Les non-dits de la communauté internationale sur la RDC et leurs conséquences pour la paix dans la Région des Grands Lacs (A. Rossi)

On est souvent amené à considérer la communauté internationale (CI) comme si c’était l’Occident, ignorant que diverses organisations et pays du Sud en font partie (ce qu’on appelait autrefois, avec une expression péjorative, le “Tiers Monde”). Ceci est particulièrement vrai pour l’Afrique et ses différentes instances régionales (CEDEAO, EAC, CIRGL, SADC…). La communauté internationale n’est pas un tout politiquement homogène. A l’intérieur, les orientations sont tellement différentes qu’en parler comme d’un bloc unitaire peut induire en erreur.

Cependant, dans le cas de la République Démocratique du Congo (RDC), les différentes composantes de la CI tendent à harmoniser leurs intérêts et leurs points de vue depuis une vingtaine d’années. Un comportement qui, au-delà des nombreuses initiatives diplomatiques et communicationnelles, se manifeste en présentant ce pays comme une victime de ses voisins. Cette attitude est en phase avec l’existence, chez la plupart des Congolais, d’une perception commune qui les conduit également à se positionner en tant que victimes.

Cependant, et pour remettre les choses à leur place, rappelons le rôle joué par la RDC depuis 1994 et après le génocide d’un million de Tutsis au Rwanda, alors que le pays s’appelait encore Zaïre. Un rôle largement méconnu de l’opinion publique internationale mais aussi nationale.

En fait, nous avons l’impression de vouloir ignorer les relations étroites entre le Zaïre de l’époque du dictateur Mobutu et le régime rwandais sous la présidence de Habyarimana, pendant et pour qui le génocide a été perpétré. Les relations entre les deux hommes forts étaient plus que bonnes, comme elles l’étaient avec la France de Mitterrand. Alliés en politique étrangère et unis par une gestion despotique du pouvoir, les deux présidents entretiennent de solides liens d’amitié personnelle entre eux et leurs familles.
On cite comme emblématique la concession par Mobutu à son homologue d’un terrain de 10 000 hectares dans le territoire de Lubero, situé dans la province orientale du Nord-Kivu. Un espace encore occupé aujourd’hui par les rebelles hutus rwandais des Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR), dont les chefs figurent parmi les responsables de l’extermination de 1994.

Il faut aussi rappeler que ces derniers – en l’occurrence en tant que membres des ex-Forces armées rwandaises (FAR) et de leurs milices interhamwe alliées – ont été exfiltrés au Kivu, avec armes et bagages, protégés par une masse de cinq millions d’exilés et surtout par la complicité des Nations Unies (ONU), de la France et du Zaïre. Et ils sont devenus un facteur d’instabilité et de violence permanente, principal moteur de la crise qui perdure à ce jour.

Malheureusement ces événements, lorsqu’ils ne sont pas ignorés, sont devenus un détail de l’histoire, et ce malgré le fait que leurs conséquences, on l’a vu, sont palpables et présentes dans les développements actuels de la situation.

Il ne faut pas non plus oublier, en ce qui concerne les relations ultérieures entre l’ex-Zaïre devenu RDC et le Rwanda sous le nouveau régime du Front Patriotique Rwandais (FPR) qui avait vaincu les forces génocidaires, que les deux pays ont signé le 1er août 2002 , l’Accord de Pretoria à l’issue de la guerre qui les avait opposés entre 1998 et 2002. Kigali s’y engagea à retirer ses troupes du Congo et de Kinshasa pour désarmer et ramener les FDLR au Rwanda qui… vingt ans plus tard elles sont toujours dans le RDC et continuent de représenter une menace pour le pays voisin et un danger pour les populations congolaises.
Au-delà de la reconstruction historique, nous voudrions ici attirer l’attention sur la fabrication d’un récit porteur de haine et de conflits, dont l’un des points principaux est le récit des prétendus “4 millions de morts” (chiffre qui augmente de jour en jour avec des tensions croissantes…), causées par ce qu’on a appelé la « deuxième guerre du Congo » (1998-2002). Dans ce récit, le rôle assigné au Rwanda est celui de l’agresseur, sur qui est portée la responsabilité de tant de victimes. Et d’où l’émergence d’un fort courant xénophobe et haineux contre les populations congolaises rwandophones vivant au Kivu.

Ce récit ne résiste donc pas à l’épreuve des connaissances plus scientifiques. Et nous renvoyons ici à l’étude « Surmortalité au Congo (RDC) pendant les troubles de 1998-2004 : une estimation des décès en surnombre, scientifiquement fondée à partir des méthodes de la démographie », réalisée par André Lambert et Louis Lohle-Tart, deux démographes belges. Cette étude a été commanditée dans le cadre du recensement électoral (« enrôlement ») de la population congolaise qui ont eu lieu en RDC entre 2005 et 2006 pour constituer le fichier électoral. A la demande de la Commission Européenne trois experts, dont les deux démographes belges, ont réalisé un audit des procédures de recensement électoral.

Les experts ont ainsi procédé à la reconstitution dynamique de la population par catégories de sexe et par tranches d’âge à partir de 1984, année du dernier recensement général de la population, puis à partir de 1956. Etant donné le caractère délicat de cette reconstitution, la Commission européenne avait demandé un embargo pour empêcher la divulgation des données relatives aux effectifs de la population pour le millésime 2005.

Les auteurs ont respecté l’embargo et n’ont publié aucune donnée. Mais ils ont rendu publiques les statistiques de décès. Nous invitons les lecteurs à se référer à leur texte pour un examen détaillé des données, tandis que nous rapportons ici les conclusions : « Sachant que notre recherche a commencé à partir de 1992, et non à partir de 1998, nous disons en résumé que le nombre de décès causés par la violence cela correspond à environ 200 mille victimes ». Cela ne veut absolument pas être une justification de la violence, comme le soulignent les auteurs : “… Si la violence en RDC a produit, selon notre estimation, bien moins de quatre millions de morts, c’est toujours trop de morts”.

Ici, on s’interrogerait plutôt sur les raisons pour lesquelles, malgré la connaissance de ces données, la décision d’embargo a été prise sur une partie des données. Cette décision a conduit à la non-diffusion de la partie de la recherche dont nous parlions, qui a malheureusement alimenté le mythe des « 4 millions de morts ». Un nombre qui, année après année, augmente de façon exponentielle, comme l’a vérifié le dernier discours à la Nation (30 juin 2022) du président de la RDC, Félix Tshisekedi Tshilimbo, qui évoquait le chiffre paradoxal de 10 (!!) millions de morts.

Il faut aussi rappeler que le commissaire européen au développement et à l’aide humanitaire de l’époque (de novembre 2004 à juillet 2009) était le Belge Luis Michel, père de Charles Michel, l’actuel président du Conseil européen… une sorte de succession dynastique qui favorise la perpétuation de cette tradition.

Alors on se demande : qu’est-ce que c’était et quel est l’intérêt d’alimenter ce mythe ?
– Peut-on dire que la RDC a connu une crise plus grave et plus large que celle du Rwanda ?
– Permettre au régime de la RDC de persister dans la propagation de l’idéologie de la xénophobie et de la haine tribale, idéologie inaugurée en 1998 par Abdoulaye Yerodia Ndombasi, qui deviendra plus tard l’un des quatre vice-présidents de la Transition, après les conclusions du Dialogue Sun City Inter-Congolais (DIC) ?

-Quelles sont les conséquences de ce silence ?
– L’IC a-t-elle conscience d’avoir alimenté, à cause de ce silence, les tensions interethniques suivies de violences et de tueries ?

Ada Rossi