L’ONU en crise profonde : avec le Covid-19, plus personne ne paie de cotisations (Fulvio Beltrami)

Avec la fin de la guerre froide et le début des années 2000, les relations internationales ont été confrontées à une réalité inattendue: l’affaiblissement de la responsabilité collective mondiale. On assiste à l’accentuation de la lutte hégémonique entre les grandes puissances occidentales et eurasiennes, la remise en cause de la légitimité des institutions internationales pour favoriser la mondialisation d’un capitalisme sauvage indépendamment des vies humaines et de l’environnement. Un turbo-capitalisme qui, à terme, pourrait être responsable de cette pandémie de Covid-19 car il a détruit l’équilibre millénaire entre les humains et le monde végétal et animal avec lequel ils interagissent.

La pandémie qui a débuté en décembre 2019 a accentué et aggravé la légitimité des institutions internationales, n’affectant rien que moins que les Nations Unies. Les finances de l’ONU se sont effondrées en 2020 et l’horizon ne semble pas rose en raison de la crise sanitaire mondiale. Le 18 janvier, sept pays des 193 États membres ont perdu le droit de vote à l’Assemblée générale des Nations Unies, en raison d’une dette excessive envers l’organisation. L’Iran, frappé par les sanctions financières américaines, devrait débourser 16,2 millions de dollars pour retrouver son droit de vote. Le Niger, actuellement membre non permanent du Conseil de sécurité, doit 6 733 dollars. La Libye (ou ce qui reste de cette nation): 705 391 $. La République centrafricaine: 29 395 dollars. Le Congo-Brazzaville: 90 844 dollars. Le Soudan du Sud: 22 804 dollars. Le Zimbabwe: 81 770 dollars. A noter que sur les sept pays déficitaires, six sont africains. Un chiffre impressionnant qui témoigne à quel point la pandémie associée aux guerres civiles et à l’instabilité sociale a eu des effets dévastateurs sur les économies déjà fragiles de ces pays.

En effet, l’article 19 de la Charte des Nations Unies prévoit la suspension du droit de vote à l’Assemblée générale pour tout pays dont le montant des arriérés est égal ou supérieur à la contribution due au cours des deux dernières années. Dans sa lettre au président de l’Assemblée générale Volkan Bozkir, le secrétaire général Antonio Guterres précise les montants qui, sans rembourser leur dette totale, permettraient aux pays concernés de récupérer leurs droits de vote en 2021. Trois autres pays sont également concernés par l’article 19 de la Charte, mais comme leur dette est due à des circonstances indépendantes de leur volonté, ils bénéficient d’une autorisation pour continuer à voter, précise Antonio Guterres. Ce sont les Comores, Sao Tomé-et-Principe et la Somalie.

La perte des droits de vote n’a eu aucun impact pour l’instant, le vote à l’Assemblée générale n’ayant pas eu lieu depuis le début de la pandemie. En aucun cas cette violation n’affecte le droit de vote au Conseil de sécurité – auquel le Niger participe en tant que membre temporaire. Selon le chercheur associé Romuald Sciora, de l’Institut des Relations Stratégiques Internationales (IRIS), la décision de suspendre le droit de vote à l’Assemblée générale constituerait une grave erreur de la part du Secrétaire général António Manuel de Oliveira Guterres. «Je comprends que l’ONU, pour survivre dans cet océan de problèmes, mène une bataille financière, mais l’ONU peut survivre malgré les retards dans le paiement des cotisations annuelles. La décision de Guterres me semble une faille politique absolument grave», dit-il.

La cotisation annuelle que chaque État membre est tenu de payer a été introduite en 1945 lorsque les Nations Unies étaient principalement composées de pays riches et il était impensable que l’un de ces États n’ait à payer sa contribution que par mauvaise volonté. Mais 76 ans plus tard, de nombreux pays «pauvres» figurent parmi les 193 Etats membres. “C’est une grave erreur car l’ONU et le multilatéralisme sont en crise”, poursuit le chercheur, “les Nations Unies ne sont plus considérées comme une plateforme politique, l’ONU n’a plus de rôle sur la scène internationale. La décision de Guterres est pitoyable et tout cela pousse les États à se tourner aujourd’hui vers des organisations régionales ou à négocier bilatéralement avec d’autres États. Guterres, en utilisant l’article 19, ne fait que creuser la tombe de ce Institut ».

En effet, compte tenu de la crise internationale, la plupart des États «punis» le 18 janvier risquent de commencer à imaginer survivre sans les Nations Unies. Ces pays en développement pourraient très bien revenir sur la scène internationale sans passer par l’ONU, ce qui représenterait moins de contributions financières à l’organisation internationale déjà en difficulté. “L’ONU serait à nouveau négligée, mais ici non pas par les grands États mais par les petits”, a déclaré Romuald Sciora, “les personnes mêmes qui ont permis à l’ONU d’avoir encore un impact politique sur la scène internationale. Tout cela est très dangereux. pour la crédibilité des Nations Unies.”

Une crédibilité déjà mise en question si l’on analyse l’impuissance dont les Nations Unies ont fait preuve, incapables à la fois d’arrêter les guerres et de protéger les civils dans les grands conflits mondiaux, de la Syrie à la Libye. Depuis 2015, le Conseil de sécurité n’a pas été en mesure d’imposer de sérieuses sanctions au régime totalitaire racial du Burundi alors que même ses observateurs des droits de l’homme de l’ONU étaient chassés du pays comme des chiens errants. L’interminable guerre civile en République centrafricaine est désormais le théâtre de l’affrontement entre la France et la Russie sous le regard impuissant de l’ONU et des Casques bleus.

Dans le conflit au Tigré, les agences humanitaires des Nations Unies n’ont pas encore reçu la permission du gouvernement fédéral d’Addis-Abeba d’entrer dans la région nord pour aider la population civile. Peut-être que l’aide humanitaire sera autorisée mais sous la coordination étroite du gouvernement central qui désignera les bénéficiaires, transformant l’aide en arme de guerre. Afin d’accéder aux zones de conflit, les Nations Unies sont même restées silencieuses, évitant de prononcer toute condamnation ou demander des explications sur l’attaque des soldats fédéraux contre un convoi onusien coupable d’avoir été témoin de la présence de soldats érythréens au Tigré. L’attaque a eu lieu en novembre dernier. Les personnes, en Afrique, ont perdu confiance en l’Organisation des Nations Unies et la considèrent comme une institution morte et enterrée.

La santé financière de l’ONU vient des États membres, mais maintenant ils sont de plus en plus réticents à payer des cotisations annuelles. Les arriérés ont été enregistrés avant même la pandémie. À la fin de 2019, les arriérés ont atteint un niveau record de 711 millions de dollars. L’année 2019 s’est terminée avec un déficit de trésorerie de 320 millions de dollars.

Le 31 décembre 2020, l’Assemblée générale a adopté un budget de 3,231 milliards de dollars pour financer les travaux de l’organisation en 2021, contre 3,074 milliards de dollars accordés en 2020. Le budget voté, dit «ordinaire», correspondant aux dépenses pour les procédures de fonctionnement relatives au personnel ainsi qu’aux principaux organes tels que le Conseil de Sécurité, le Secrétariat général, etc. Les opérations de maintien de la paix (OMP) ne sont pas incluses dans ce budget.

Pour la période du 1er juillet 2020 au 30 juin 2021, le budget total des douze opérations de maintien de la paix en cours et les dépenses d’appui transversales s’élèvent à 6,7 milliards de dollars. Une réduction drastique compte tenu de la seule mission de maintien de la paix en République Démocratique du Congo: la MONUSCO absorbe 1,15 milliard de dollars. Une mission qui dure depuis 2004, détestée par la population congolaise qui accuse les Casques Bleus de ne pas vouloir protéger les civils, notamment dans les provinces de l’Est (Nord et Sud Kivu), de trafic de minerais précieux avec divers gangs armés et groupes terroristes, de promouvoir la prostitution et d’avoir provoqué une augmentation insoutenable du coût de la vie.

La redevance annuelle est basée sur la capacité de paiement de chaque État membre. Plus un État est riche, plus il paie. Pour la période 2019-2021, la France est le 6è contributeur, avec une part de 4,43%, soit, en 2021, une contribution d’environ 128 millions de dollars. Les États-Unis sont le principal contributeur, suivis de la Chine, du Japon, de l’Allemagne et du Royaume-Uni. La suspension de sept États membres du droit de vote à l’Assemblée générale est une insulte à leurs gouvernements respectifs, étant donné que les États-Unis et la Russie ont cessés de payer leur part depuis quatre ans, entraînant une diminution du budget de l’ONU de plus de 17% par an. Pourtant, Washington et Moscou conservent non seulement le droit de vote à l’Assemblée générale, mais aussi (avec le droit de veto) au Conseil de Sécurité. Les États-Unis à eux seuls ont une dette annuelle de 200 millions de dollars qui s’est accumulée depuis 2017. Avec l’élection de Joe Biden, l’ONU espère renouer avec Washington.

Pour le Secrétaire général de l’ONU, la pandémie de Covid-19 est “la crise la plus difficile à laquelle l’ONU a dû faire face depuis la Seconde Guerre mondiale”. En effet, la pandémie de coronavirus et sa conséquence, une récession économique mondiale, risquent de mettre à genoux les États les plus pauvres. «Cette récession est vraiment un désastre pour l’ONU, pour ses agences humanitaires», observe le chercheur de l’IRIS. Jusqu’à présent, le multilatéralisme n’a pas eu la faveur des États, qui se sont pour la plupart limités à gérer la crise au niveau national. Les réticences et la perte de confiance en l’OMS ne sont pas de bon augure non plus. En 1948, l’organisation basée à Genève était financée à 100% par les États. Aujourd’hui seulement 20%.

La pandémie de Covid-19 aggrave les problèmes de trésorerie des Nations Unies. L’institution doit prévoir des dépenses supplémentaires pour faire face à l’impact du virus, prévient Tatiana Valovaya, directrice générale de l’Office des Nations Unies à Genève, au journal La Tribune de Genève. L’ONU risque de suivre le destin de la Société des Nations. L’effondrement de la première organisation intergouvernementale a conduit directement à la Seconde Guerre mondiale.

Fulvio Beltrami