RDCongo. Comment naissent l’instabilité et la violence à l’Est : aux origines de la rébellion du M23 (L. Rosati)

Dans la soirée du 5 août 1998 à la base militaire de Kamina, dans l’actuelle province de l’Alto-Lomami située à l’extrême sud de la République Démocratique du Congo (RDC), une centaine de militaires des Forces Armées Congolaises (FAC) originaires des groupes ethniques rwandophones (Tutsi et Hutu) de l’Est sont désarmés, torturés et tués sur ordre de Kinshasa, la capitale, où un pogrom était en cours contre des citoyens soupçonnés d’appartenir à ces communautés. Les victimes se compteront par dizaines.
Ce jour-là, à l’aube, le Général rwandais James Kabarebe, ancien chef d’état-major de la FAC, limogé quelques jours plus tôt par le président congolais Laurent-Désiré Kabila après la rupture des relations avec le Rwanda et l’Ouganda qu’ils avaient aidé à prendre le pouvoir en mai 1997 (à la fin de la première guerre du Congo, 1996-1997), il tentait, à partir de Kitona, au Bas-Congo, un coup de force pour réagir à la décision de son ancien allié.

Son intention était d’arriver à Kinshasa, probablement pour tenter d’évincer Laurent-Désiré Kabila en mettant à sa place un homme plus attaché aux intérêts de Kigali. L’initiative a échoué 11 jours plus tard suite à l’intervention de troupes angolaises et zimbabwéennes en soutien à LD Kabila. Mais l’épisode, grave en soi, a été crucial car il est devenu emblématique de la volonté rwandaise d’ingérence dans les affaires congolaises réitérée dans tous les discours officiels et le début d’un récit dans lequel Kigali se verra attribuer le rôle de bouc émissaire de tous les problèmes du pays. RDC.
C’est ainsi que les violences contre les civils et militaires tutsi et hutu congolais, les premiers en particulier, vont se répéter par vagues successives au cours de la longue crise en RDC, qui se poursuit aujourd’hui, comme en témoignent les faits auxquels nous assistons depuis quelques semaines.
En effet, ces derniers jours, les nouvelles de chasses à l’homme contre les rwandophones dans les rues de Kinshasa, mais aussi dans d’autres régions et provinces, comme le Maniema, le Katanga et le Kivu, arrivent de plus en plus du Congo. Cette composante de la population congolaise est accusée de soutenir la rébellion du Mouvement du 23 mars (M23), que le gouvernement considère comme un groupe terroriste et derrière lequel le Rwanda agirait par procuration.

Les politiques de la haine
Suite aux événements d’août 1998 à Kamina et à Kinshasa, et quelles que soient les responsabilités du Rwanda dans la succession des événements – qui feront également l’objet d’une prochaine analyse approfondie de notre part -, les régimes qui se sont succédé au pouvoir en RDC, ils ont périodiquement utilisé le tribalisme et la xénophobie comme armes de division et de contrôle des populations dans une logique ultra-nationaliste. A tel point que les politiques de haine et de peur pourtant sous-traitées dans
les provinces orientales du Nord et du Sud-Kivu aux ex-forces génocidaires des Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR) – le groupe armé hutu qui rêve de rentrer au Rwanda pour remettre l’ancien régime mono-ethnique en mesure de redevenir religion d’État à certains moments – comme celui-ci.

Ces politiques sont la cause principale de la crise et en même temps l’élément de diversion qui cache les autres causes : la prédation des ressources naturelles et du budget de l’État et les massacres périodiques de civils, ces derniers étant le corollaire.
Avec cette prémisse ou condition préalable d’une adversité envers le Rwanda et les Congolais rwandophones, instillée et enracinée dans l’opinion avec des techniques de manipulation sophistiquées, la Seconde Guerre du Congo, qui – en raison de la participation de nombreuses nations du continent – est entrée dans l’histoire comme la ” première guerre mondiale africaine », s’est déroulée entre les forces gouvernementales et deux mouvements rebelles principalement : le Groupement Congolais pour la Démocratie (RCD), devenu plus tard le RCD-Goma (RCD-G), soutenu par le Rwanda, et le Mouvement de Libération du Congo de Jean-Pierre Bemba. (MLC), soutenu par l’Ouganda.
Alors qu’après un an de guerre, les combats virent à la défaite du gouvernement, un cessez-le-feu est imposé à Lusaka (en Zambie, le 10 juillet 1999) par la communauté internationale, 6 mois avant l’assassinat du président LD Kabila, qui a été remplacé par son fils adoptif Joseph en janvier 2001, intronisé sous la forte pression des Angolais mais aussi du président du Zimbabwe de l’époque, Mugabe. Puis, le Dialogue intercongolais (DIC) de Sun City (Afrique du Sud) a été organisé à partir du 24 février 2002 pour définir un accord entre les trois principaux belligérants : l’ex-gouvernement, le RCD-G et le MLC.

Pour faciliter le travail de la DIC, le 1er août 2002, un accord de paix a été signé à Pretoria, également en Afrique du Sud, entre la RDC et le Rwanda, qui s’engageait à retirer définitivement ses soldats du Congo tandis que son homologue il aurait dû procéder, dans les 90 jours, au désarmement et au rapatriement des FDLR au Rwanda.
Le 17 décembre 2022, l’accord global et inclusif de Pretoria qui clôturait la DIC en établissant les principes généraux de la répartition du pouvoir entre les anciens belligérants, la nouvelle Constitution et la formation de la nouvelle armée, à réaliser par l’intégration entre les FAC et les ailes militaires du RCD-G et du MLC.

Les forces de Sun City
Contre vents et marées, la communauté internationale, emmenée par la France et les Etats-Unis appuyés par certaines puissances régionales, comme l’Angola et le Zimbabwe, a imposé le maintien de Joseph Kabila au pouvoir. Le jeune président était détesté par la plupart des populations et militaires de l’ex-RCD-G dans l’est du pays, où il avait laissé sévir ses alliés FDLR et autres milices tribales et tribalistes appelées Maï-Maï. Un ensemble de gangs armés ciblant spécifiquement les personnes et les militaires appartenant aux communautés tutsi et hutu.
Ce forçage n’annonçait rien de bon dans la perspective de pacification du pays. Avant même l’Accord définitif signé par toutes les composantes le 2 avril 2003 à Sun City établissant la formation d’un gouvernement unitaire pour une Période de Transition de 2 ou 3 ans à conclure avec les élections, un première crise grave s’installe place le fragile consensus obtenu jusque-là est en danger.
Par un coup de force, en fait entériné par le Comité International d’Accompagnement de la Transition (CIAT), créé après Pretoria et dont le noyau était formé par les 5 pays membres permanents du CSNU-Joseph Kabila a changé les principes constitutifs des nouvelles Forces Armées et de les services de renseignement et procéda à un système non d’intégration, mais de cooptation des forces qui l’avaient combattu dans son armée, dont il assurait d’ailleurs le plein contrôle, ayant exercé le rôle de chef d’état-major.

Les ex-FAC, caractérisés par une forte présence d’officiers katangiens comme Kabila fils, qui ne cachaient pas l’aversion envers leurs collègues rwandophones de l’Est, souvent victimes de discriminations et de violences, sont ainsi devenus l’épine dorsale de la nouvelle armée, dont la genèse a échappé aux principaux critères de formation osmotique fixés à Sun City.
Tout cela s’est produit parce que les forces présentes dans le CIAT – qui comprenait également la Belgique, l’Angola, l’Afrique du Sud, le Gabon, le Canada, l’Union africaine (UA), l’Union européenne (UE) et la Mission des Nations unies au Congo (MONUC, créée par résolution 1279 de l’ONU du 30 novembre 1999) considérait Kabila comme le plus enclin à négocier avec les grandes puissances la gestion des immenses richesses du pays par l’application de contrats « lion » (favorables à l’entrepreneur-acheteur étranger), contrairement à Kabila père. , qui avait caractérisé son ascension au
pouvoir par une attitude clairement anti-occidentale.

Péché originel
La tournure qu’a prise la Transition a porté en elle les germes de nouvelles divisions et la résurgence de conflits dus à ces décisions unilatérales, qui ont également fait les frais de l’opposant historique au dictateur Mobutu, Etienne Tshisekedi. Principal opposant civil de Kabila fils, celui qui était surnommé le Sphinx de Limeté (arrondissement de Kinshasa) a été exclu de la nouvelle architecture institutionnelle avec au moins un coup traître.
Pour résumer, le péché originel de ce processus de pacification impériale, qui n’a pas adhéré aux besoins des populations qui cherchaient une réconciliation effective après deux guerres épuisantes et particulièrement coûteuses en vies humaines, peut se résumer dans la partialité de certains choix imposés , du principal produit l’avènement d’une armée, les forces armées de la RDC (FARDC), dépourvue d’une doctrine de protection des populations et de défense des frontières nationales.
Au contraire, les FARDC sont devenues porteuses, par l’influence exercée par leurs principaux cadres, d’une virulente philosophie d’exclusion nourrie de réflexes ouvertement xénophobes et ont continué, comme les ex-FAC, à collaborer avec les FDLR, dont la présence 19 ans plus tard encore sur le sol congolais, il représente l’autre contradiction frappante du rôle joué par la communauté internationale dans la gestion de la crise depuis l’époque de Sun City.
Déjà dans l’accord rwando-congolais de Pretoria, l’une des principales clauses prévoyait le
démantèlement de ce groupe armé par le gouvernement provisoire congolais et l’ONU. Décision répétée des dizaines de fois dans toutes les résolutions et dans tous les rapports de l’ONU, mais restée systématiquement lettre morte.
C’est ainsi que ces politiques de haine tribale et de violence contre les civils héritées de la guerre deviendront systémiques. Ils restent les causes principales et jamais supprimées de la crise, dont le conflit d’aujourd’hui entre les forces gouvernementales et le M23 est l’expression.
Ce mouvement trouve en fait son origine dans les failles que l’on vient d’examiner dans la gestion de la Transition suite à la fin de la Seconde Guerre congolaise. C’est à cette époque que naît la rébellion nkundiste, dont le M23 est le dernier avatar. Le premier acte de cette révolte se déroule presque discrètement, mais il reste à retenir comme le signe avant-coureur d’une longue histoire toujours en cours.

Début août 2003, le général tutsi LLaurent Nkunda, ancien membre du RCD-G, refuse de se rendre à Kinshasa pour intégrer les FARDC en gestation. «Le principal point de désaccord avec le processus en cours concerne les lacunes du compromis sécuritaire. Laurent Nkunda exprime ses inquiétudes en expliquant que le problème d’insécurité à l’Est causé par les FDLR n’est pas résolu et que les familles réfugiées au Rwanda et les déplacés internes ne pourront pas retourner dans leurs villages avant qu’une solution au problème ne soit trouvée» , explique-t-il Steward Andrew Scott dans son Laurent Nkunda et la rébellion du Kivu (Karthala 2008, en italien : Laurent Nkunda et la rébellion du Kivu).

Né le 6 février 1967 à Mirangi, village situé dans la chefferie Bwito du territoire de Rutshuru, au Nord-Kivu, Nkunda est issu d’une famille qui résidait à Jomba, dans une autre chefferie (la Bwisha) de Rurshuru. Les parents ont fui vers Mirangi en 1953 lorsque leur communauté a été soumise à la violence d’autres groupes ethniques. En effet, c’est à la fin de l’ère coloniale que les autorités belges ont commencé à exploiter les rivalités identitaires entre les différentes communautés, provoquant des guerres paysannes et des conflits entre agriculteurs et bergers.
Cinq ans après l’Indépendance, en 1965, une guerre, dite Kanyarwanda, éclate au Nord-Kivu entre les Hunde, qui se considèrent indigènes, et cette composante de la population rwandophone que les colons ont immigrée (en deux vagues, en 1929 et 1956) du Rwanda. Plus tard, lors de ses premières études au début des années 1970, le jeune Laurent Nkunda apprendra l’importance du phénomène du tribalisme, ses diverses ramifications historiques et géographiques dans la région et l’usage cynique qu’en avaient fait les pouvoirs, coloniaux et locaux. et a continué à le faire. Il découvrira à l’école que beaucoup de ses camarades tutsi étaient d’origine rwandaise, issus de familles ayant fui le Rwanda entre 1959 et 1960, pendant la période des premiers pogroms anti-tutsi après la « révolution » hutu (1959-1961). a violemment renversé la monarchie tutsie.
L’humus dans lequel grandit Laurent Nkunda est important pour comprendre les origines d’un mouvement qui occupe la chronique de nos jours d’une part ; et en même temps, au contraire, l’usage qu’en ont fait les régimes congolais successifs et les acteurs internationaux. Le tout dans l’application du fameux principe de diviser pour régner, forme ancestrale et malheureusement évidente de contrôle des populations, dont le coût en termes de sang versé a longtemps été exorbitant.
Après s’être imprégné de l’histoire de sa terre et avoir étudié la psychologie à l’Université de Kisangani (capitale de la province de la Tshopo, au nord-est de la RDC), Nkunda s’est lancé dans une carrière militaire. Il rejoint les Forces armées zaïroises (FAZ) pendant la période de la dictature mobutiste, puis, en 1994, il s’engage dans la résistance de l’Armée patriotique rwandaise qui combat les forces responsables du génocide de ses congénères tutsis au Rwanda. Il est ensuite devenu officier dans les Forces armées congolaises (FAC) après l’arrivée au pouvoir de LD Kabila en 1997, l’année avant de rejoindre la rébellion du RCD-G (1998).

La prise de Bukavu
Si l’Accord de Sun City avait laissé les problèmes du Kivu en suspens, les modalités du processus de formation de la nouvelle armée sous le règne du xe-FAC de Joseph Kabila les ont considérablement aggravées : « Depuis la formation du gouvernement de transition en juin 2003, les militaires (du RCD, ndlr) se sentent abandonnés dans l’est du pays, alors que de nombreux membres fondateurs du RCD-Goma deviennent ministres. Le 2003 est une année douloureuse pour ces militaires, qui assistent à l’entrée dans le système de leurs anciens dirigeants politiques, qui oublient ceux des leurs qui sont restés en place à l’Est »… (S. A. Scott, ouvrage cité, pages 145-46). Nkunda ne reste pas inactif, maintient le contrôle d’une partie de ses troupes au sein du RCD-G et met en place la Synergie nationale pour la paix et la concorde (SNPC) afin de réconcilier toutes les ethnies des deux Kivus. La violence intercommunautaire existe toujours, provoquée par des politiciens en compétition pour le pouvoir local.
Le général lui-même est contraint d’envoyer des membres de sa famille sous la menace de Goma, la capitale du Nord-Kivu.

En avril 2004 à Bukavu, la capitale du Sud-Kivu, une révolte éclate de soldats Banyamulenge, Tutsis des hauts plateaux d’Itombwe. La communauté munyamulenge est sous pression, les rumeurs d’un pogrom naissant se propagent et certains banyamulenge sont tués. A la tête des anciennes “Brigades autonomes” du RCD-G, Laurent Nkunda marche sur Bukavu et l’occupe. Après avoir mis fin aux violences, il quitte la ville et se retire à Minova, ville du territoire de Kalehe, au Sud-Kivu, où il résiste aux attaques des forces du général Mbuza Mabe, envoyées par Kabila.

Gatumba: la transition doit continuer
Le 13 août de la même année à Gatumba au Burundi et près de la frontière congolaise, un camp de réfugiés Banyamulenge et Babembe, qui avaient fui Bukavu lors des événements d’avril, est attaqué par une coalition de FDLR et de gangs tribaux armés, les Mai-Mai , appartenant à la « maison militaire » de Kabila. Les cases sont incendiées en pleine nuit et les rescapés se retrouvent avec des machettes et des armes à feu. Les scènes du massacre sont horribles. Au final, il y a environ 147 morts.
Gatumba est l’un des premiers massacreurs de l’ère Kabila, mais la communauté internationale réunie au CIAT fait profil bas: la Transition doit continuer. À ce moment-là, le général rebelle crée une structure d’autodéfense pour défendre les communautés vulnérables, l’équipe anti-génocide (AGT). Si la protection des communautés rwandophones est une priorité, le recrutement et la sensibilisation sont orientés vers toutes les ethnies du Kivu, grâce aussi à l’activisme des membres du NCS.
Pendant ce temps, Kabila décide de se débarrasser de Nkunda et envoie en décembre 10 000 hommes au Nord-Kivu, recrutés pour la plupart dans les rangs de l’ancienne armée du MLC de Jean-Pierre Bemba. A Kanyabayonga, ville du territoire de Lubero, dans le “Petit Nord” du Nord-Kivu, les troupes de Nkunda stoppent l’avancée des forces ennemies et la “première guerre” du Kivu se termine par la victoire du général rebelle.

L’avènement du CNDP
Devant la tournure prise par les événements -Kabila entend reprendre tous les leviers de
commandement à l’Est en marginalisant les populations rwandophones et les militaires de l’ex-RCD-G-, Laurent Nkunda tente d’élargir l’aire de consensus politique à son action en s’adressant aux membres influents des autres ethnies (Nande, Fuliro, Shi, Nyanga etc) d’une part ; et le renforcement de ses capacités militaires d’autre part. Il a d’abord transformé l’AGT en Comité militaire pour la défense du peuple (CMDP), puis l’a fusionné avec le SNPC et a créé le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) le 25 août 2005 à Bwiza, près de Kichanga (territoire de Masisi, Nord-Kivu).
La géographie n’est pas anodine dans ce cas, et Nkunda la répétera souvent pour affirmer son autonomie vis-à-vis du Rwanda et aussi par rapport à son expérience antérieure au sein du RCD-G, rébellion (1998-2002) tributaire du Pays des Mille Collines. “L’AFDL (Alliance des forces démocratiques de libération du Congo, qui en 1996-97 a mené et gagné la guerre contre la dictature de Mobutu, ndlr) et la RDC-G sont nées à Kigali, au Rwanda. Le CNDP est né à Bwiza, en RDC, et est un mouvement congolais qui lutte pour les intérêts et la défense des populations congolaises».
En effet, après la prise de Bukavu, de nombreuses voix s’étaient élevées dans des secteurs importants de la communauté internationale et en RDC accusant le Rwanda d’être à l’origine de ces premiers signes de la rébellion nkundiste : notamment en France, face à la persistance d’une vive polémique entre les autorités de Kigali et celles de Paris sur les responsabilités françaises dans l’extermination des Tutsis en 1994 ; mais aussi par un puissant lobby anti-rwandais transnational, aux forts empêtrés dans le monde anglo-saxon et souvent enclin à des positions ouvertement négationnistes pour lesquelles, et selon les variantes plus ou moins extrêmes de ce discours, les Tutsis à leur tour ils auraient commis un génocide des Hutu, voire provoqué le leur en tuant le chef de l’Etat hutu Juvénal Habyarimana et en infiltrant les milices qui ont massacré leurs congénères.

Le lobby anti-rwandais
Cette masse de forces hétérogènes s’est engagée depuis lors dans une intense bataille
communicationnelle visant à contrecarrer par la force toute forme d’opposition susceptible de remettre réellement en cause le pouvoir né à Sun City par les grandes puissances et certaines puissances régionales (Angola, Africa del South..).
Une opposition de ce type devait nécessairement être désavouée, ignorant et déformant son projet politique, au point de le diaboliser avec un storytelling dans lequel il devait être considéré comme le pur instrument des ambitions d’expansion militaire et économique de Kigali. Et ce fut le sort réservé d’abord au CNDP, puis au M23.
Les grands médias se sont imposés comme le principal porte-parole de cette vulgate officielle qui invite dans son argumentaire la thèse du double génocide (celui des Hutus par les victimes de la première extermination, comme nous l’avons vu précédemment), la théorie du 5 millions de morts congolais – évoquée en victime voire en compétition pour produire l’hypothèse d’un ‘triple génocide’ -, mais qui a ensuite été démentie par une étude menée par l’UE dans le cadre du recensement électoral de 2006, ou celle de la prétendue volonté de balkanisation de la RDC), qui aurait favorisé les intérêts du Rwanda, par des rébellions « téléguidées ». Lesquels, en réalité, n’ont jamais fait de la sécession du Kivu un de leurs objectifs.
Les journalistes et les analystes ne sont pas les seuls à y avoir contribué. La France, grâce au contrôle exercé sur le Département des Opérations de Maintien de la Paix (DOMP ou DPKO, selon l’acronyme anglais, plus utilisé) organise le travail des « experts » onusiens qui doivent rédiger des rapports orientés
vers le SGNU. L’un de ces militants experts a été identifié comme un sympathisant des milices génocidaires Interahamwe, qu’il avait qualifié de “sincèrement nationaliste” sur sa page Facebook. Avec les autres de son staff, il a été recruté par Jason Sterns, un chercheur américain qui s’était vu confier le rôle de coordinateur du groupe et dont de nombreuses sources indiquent qu’il est également proche des milieux de l’opposition armée à Kigali.

L’homme est extrêmement prudent dans la gestion de son rôle. Pour se rendre crédible lorsqu’il désinforme, il utilise la technique éprouvée de donner un coup au cercle et un au tonneau : en 2017, par exemple, il a été l’auteur d’un rapport bien ficelé pour son think tank Congo Study Groupe, dans lequel il accuse les FARDC d’être impliqués dans les massacres de Beni, dans le Grand Nord du Nord-Kivu.

Sauf qu’en décembre 2008, il devient le protagoniste d’une gaffe sensationnelle. Il a fait dresser un rapport entièrement contre le Rwanda accusé de soutenir le CNDP, le tout moins d’un mois avant le démantèlement du mouvement Nkundiste par… le Rwanda. Un événement marquant dont nous reparlerons plus tard.
En revanche, il faut souligner la réaction des dirigeants rwandais suite au premier congrès fondateur du CNDP à Bwiza comme emblématique. Quelques semaines plus tard et sous la pression américaine, 47 collaborateurs de Laurent Nkunda, dont l’actuel président du M23 Bertrand Bisimwa, réfugiés au Rwanda, sont arrêtés par les autorités locales et extradés. Le colonel munyamulenge Jules Mutebusi, protagoniste du soulèvement de Bukavu, est également arrêté. « Laurent Nkunda, en plus de perdre quelques éléments précieux de son mouvement naissant, fait face à un changement d’attitude de la part du Rwanda. A partir de ce moment, il va se rendre compte qu’en plus de ne plus pouvoir compter sur les
cadres politiques du RCD-G, il ne pourra plus compter sur le soutien rwandais”, note S. A. Scott (ouvrage cité, pages 169 -170).
Par conséquent, le général ne change pas sa politique. Son combat pour l’élimination du phénomène FDLR du sol congolais lui garantit au moins la neutralité de Kigali, dont les autorités se réjouissent pourtant de la présence d’un mouvement qui fait office de bouclier, près de la frontière commune, contre les incursions des forces génocidaires.

Le mélange 2007
En janvier 2006, le nouveau commandant des FARDC envoyé sur le territoire de Rutshuru (Nord-Kivu) par J Kabila, l’ex-Mai Mai Kasikila, est responsable d’atrocités contre la communauté Tutsi, dont certains membres ont été brûlés vifs sous la torture . du pneu. Après avoir vainement attendu l’intervention de l’armée, Nkunda bat les troupes de Kasikila en s’emparant de nombreuses localités et en étendant l’aire géographique dans laquelle ses unités – majoritairement issues de trois Brigades « autonomes » du RCD-G (les 81, 82 et 83), renforcées par la suite par d’autres adhésions, telles que celles des Forces de
défense locales du gouverneur hutu Eugène Serefuli-, traitent de la sécurité des différents communautés.

Ensuite, dans la ville de Sake, la ligne de front qui sépare le CNDP des FARDC, la tension est forte entre les deux camps. Le 21 novembre, la 11e brigade des FARDC attaque l’Armée nationale congolaise (ANC), la branche militaire du CNDP, mais perd la bataille. Les forces de Nkunda avancent vers Goma, la capitale provinciale, mais sont stoppées par l’intervention des hélicoptères de combat de la Mission de l’ONU (MONUC). Qui, pour la première fois, déroge au principe de neutralité de l’ONU et entre en guerre
contre le CNDP.

Les négociations entre la rébellion et le nouveau gouvernement, issues de l’élection présidentielle de la même année 2006, qui a confirmé J Kabila au pouvoir dans une situation confuse d’irrégularités qui auraient pénalisé le vrai vainqueur, Jean-Pierre Bemba, se déroulent durant le mois de décembre. Ils se concluent par un gentleman agreement qui sera appliqué via l’accord de Goma du 16 janvier 2007.
Selon ses clauses, les forces de l’ANC et celles des FARDC se réuniront dans un processus mixte dans lequel chaque unité préservera son intégrité sous un commandement unifié. Une procédure manifestement de compromis, officiée pour la composante gouvernementale par le général John Numbi, figure de proue du régime, et qui révèle toute la méfiance persistante entre les deux camps, chacun conservant sa propre chaîne de commandement.
En position d’infériorité militaire, Joseph Kabila a été contraint de composer avec un mouvement dont le programme ne se limite plus à la protection d’une communauté, la réconciliation des différentes ethnies de l’Est et le démantèlement des gangs génocidaires des FDLR. Le CNDP s’investit désormais dans la critique radicale d’un régime fondé sur le système patrimonialiste d’appropriation des ressources naturelles et étatiques par la classe politique et sur une idéologie nationale-populaire fondée sur la promotion de la haine tribale, de l’ethnicisme et de la xénophobie.

Les forces mélangées devaient mener ensemble une campagne militaire contre les FDLR, avec laquelle, cependant, les officiers supérieurs des FARDC ont continué à coopérer. Les troupes de l’ANC, commandées par Sultani Makenga, actuel chef militaire du M23, installé au Sud-Kivu, ont remporté une série de succès contre les FDLR, qui, malgré les accords passés, n’ont pas été appréciés par les hautes hiérarchies des FARDC. Ainsi, après seulement 7 mois, l’opération de brassage échoue lorsqu’en juillet,

une brigade sous commandement FARDC attaque les positions d’une unité ex-ANC.
Le métissage a vécu, mais il reste l’objet d’une autre légende congolaise. Pour expliquer la faiblesse congénitale de leur armée, les franges les plus extrémistes recourent à l’argument de l’infiltration «rwandaise» dans les FARDC, infiltration qui se serait produite lors des opérations de brassage avec les troupes du CNDP. Qui, après tout, a duré quelques mois et n’a jamais atteint le stade d’une véritable fusion…

La Conférence de Goma 2008
Quoi qu’il en soit, après Kanyabayonga et Sake, la “troisième guerre du Kivu” se déroule en phases alternées et aboutit à la victoire spectaculaire de l’ANC qui regagne le camp de Mushaki précédemment perdu avec une opération militaire nocturne qui a surpris les forces adverses. En position de faiblesse, les loyalistes signent le cessez-le-feu en décembre 2007, prélude à la conférence de paix de Goma en février 2008, à laquelle, outre le CNDP, sont conviés les groupes armés de l’Est, créant un amalgame entre une politique mouvement et gangs tribaux sans cause ni projet.
Dans l’accord final, Kinshasa s’est engagé à promulguer une amnistie, à organiser le retour des réfugiés dans les pays voisins, à déclarer le Kivu “zone sinistrée” pour étudier un plan de développement, et à démanteler les FDLR. Aucune de ces conditions n’a été remplie et les hostilités ont repris en août dans le territoire de Rutshuru. La énième défaite des FARDC, qui ouvre la voie aux négociations à Nairobi (Kenya), est un signal d’alarme pour le régime qui, à ce stade, craint pour sa propre survie face à un mouvement insurrectionnel, aux ambitions désormais nationales .

Le “coup d’Etat” de Kigali en 2009
Et ici le Rwanda entre en jeu, dans un rôle inverse de celui que lui attribuent les révélations officielles qui en font plutôt l’éternel pays agresseur. Paradoxe de la grande bataille communautaire qui, dans cette partie tourmentée de la région africaine des Grands Lacs, se déroule sans retenue depuis 1994.
Le président rwandais Kagame ouvre le bal en déclarant : « Si Kunda se bat pour protéger sa communauté, son combat est respectable ; mais si Nkunda se bat contre le gouvernement de Kinshasa, alors son rôle est celui d’un chef de guerre et, en tant que tel, je le combats. En décembre 2008, le chef d’état-major de l’armée rwandaise (RDF), Marcel Gatsinzi, déclare à la presse : “Nous nous apprêtons à prêter main-forte à nos amis congolais, afin qu’ils règlent une fois pour toutes le problème de la rébellion
contre Est “.

Nous avons vu dans notre précédent article comment l’opéra de Kigali « en organisant un «putsch» interne au CNDP, qui n’a réussi qu’en partie, et en procédant à l’arrestation de Nkunda, qui se trouve depuis lors dans une résidence gardée en territoire rwandais. Ensuite, il y a eu les accords du 23 mars 2009, dans lesquels, outre les revendications précédentes, il a été décidé de mettre en œuvre la réforme de l’armée. La non-application de ces accords est à l’origine de la cinquième guerre (2012-2013) avec le même mouvement, qui ne s’appelle plus CNDP, mais M23. Cela s’est terminé avec les protocoles de Nairobi, dont les clauses n’ont pas été respectées par Kinshasa même cette fois. Cela a ouvert la voie au conflit qui a débuté en novembre dernier, qui se poursuit dans une phase d’incertitude et de tensions régionales extrêmes, et avec le Rwanda à nouveau
accusé, notamment par le gouvernement congolais, de soutenir la rébellion congolaise.

Un sort étrange pour ceux qui avaient pris leurs distances avec les insurgés nkundistes dès 2005 et qui, quatre ans plus tard, s’étaient directement impliqués pour porter un coup très dur aux ambitions du
mouvement. Sans oublier qu’en novembre 2012, alors que le M23 occupe Goma pendant quelques
jours, le Rwanda est le premier pays à élever la voix en ordonnant aux rebelles de quitter la ville.
Et ironie du sort, les autorités rwandaises qui ont su reconstruire un pays détruit par le génocide en mettant fin à la haine tribale, sont indirectement appelées à écraser un mouvement qui se bat pour ce
même but…

Tribalisme meurtrier
Ces jours-ci, les masses congolaises surexcitées par la propagande gouvernementale réclament d’être armées par les autorités pour “porter la guerre à Kigali”, alors que la chasse aux Tutsis a déjà fait de
nombreuses victimes. A l’Est de la RDC, le récit officiel s’érige en vérité d’Etat et subsume les faits réels,
qui disparaissent dans la bataille communicationnelle menée aux aboutissements extrêmes du terrorisme psychologique.
Les extrémistes congolais refusent d’être accusés de tribalisme, qu’ils considèrent comme étranger à leur pays. Mais l’histoire prouve le contraire. On le rappelle par les pogroms contre les citoyens originaires du Kasaï, soumis à une purge massive au Katanga entre 1992 et 1994.
Mais surtout des événements plus récents, survenus sous la présidence de J. Kabila, nous le rappellent. Les milices ethniques Tetela et Tshokwe du Kasaï, organisées pour traquer les Baluba lors de la répression féroce de la révolte Kamuina Nsapu en 2017. Le massacre des Banunu de Yumbi (province du Mai-Ndombe, décembre 2018) par la milice Batende organisée par le actuel gouverneur de Kinshasa
Gentinyi Ngobila. Et tout le cycle des massacres de Beni, dans le Grand Nord du Nord-Kivu, où les des gangs ethniques indigènes (Vouba, Talinga, Pakombe), manipulés par certains diplômés des forces spéciales de l’armée, ont massacré et continuent de massacrer une partie de la population nande,
considérée comme «allochtone».
En RDC, la gouvernance par la haine, la terreur et la prédation est sur le point d’atteindre un point de non-retour qui pourrait menacer l’unité et la cohésion sociale du géant centrafricain, l’un des pays les plus riches de la planète en ressources naturelles stratégiques.

Luigi Rosati