Père Guerrero : “le Vatican ne risque pas la faillite, mais la situation est difficile”

“Le Vatican n’est pas en danger de défaut. Cela ne veut pas dire que nous n’affrontons pas la crise pour ce qu’elle est. Nous sommes certainement confrontés à des années difficiles.” C’est ce qu’a affirmé dans un entretien à VaticanNews le nouveau préfet du Secrétariat à l’économie, le père Juan Antonio Guerrero Alves, appelé par le Pape François. Un simple jésuite espagnol désormais confronté à la crise liée au Covid-19.
“Les comptes nous indiquent qu’entre 2016 et 2020, les recettes et les dépenses ont été constantes. Des recettes de l’ordre de 270 millions. Les dépenses se sont élevées en moyenne à environ 320 millions, selon les années. Les recettes proviennent des contributions et des donations, des déclarations de biens et, dans une moindre mesure, de la gestion financière et des activités des entités. Une contribution importante est celle du gouvernorat de l’État de la Cité du Vatican ; et elle dépend en grande partie (mais pas exclusivement) des musées qui sont fermés aujourd’hui et qui, pour le reste de l’année seront en difficulté probable à cause de la reprise qui sera lente” explique le nouveau ministre de l’économie vaticane.
“Si je ne regarde que les chiffres et les pourcentages, je pourrais dire que les dépenses se répartissent plus ou moins comme suit : 45 % pour le personnel, 45 % pour les frais généraux et administratifs et 7,5 % pour les dons. Ou je pourrais dire que le déficit (la différence entre les recettes et les dépenses) a fluctué ces dernières années entre 60 et 70 millions”.
Baisse des recettes
Le Secrétariat pour l’Economie du Vatican a effectué plusieurs “projections et estimations” explique le Père Guerrero : “les plus optimistes calculent une baisse des recettes d’environ 25%. Les plus pessimistes se situent autour de 45 %. Nous ne sommes pas en mesure de dire aujourd’hui s’il y aura une diminution des dons au denier ou une diminution des contributions des diocèses. Cependant, nous savons, parce que nous l’avons décidé et en raison de la difficulté de payer le loyer de certains locataires, qu’il y aura une diminution des loyers. Nous avions déjà décidé, en approuvant le budget de cette année, que les dépenses devaient être réduites afin de diminuer le déficit”.
La crise de l’après Covid-19 “nous oblige à le faire avec plus de détermination. Le scénario optimiste ou pessimiste dépend en partie de nous (de combien nous pourrons réduire les coûts) et en partie de facteurs externes, de combien les recettes diminueront réellement (les recettes ne dépendent pas de nous). En tout cas, s’il n’y a pas de recettes extraordinaires, il est clair qu’il y aura une augmentation du déficit”.
Le prélat a tenu à préciser : “sur la seule base de ces chiffres, certains pourraient penser que le déficit est un trou résultant d’une mauvaise administration. Ou qu’elle finance une bureaucratie immobile. Ce n’est pas le cas. Rien à voir avec cela”. “Quant aux chiffres, ceux du Saint-Siège sont beaucoup plus petits que ce que beaucoup de gens imaginent. Ils sont plus petits que la moyenne des universités américaines, par exemple. Et cela aussi est une vérité souvent ignorée.”
C’est la mission du Saint-Siège qui se trouve derrière ces chiffres, explique le préfet à l’économie. “Derrière ces chiffres, il y a la mission du Saint-Siège et du Saint-Père, il y a la plénitude de vie et le service ecclésial. Il n’est pas juste de dire que le déficit est financé par le denier de Saint-Pierre comme si le denier remplissait un trou. Le denier est aussi un don des fidèles : il finance la mission du Saint-Siège, qui comprend la charité du Pape, et qui ne dispose pas de revenus suffisants.
Les chiffres doivent toujours être compris. Derrière ces chiffres, il y a la fin. Dans le budget, il y a la mission, le service que ces dépenses rendent possible. Peut-être devons-nous mieux expliquer, mieux raconter. Nous devons certainement être clairs.”

“La bonne nouvelle, souligne le Père Guerrero comme si ce n’était pas le cas jusqu’à aujourd’hui, est que la SPE, l’APSA, la Secrétairerie d’État, la Congrégation pour l’Évangélisation des peuples, le Conseil pour l’économie et le gouvernorat travaillent ensemble pour faire face à la crise et réformer ce qui doit l’être. Nous avons demandé à chaque organisme de faire tout son possible pour réduire les dépenses tout en préservant l’essentiel de sa mission. À un niveau plus structurel, puisque le déficit est structurel, nous devrons centraliser les investissements financiers, améliorer la gestion du personnel, améliorer la gestion des achats.

“Un code des marchés publics est sur le point d’être approuvé, ce qui permettra certainement de réaliser des économies. Nous travaillons en liaison constante avec tous les services, en combinant centralisation et subsidiarité, autonomie et contrôle, professionnalisme et vocation” a ajouté le religieux espagnol.

Pas d’objectif de bénéfices, un “budget de mission”

Et en effet, le Saint-Siège n’est pas une “entreprise”, a-t-il mis en garde. “Nous ne sommes pas une entreprise. Nous ne sommes pas une société. Notre objectif n’est pas de faire des bénéfices. Chaque département, chaque agence, rend un service. Et chaque service a un coût. Notre engagement doit être d’une sobriété et d’une clarté maximales. La nôtre doit être une déclaration de mission. C’est-à-dire un budget qui met les chiffres en relation avec la mission du Saint-Siège. Ce qui semble être une prémisse, c’est le fond de la question. Il ne faut donc jamais la perdre de vue”.

C’est le concept d’un “budget de mission” que le prélat explique : “par exemple : communiquer ce que fait le pape en 36 langues, par la radio, la télévision, le web, les résaux sociaux, un journal, une imprimerie, une maison d’édition, la salle de presse (etc.) est une entreprise qui n’a pas d’égal dans le monde. Cela a un coût, certainement. Elle a également des revenus. Elle absorbe environ 15 % du budget. Plus de 500 personnes y travaillent. Je ne sais pas si vous pouvez faire mieux. C’est toujours possible. Mais si l’on compare, je ne pense pas que l’on puisse en trouver d’autres qui produisent autant avec si peu”.

Et de détailler le reste des dépenses : “10% supplémentaires du budget vont aux nonciatures. Certaines personnes pourraient penser que c’est une grosse affaire. Ce sont de petites ambassades de l’Évangile, qui défendent dans les relations internationales les droits des pauvres, qui mènent une diplomatie de dialogue, de paix, de soin de la terre comme notre maison commune”.

Pour les chrétiens d’Orient, “10% supplémentaires sont consacrés aux Églises orientales, qui sont souvent persécutées ou en diaspora”. Et la liste est longue : “8,5 % est consacré aux Églises les plus pauvres, aux missions, par le biais de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples. Ensuite, il y a la protection de l’unité de la doctrine, il y a les causes des saints. Il y a la préservation d’un patrimoine de l’humanité tel que la Bibliothèque et les Archives du Vatican. Il y a l’entretien nécessaire des bâtiments : 10% de plus. Il y a les impôts italiens, que nous payons : environ 6% du budget, soit 17 millions. Et ainsi de suite…”

Le défi : la centralisation des investissements 

Le chemin à prendre, lancé mais non terminé par l’ancien Préfet à l’économie le cardinal George Pell est celui de la centralisation des investissements. “Nous avons un groupe de travail sur ce sujet, qui travaille dans une atmosphère calme. Cela prendra encore quelques mois. L’objectif n’est pas seulement de centraliser : il s’agit de faire quelque chose de professionnel, sans conflit d’intérêts et avec des critères éthiques. Nous devons non seulement éviter les investissements non éthiques, mais aussi promouvoir les investissements liés à une vision différente de l’économie, à l’écologie intégrale, à la durabilité”.

Et garantir les mêmes services, malgré la baisse des recettes ? “Nous ne sommes pas une grande puissance. La difficulté de le faire dans les grands pays européens est en cours de discussion. Imaginez-nous. Nous devons être humbles. Nous sommes une famille avec une petite fortune et l’aide généreuse de beaucoup. Nous y arriverons. Avec notre capacité à bien gérer. Avec l’aide de Dieu et des fidèles. Toute l’Église est ainsi soutenue.”

“Nous commencerons par partager la vérité sur la situation économique. Le mieux que nous puissions faire est d’être diligents et transparents. Nous compterons sur l’argent sur lequel nous pouvons compter. Nous établirons un budget à base zéro pour 2021. En commençant par l’essentialité de la mission.”

“Je ne me sens pas comme un ministre de l’économie. Je me sens comme un jésuite et un prêtre qui accomplit un service à l’Église, un service d’arrière-garde peut-être, et en collaboration avec d’autres, qui consiste à aider le Saint-Père et le Saint-Siège dans l’accomplissement de leur mission.

J’ai une tâche à accomplir. Je continue sur un chemin. Je travaille en équipe. J’écoute les conseils. J’apprends. Je cherche des personnes compétentes. Je sais que le changement ne se fait pas en un jour. Et ils ne changent pas eux-mêmes. L’objectif est de travailler ensemble. Je me suis senti très bien accueilli par le Pape et la Curie, sans parler du personnel de la SPE, tous des professionnels excellents et valables. Marchons ensemble. Nous sommes très attachés à la voie de la transparence, de la sobriété, de la sobriété qui est et reste une mission.”