République Centrafricaine. Crise gouvernementale à l’ombre de la lutte pour la suprématie entre la France et la Russie (F. Beltrami)

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La République Centrafricaine connaît une nouvelle crise politique se révélant incapable de sortir de la situation chaotique d’instabilité dictée par le cycle de guerres civiles qui a débuté en 2001 lorsque le Général François Bozizé ouvre les hostilités contre son Président Ange-Félix Patassé avec le soutien de la France et de mercenaires engagés au Congo et au Tchad.

La République Centrafricaine, qui est restée célèbre dans l’histoire pour le régime insensé de Jean-Bedel Bokassa qui s’est lui-même couronné Empereur d’Afrique; est le deuxième pays le moins développé du monde selon les Nations unies, mais regorge de pétrole (un milliard de barils comme réserves estimées), d’uranium (20 000 tonnes de réserves estimées principalement exploitées par la multinationale française AREVA) et des diamants (production annuelle estimée à environ 500 000 carats).
Jeudi 10 juin, le Premier Ministre Firmin Ngrebada a annoncé la démission de son gouvernement, six mois après la réélection contestée du Président Faustin-Archange Touadéra sorti vainqueur du premier tour avec 53,16 % des voix. Les élections tenues en décembre 2020 font l’objet d’allégations de fraude électorale par l’opposition. Un électeur sur trois a pu participer en raison d’une offensive rebelle sur la capitale Bangui arrêtée par des conseillers militaires russes avec le soutien de mercenaires syriens et russes engagés par la célèbre société paramilitaire Wagner.

Firmin Ngrebada avait occupé le poste de Premier Ministre pendant plus de deux ans, devenant l’un des grands architectes de l’accord de paix de Khartoum en février 2019 entre le gouvernement et les principaux groupes armés qui contrôlaient à l’époque 80% du territoire national.

Les accords de paix ont été rejetés par la nouvelle et dangereuse formation rebelle : la Coalition des Patriotes pour le Changement (CPC) qui affronte une armée régulière théoriquement bien mieux armée et nombreuse mais incapable de soutenir les affrontements sans l’appui de soldats rwandais et de centaines de mercenaires Russes et Syriens embauchés par Wagner en décembre dernier. Diverses agences de renseignement africaines et occidentales affirment que le président Valdimir Poutine utiliserait Wagner en Afrique Centrale, en Syrie, en Libye et sur d’autres théâtres de guerre pour dissimuler les interventions militaires étrangères de l’armée russe.

Le soutien des soldats rwandais et des mercenaires russes syriens a permis au gouvernement de reconquérir une grande partie de plus des deux tiers du territoire contrôlé par les miliciens du PCC sans toutefois porter le coup final à cette dangereuse rébellion.
Vingt ans d’instabilité et de guerre civile ont pratiquement détruit le tissu socio-économique du pays. La situation humanitaire est inimaginable. Fin mai, l’ONU estimait que près de la moitié de la population était en danger de pénurie alimentaire. Sur les 4,9 millions d’habitants, plus de 630 000 personnes sont en situation d’urgence.

Le gouvernement Touadéra a tenté de résoudre la crise gouvernementale en agissant rapidement pour remplacer le Premier Ministre sortant par Henri Marie Dondra, nommé chef du gouvernement vendredi 11 juin par décret présidentiel lu à la radio nationale. Dondra est un cadre supérieur du parti présidentiel MCU (Mouvement Cœurs Unis). Il est reconnu pour ses compétences en finance internationale et sa connaissance des programmes d’aide. Avant sa démission, l’ancien Premier Ministre s’était rendu à Saint-Pétersbourg pour attirer davantage d’investissements russes dans le pays.

L’incapacité à stabiliser le pays et à imposer une paix durable est due à l’inefficacité et à la corruption du gouvernement Touadéra qui s’inscrit dans une guerre froide entre la France et la Russie pour le contrôle des ressources naturelles centrafricaines. Depuis 2018, la Russie rivalise en Centrafrique pour remplacer la France, ancienne puissance coloniale, en augmentant ses investissements miniers, protégés par la coopération militaire avec le Président Touadéra.
Constatant la perte progressive d’influence, Paris a choisi d’adopter une ligne dure contre le gouvernement de Bangui en gelant l’aide bilatérale au budget national et en suspendant sa coopération militaire avec Touadéra, considéré comme « complice » d’une campagne anti-française menée par Moscou. Il reste 300 militaires français en Centrafrique, dont la plupart font partie de la mission de maintien de la paix de l’ONU et d’une mission d’entraînement de l’armée régulière de l’Union Européenne. Le contingent français au sein de ces deux missions bénéficie d’une totale autonomie d’action et répond directement au gouvernement et au Ministère de la Défense français.

Le Ministère français des Affaires Étrangères mardi 8 juin a informé la Reuters qu’il avait réduit de 10 millions d’euros l’aide bilatérale à son ancienne colonie. “” Une série d’engagements pris par les autorités centrafricaines envers la France ne sont pas atteint, en particulier la réticence à arrêter les campagnes de désinformation en ligne visant à saper l’influence française en République Centrafricaine », explique le ministère français des Affaires étrangères.

La France a une longue histoire d’interventions militaires dans son ancienne colonie pour tenter de la stabiliser. Paris est soupçonné d’être l’instigateur de la première guerre civile entre le Président Ange-Félix Patassé et le Général Bozizé, qui a ensuite été déshonoré et soupçonné de compromettre les intérêts des multinationales françaises en s’ouvrant à la Chine et à l’Afrique du Sud.

L’ancien Général français Jean-Bernard Pinatel, une sommité du renseignement français, a accusé son pays en 2014 de soutenir indirectement la milice musulmane Séléka pour se débarrasser de Bozizé. A l’époque Pinatel avait exprimé son pessimisme aux médias français quant à la possibilité que l’intervention française puisse résoudre la situation et stabiliser le pays en raison d’un manque de soutien politique, militaire et économique de l’Union Européenne et des États-Unis et de la politique contradictoire du Président François Hollande envers son ancienne colonie africaine.

L’influence de la France en Centrafrique a drastiquement diminué depuis l’entrée en scène de la Russie avec de lourds investissements et l’envoi de centaines de mercenaires déguisés en instructeurs militaires au service de l’armée régulière. Depuis 2018, une guerre sans merci par procuration éclate en Centrafrique entre Paris et Moscou. Leur ingérence est considérée par divers observateurs régionaux comme l’une des principales causes de la poursuite des combats et de l’instabilité dans le pays.

L’ONU est intervenue pour aider la France. Vendredi 11 juin, le Conseil de Sécurité, inquiet des graves crimes de guerre et des multiples violations des droits de l’homme imputés aux mercenaires russes, a bloqué l’arrivée d’un contingent de renfort composé de 1 000 paramilitaires de la société russe Wagner. Les mercenaires russes étaient soupçonnés d’avoir délibérément provoqué l’attaque contre le Tchad le 30 mai, menée par une action conjointe entre Wagner et l’armée centrafricaine. Accusation démentie par le gouvernement de Bangui. Les mercenaires russes sont également accusés d’être à l’origine des menaces de mort proférées contre le chef adjoint de la mission de maintien de la paix de l’ONU en République Centrafricaine : MINUSCA.
Si les soupçons d’ingérence de Moscou occupent les pages étrangères des journaux français, des soupçons d’ingérence identiques pèsent sur Paris. Le 10 juin, un citoyen français a été arrêté par les autorités centrafricaines pour espionnage, complot et atteinte à la sécurité de l’État. Juan Rémy Quignolot est désormais en détention provisoire et l’enquête a été confiée au Procureur Général près la Cour d’Appel de Bangui : Eric Didier Tambo.

“Les accusations sont d’espionnage, de détention illégale d’armes de guerre et de chasse, de complot, d’atteinte à la sécurité intérieure de l’Etat et de complot”, explique le Procureur Tambo, sans toutefois évoquer directement la France. Deux jours après son arrestation, Paris a déposé une protestation officielle exigeant la libération immédiate de son citoyen.

L’opposition Paris-Moscou en Afrique centrale s’avère extrêmement préjudiciable à la stabilité du pays et à la paix régionale. Divers observateurs africains craignent que cela ne se transforme en un jeu de boucherie où l’émergence d’un vainqueur est peu probable. A payer le prix de cette guerre froide : la population centrafricaine. La guerre froide en Afrique centrale risque de s’étendre aussi au Mali.

Après l’annonce par le Président Emmanuel Macron d’une restructuration radicale de l’opération Barkhane au Mali, les membres de la plateforme Intervention Russie militent pour que Moscou s’implique dans les affaires du pays ouest-africain, comme à l’époque de la décolonisation, au fil des années 1960, lorsque Bamako s’est rapproché de l’ex-URSS.
La junte militaire malienne semble se réjouir de l’entrée en scène de la Russie. Sentiment partagé par certains secteurs de la société civile, dont Sidi Traoré, membre d’un mouvement citoyen à Bamako qui a récemment déclaré à Franceinfo : “Nous voulons que la Russie vienne régler nos problèmes de sécurité. Nous avons vu la Russie coopérer militairement avec d’autres pays, comme la Syrie ou, plus récemment, la République centrafricaine. Nous sommes convaincus que l’armée russe fera plus que la France».

D’avis contraire, Boubacar Ba, un proche de l’influent imam Dicko, très en vue lors des événements de 2020. « Nous assistons à une querelle géopolitique au Sahel. Le champ d’action classique de la Russie n’est pas le Sahel. La tentation russe est alimentée par le sentiment anti-français. Une partie de l’opinion publique malienne veut se battre avec les autorités françaises et trouve une alternative. Mais c’est un saut dans l’inconnu”.

Fulvio Beltrami