Qui sont les assassins de l’Ambassadeur Luca Attanasio ? Des versions contradictoires risquent de favoriser l’impunité (Fulvio Beltrami)

Lundi 22 février, l’Ambassadeur d’Italie à Kinshasa Luca Attanasio (43 ans), le carabinier Vittorio Iacovacci (30 ans) originaire de Sonnino, et Mustapha Milambo Baguma chauffeur du Programme Alimentaire Mondial, sont décédés dans une embuscade à proximité du parc national des Virunga, non loin de Goma, la capitale de la province du Nord-Kivu, dans l’est de la RDC.

Les nouvelles qui sont arrivées tout au long de la triste journée du 22 février étaient d’abord rares et fragmentaires. Puis, il y a eu une série de rapports contradictoires divisés en deux versions : attaque contre le convoi du PAM ou tentative d’enlèvement. Les autorités congolaises ont mis fin à ces rumeurs contradictoires en fournissant la version officielle de la tragédie. Le convoi du PAM dans lequel voyageaient nos compatriotes a été attaqué par un groupe terroriste. Il se déplaçait sans escorte. L’Ambassadeur Attanasio, Iacovacci et Baguma ont été enlevés avec quatre autres personnes, dont un haut responsable du PAM, et emmenés dans la forêt dense de Virunga. Les ravisseurs ont été surpris par une patrouille mixte de gardes forestiers et de soldats congolais. Lors de la fusillade, les deux compatriotes et le chauffeur congolais ont été tués par des terroristes.

Le président congolais Félix Tshisekedi a été beaucoup plus clair en citant les noms des responsables. Dans un message lu dans la soirée par son porte-parole à la télévision nationale, le président Tshisekedi a condamné “cet attentat terroriste avec la plus grande fermeté” confirmant les accusations portées par le ministère de l’Intérieur contre les rebelles hutus rwandais des Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR) à être derrière l’attaque meurtrière du convoi.

Le président Tshisekedi a appelé à une enquête afin que les auteurs de l’attaque soient “identifiés et traduits en justice”. Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a également appelé la RDC à “enquêter avec diligence” sur l’attaque.

Mais qui sont les assassins d’Attanasio et d’Iacovacci? Les FDLR, inscrites sur la liste des organisations terroristes internationales depuis 2005, sont nées en 2000 grâce au soutien d’experts militaires français qui ont réorganisé ce qui restait de l’armée de l’ancien président rwandais Juvénal Habyarimana (FAR, Forces armées rwandaises) et des milices génocidaire Interahamwe, responsable du génocide rwandais de 1994. Comme les Imbonerakure d’aujourd’hui (milices burundaises utilisées par le régime au pouvoir pour réprimer la population), les Interahamwe étaient l’aile jeune du Mouvement National Républicain pour la Démocratie et le Développement, le parti du président Juvenal Habyarimana. En avril 1994, ils ont joué un rôle fondamental dans l’extermination d’un million de personnes.

Pendant le dernier mois de l’Holocauste, juin 1994, la France a envoyé un contingent militaire (opération Turquoise) au Rwanda avec l’excuse de protéger la population. Les objectifs de l’armée française étaient simples: proteger le gouvernement génocidaire et organiser la résistance de ses forces armées dans le nord-est du pays, à proximité des frontières avec le Zaïre, aujourd’hui République démocratique du Congo.
Face à l’avancée du Front patriotique rwandais de Paul Kagame, soutenu par les troupes ougandaises et les experts militaires américains, les FAR et les Interahamwe n’ont pas pu maintenir le front dans les zones encore occupées. En conséquence, le plan de Paris visant à créer une impasse militaire et à persuader l’Armée de libération du Rwanda de former un gouvernement de coalition avec des forces qui avaient massacré un million de Rwandais en seulement 100 jours a échoué. Lors de l’opération Turquoise, l’holocauste contre les Tutsis et Hutus modérés se poursuivra dans les territoires encore contrôlés par les forces génocidaires.

Pour éviter la défaite finale des forces génocidaires, l’armée française a organisé un exode massif de civils hutus rwandais, les forçant à se réfugier dans le Zaïre voisin. Le couloir humanitaire de plus de 1,5 million de personnes a été utilisé pour traverser la frontière zaïroise pour ce qui restait des FAR et des milices génocidaires. Depuis les camps de réfugiés du Nord et du Sud Kivu, ces forces génocidaires ont été réorganisées et ont tenté à plusieurs reprises d’envahir le Rwanda et de le reconquérir. En 1996, l’armée rwandaise est entrée au Zaïre dans le but de détruire les FAR et les Interahamwe et d’expulser le dictateur Mobutu Sese Seko, son allié.
Après leur création, les FDLR ont réussi à s’imposer comme force militaire valide pendant la Seconde Guerre panafricaine (1998 – 2004) pour la défense du régime de Joseph Kabila contre les forces ougandaises et rwandaises. De 2004 à 2014, le groupe terroriste est toléré par la mission de maintien de la paix de l’ONU au Congo, la MONUSCO, et devient un partenaire commercial de la famille Kabila ce qui lui permet d’exploiter les ressources naturelles des territoires occupés à l’est du pays. Une exploitation qui a de graves conséquences sur la population civile congolaise : massacres et travail forcé, y compris le travail des enfants.

Entre 2009 et 2012, les FDLR sont utilisées comme force d’interposition contre les deux rébellions banyarwanda soutenues par l’Ouganda et le Rwanda: celle du colonel Laurent Nkunda (2009) et celle du Mouvement du 23 Mars (M23) en 2012. Pendant cette période convulsive grâce à la complicité du gouvernement de Kinshasa, de la MONUSCO et de la France, les FDLR parviennent à augmenter les effectifs atteignant un effectif estimé entre 12000 et 22000 hommes, composés majoritairement de jeunes congolais qui voient une excellente opportunité dans le groupe terroriste d’échapper au chômage et pauvreté chronique.
Depuis 2010, les FDLR tissent un réseau complexe d’alliances stratégiques avec des groupes armés congolais appelés Maï Maï créés par Kinshasa pendant la Seconde Guerre panafricaine en tant que forces locales d’autodéfense contre les agressions ougandaises et rwandaises mais qui ne se pas dissolus après la fin du conflit. L’alliance avec les Maï Maï fait des FDLR un allié et un partenaire commercial puissant et très pratique du régime congolais. Les millions de dollars de bénéfices du trafic illégal de minerais précieux tels que l’or et le coltan enrichissent la direction des FDLR en exil en France composée des organisateurs du génocide de 1994. Au moins 40% des bénéfices sont consacrés aux armes achetées par la France grâce aux triangulations avec les pays d’Europe de l’Est appartenant à l’ancien bloc soviétique.

En 2011, le quartier général de la branche militaire des FDLR était situé à Goma, la capitale de la province du Nord-Kivu, à une courte distance du quartier général de la MONUSCO. Le siège de l’aile politique des FDLR occupe deux appartements dans un immeuble parisien non loin de l’Elisée. Malgré que la majorité des représentants politiques des FDLR sont recherchés par la justice internationale pour le génocide de 1994, ils bénéficient toujours de la protection française.
Toujours en 2011, la France a envoyé un groupe d’experts militaires à Goma avec pour mission de former et de coordonner le groupe terroriste rwandais. En 2013, les FDLR ont été contactées par le président burundais Pierre Nkurunziza pour former un premier groupe de jeunes Burundais appartenant à la milice paramilitaire Imbonerakure, en théorie la branche jeunesse du parti HutuPower au pouvoir depuis 2005 : le CNDD-FDD. Les formations secrètes, également tolérées par la mission de maintien de la paix de l’ONU MONUSCO, ont été l’une des principales raisons du meurtre politique des trois religieuses italiennes le dimanche 7 septembre 2014: Lucia Pulici, Olga Raschietti et Bernadetta Boggian.
Entre 2013 et 2016, les FDLR sont utilisées par le régime de Kinshasa pour massacrer la population civile dans l’est du Congo. Les principaux massacres sont dirigés contre l’ethnie Nande (d’origine ougandaise) entre Lubero, Beni et Butembo, et contre l’ethnie tutsie congolaise Banyamulenge sur le plateau de Mulenge, au Sud Kivu.

Au début de la crise burundaise, née de la volonté de l’ancien seigneur de guerre Pierre Nkurunziza d’accéder au troisième mandat, les FDLR sont appelées au Burundi pour défendre le président. Progressivement, les FDLR occupent des postes clés au sein de l’armée et de la police burundaises, parvenant à influencer la politique du régime isolé au niveau international en raison des massacres ethniques et politiques continus. Les FDLR prennent le contrôle de la milice paramilitaire burundaise Imbonerakure (30 000 hommes) créant ainsi la base de la position actuelle de force au Burundi. Le but ultime est de reconquérir le Rwanda.
En 2016, les FDLR sont considérées par les stratèges parisiens comme la principale force militaire sur laquelle s’appuyer pour la réalisation du plan secret de reconquête du Rwanda. Selon les plans de Paris, une force mixte du FLDR, des milices congolaises et des soldats burundais devaient envahir le Rwanda depuis le Congo et le Burundi, renverser le gouvernement Kagame et rétablir la dictature raciale HutuPower. Le plan est bloqué par les gestes habiles des gouvernements de Kampala et de Kigali.
Profitant de la faiblesse politique du président congolais Joseph Kabila (également candidat à un troisième mandat présidentiel), l’Ouganda et le Rwanda proposent une nouvelle gestion du trafic de minerais en échange d’un soutien politique au régime de Kinshasa. En conséquence directe, le régime de Kinshasa tente d’éliminer son ancien partenaire commercial, les FDLR. En décembre 2017, les troupes ougandaises envahissent le nord-est du Congo, attaquant les terroristes FDLR et leurs milices Maï Maï congolaises alliées.

En mars 2016, le conflit contre les FDLR s’étend également à la province du Sud-Kivu cette fois-ci en raison de l’intervention de l’armée rwandaise alors que les troupes ougandaises libèrent de vastes territoires à la frontière avec l’Ouganda, les occupant à leur tour pour extraire les minerais et contrôler d’importants réserves du pétrole. Même les soldats rwandais, une fois détruit les bases des FDLR les plus proches à leur frontière, battant ils prennent leur retraite au Rwanda laissant la tâche de vaincre les FDLR à la faible armée congolaise. Les FDLR parviennent à résister aux différentes offensives grâce à l’approvisionnement constant en armements en échange d’or et de coltan et à la complicité du gouvernement Kabila et de divers généraux de l’armée congolaise qui sont les partenaires cachés de ces terroristes dans le trafic de minerais précieux vers l’est du Congo.
La situation change radicalement en 2018 lorsque le chef de l’opposition Felix Tshisekedi est élu président après un accord de partage du pouvoir avec l’ancien président Joseph Kabila. Tshisekedi lance une offensive militaire pour libérer les régions de l’Est sur contrôle des FDLR: l’opération Corridor Est, menée en partenariat avec l’armée rwandaise qui en profite pour régler des comptes avec d’autres groupes d’opposition armés rwandaise présents à l’est du Congo. L’opération vise à détruire la principale force négative qui tient en échec les provinces de l’est du pays et à affaiblir le pouvoir de Kabila en arrêtant le commerce illégal d’or et de coltan.

En 2019, l’opération East Corridor obtient d’excellents résultats en détruisant diverses bases terroristes et en arrêtant le commerce illégal de minerais. Cependant, cette opération militaire a un côté sombre que les autorités de Kinshasa et de Kigali nient. Divers massacres de civils sont perpétrés au Sud-Kivu et dans les montagnes du Mibembe où réside l’ethnie tutsie Banyamulenge. Ses dirigeants politiques et militaires (jadis alliés avec le Rwanda) décident de s’allier aux terroristes FDLR pour se venger du président Paul Kagame, qu’ils accusent de les avoir utilisés à plusieurs reprises dans diverses guerres au Congo puis de les abandonner à un destin de marginalisation sociale et économique.
L’opération Corridor Est, cependant, ne parvient pas à éradiquer définitivement le groupe terroriste. Les FDLR perdent le contrôle d’importantes zones minières mais parviennent à survivre grâce au «paradis de sauvetage» offert par leur alliée régional : junte militaire burundaise. On estime actuellement que les miliciens FDLR sont environ 8 000 hommes, principalement basés au Burundi. C’est précisément à partir du Burundi que les FDLR lancent des attaques périodiques sur l’est du Congo dans l’espoir de récupérer les territoires perdus et des attaques contre le Rwanda dans le but de provoquer une guerre avec le Burundi.
Cinq semaines avant la tragédie qui a impliqué notre Ambassadeur, l’opération East Corridor a été réactivée. Les unités des armées congolaise et rwandaise ont recommencé à lancer des offensives contre les terroristes rwandais mais l’avantage de pouvoir se retirer au Burundi demeure. Le régime burundais est directement impliqué dans cette guerre non déclarée de faible intensité. Depuis 2019, l’armée burundaise a traversé à plusieurs reprises l’est du Congo pour empêcher les groupes d’opposition armés burundais (FOREBU, RedTabara et FNL) de s’organiser et d’envahir le Burundi pour renverser le régime racial.

La dernière de ces invasions s’est produit en janvier. Des soldats burundais sont entrés dans le Sud-Kivu en attaquant des groupes armés avec le soutien des milices paramilitaires de la junte militaire burundaise: les Imbonerakure et les terroristes rwandais des FDLR. L’armée congolaise est intervenue en affrontant durement les envahisseurs burundais et en les repoussant de l’autre côté de la frontière.
Immédiatement après, les FARDC (armée congolaise) ont accéléré l’offensive contre les terroristes FDLR, poursuivant la guerre secrète entamée il y a environ deux ans. Plusieurs affrontements ont eu lieu il y a une semaine à environ 30 km du lieu de la tragédie qui a eu lieu le lundi 22 février. Le président Tshisekedi, en dénonçant ouvertement les FDLR, entend attirer l’attention de la communauté internationale sur la nécessité de détruire définitivement ce groupe terroriste qui depuis 20 ans inflige des violences sans précédent aux populations congolaises et burundaises (à partir de 2015 pour le Burundi) et a pillé ressources naturelles, empêchant la paix et le développement de toute la région.
Dans une déclaration faite aux médias internationaux signée par Cure Ngoma, commissaire à l’information et porte-parole des FDLR, le groupe terroriste rwandais a rejeté les accusations, se disant non coupable des événements sanglants impliquant l’Ambassadeur d’Italie. La déclaration laisse entendre qu’il s’agissait peut-être de soldats de l’armée régulière rwandaise.
La décision du président Tshisekedi de clarifier les auteurs de l’assassinat a le mérite de rappeler à la communauté internationale que les FDLR existent et sont la principale cause de décès et d’instabilité régionale. Ce groupe terroriste a effectivement pris en otage la population burundaise et menace à la fois le Congo et le Rwanda.
Jusqu’à présent, les FDLR ont été un tabou pour divers médias et gouvernements occidentaux en plus des Nations Unies. Leurs crimes sont souvent passés sous silence ou et il y avait une tendance à minimiser le danger de ces terroristes en affirmant qu’il n’y avait pas plus de 400 hommes principalement dévoués au banditisme. Il y a une raison à cette attitude. Depuis 20 ans, les FDLR ont garanti à la famille Kabila, intermédiaires israéliennes, arabes et européennes, des millions de dollars avec le trafic illégal de minerais précieux.
Pendant la deuxième guerre panafricaine au Congo, ils ont été utilisés contre les forces d’occupation rwandaises au Sud-Kivu. Dans les deux rébellions tutsies congolaises (Laurent Nkunda 2009, Mouvement 23 Mars – M23 2012) mêmes les Casques bleus de l’ONU: la MONUSCO ont cherché des alliances avec les FDLR pour réprimer ces rébellions armées au Nord et au Sud Kivu. Jusqu’en 2016, ils bénéficiaient de la protection de la France, qui abrite nombre de leurs dirigeants politiques et militaires, pour la plupart impliqués dans le génocide de 1994 et recherchés au niveau international. Les territoires occupés et leurs bases ont toujours été connus mais jusqu’à l’élection de Tshisekedi aucune force n’avait la réelle intention de détruire ce danger.

Nous espérons que le sacrifice de Luca Attanasio, Vittorio Iacovacci et Mustapha Milambo Baguma aidera la communauté internationale à comprendre la nécessité d’anéantir ce groupe terroriste infâme qui a toujours pour objectif d’exterminer tous les Tutsis de la région: du Rwanda au Congo. La lutte contre les FDLR a la même importance et la même priorité que la lutte contre Al-Qaïda au Magreb et Boko Aram en Afrique Occidentale, la lutte contre Al-Shabaab en Somalie, la lutte contre Daesh (Etat islamique) en Libye, en Syrie et en Irak, et la lutte contre les Talibans en Afghanistan.
Divers experts régionaux estiment qu’il est possible de détruire définitivement les FDLR mais ils préviennent: «pour enfin anéantir les FDLR, un changement de régime doit être mis en œuvre au Burundi. Sinon, ces terroristes auront toujours un refuge et pourront toujours lancer des attaques dévastatrices contre le Congo et le Rwanda. La mort tragique de l’Ambassadeur d’Italie n’est qu’un prélude à la violence que les FDLR réservent à la population de la région. De plus, la continuité du pouvoir à la fois des FDLR et de la junte militaire burundaise augmente le risque de génocide au Burundi ».

Fulvio Beltrami