT Italia. “Il est nécessaire que les ONG et associations, du monde entier, continuent de faire entendre leur voix et leur proximité avec ceux à l’intérieur et à l’extérieur du Burundi qui luttent pour les droits de l’homme et pour l’ensemble du peuple burundais.”