Soudan du Sud. Le vice-président Riek Machar limogé de son parti (Fulvio Beltrami)

Figure centrale de la politique sud-soudanaise, le Dr Riek Machar Teny Dhurgon a été démis de ses fonctions de président du parti et branche armée du SPLM/A-IO, selon un communiqué daté de mardi et signé par Simon Gatwech Dual, chef de la branche armée du parti. Cette décision a été prise à l’issue d’une réunion de trois jours entre les dirigeants du SPLM/A-IO. Machar est remplacé par Gatwech Dual à la tête du mouvement par intérim.

Le parti accuse l’ancien leader d’avoir totalement échoué dans le leadership et d’avoir considérablement affaibli le poids du mouvement au sein du gouvernement de coalition, formé en février 2020. Selon le communiqué, le vice-président mène depuis des années une “politique de dividi et d’impera ” et favorisait le népotisme au détriment de l’unité et du progrès.
Contacté par l’Agence France Presse, le porte-parole de Machar, Lam Paul Gabriel, a condamné et dénoncé cette décision. “Nous réaffirmons notre plein soutien et notre loyauté au président suprême et commandant en chef du SPLM/A-IO, le Dr Riek Machar Teny Dhurgon”, a-t-il déclaré.

Il est encore difficile de déterminer les conséquences de ce limogeage mais il semble voir une division au sein du SPLM/A-IO entre l’aile militaire et l’aile politique, contrairement à ce qu’il définit comme « un coup d’état au sein du parti ». Le Dr Machar est un politicien talentueux qui a connu des années de guerre civile, des tentatives d’assassinat et des périodes d’exil.
Ses retournements d’alliances ont façonné l’histoire sanglante du pays, qui vient de célébrer le dixième anniversaire de son indépendance, obtenue en juillet 2011.

Pendant la guerre civile contre le Nord musulman (qui a duré près de 30 ans) Machar avait fait alliance pour convenance personnelle au sein de son groupe armé composé principalement de Nouer avec le dictateur soudanais Omar El Baschir. Pendant près de 6 ans, Machar a combattu la rébellion du Sud du Mouvement Populaire de Libération du Soudan (SPLM) en tant que force mercenaire de Bashir, avant de faire la paix et de retourner les armes contre Khartoum.

Dans les premières années de l’indépendance, Machar occupait le poste de vice-président tandis que son rival politique : Salva Kiir celui de président. Le pays est dans un état de retard effroyable après trois décennies de conflit avec les Arabes du nord. Des générations entières ne sont pas éduquées n’ayant connu que la guerre et la violence. La seule chance est la mer de pétrole sur laquelle flotte le Soudan du Sud. Le gouvernement a une aubaine qui peut lui permettre de reconstruire le pays et de l’amener à la modernité en seulement une décennie.

Il suffit d’utiliser les profits pétroliers pour construire les infrastructures nécessaires, d’investir dans l’éducation dans le but de former les futurs cadres et dans les soins de santé. Un projet de renforcement de la plus jeune nation africaine accompagné d’une diversification progressive de l’économie une fois celle-ci stabilisée en croissance constante.

Tout cela ne s’est pas produit. Deux ans seulement après l’indépendance, les paroles du dictateur El Bashir se sont réalisées : « donnez-leur l’indépendance à ces Noirs. Dans moins de trois ans, ils se scanneront mutuellement à la recherche de pétrole ». C’est ce qui s’est passé à temps car les dirigeants sud-soudanais n’avaient aucune préparation politique. De simples chefs de guerre, soucieux de s’enrichir et de promouvoir uniquement les intérêts tribaux: l’ethnie Louer pour Machar, l’ethnie Dinka pour Kiir.

La rivalité entre Machar et Kiir a entraîné la démission de Machar en tant que vice-président en juillet 2013 et la guerre civile en décembre 2013. Le président ougandais Yoweri Museveni a sauvé Kiir en échange du contrôle du pétrole. Des troupes ougandaises ont été déployées pour combattre aux côtés des forces gouvernementales du Soudan du Sud contre les rebelles de Machar.
Les Nations Unies sont intervenues avec un contingent de maintien de la paix de la MINUSS (Mission des Nations Unies au Soudan du Sud) qui s’est avéré incapable d’arrêter la guerre civile et de protéger les civils. De nombreux cessez-le-feu ont été négociés par l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) entre le Mouvement de libération du peuple soudanais (SPLM) et le SPLM – A-IO de Machar et ont ensuite été violés. En août 2015, un accord de paix a été signé en Éthiopie sous la menace de sanctions de l’ONU pour les deux parties.

Machar est revenu à Juba en 2016 et a été renommé vice-président. Après une deuxième flambée de violence à Juba, Machar a été remplacé comme vice-président et s’est enfui, blessé lors des combats à Juba, du pays avec l’aide des casques bleus de l’ONU de la mission au Congo : la MONUSCO. Jusqu’en 2018, nous assistons à une lutte de tous contre tous et à une floraison de groupes ethniques rebelles régionaux qui aggravent le chaos déjà existant.
L’accord de paix de 2018, qui a eu lieu aussi grâce à la patiente médiation de la Communauté de Sant’Egidio, permet à Machar de retourner à Juba en février 2020, occupant à nouveau le poste de vice-président au sein d’un gouvernement d’union nationale. Son retour n’étant pas le résultat d’une victoire militaire mais de compromis politiques, son pouvoir au Soudan du Sud s’affaiblit, créant une application difficile de nombreux points de l’accord. Cette situation oblige les médiateurs internationaux et la Communauté de Sant’Egidio à accompagner les Sud-Soudanais dans le processus de réconciliation et de renforcement de la paix et de la démocratie. Un accompagnement qui dure encore aujourd’hui.

En juillet 2021, la Communauté de Sant’Egidio a accueilli des pourparlers de paix jouant le rôle de médiateur entre le gouvernement d’union nationale et divers groupes rebelles créés pendant la guerre civile, dans le but de créer la stabilité nationale et d’accroître l’autorité du gouvernement. Le processus de paix proposé par Sant’Egidio consiste en un cessez-le-feu immédiat, un mécanisme conjoint pour vérifier son respect, la feuille de route pour un dialogue politique sur les causes du conflit et leur solution non violente. Une fois les obstacles surmontés, les parties s’engagent à signer un accord général pour mettre fin à la lutte armée et reconnaître le gouvernement de Juba.

Dans cet environnement politique très volatile encore en partie régi par la violence, le Dr Machar a fait face à une opposition croissante au sein de ses propres rangs, où de multiples factions s’opposent et où des cadres se sont plaints d’avoir perdu l’accord conclu avec le parti présidentiel.

Ces tensions politiques surviennent dans un contexte de crise économique profonde et de niveaux extrêmement élevés d’insécurité alimentaire et de malnutrition.

Malgré les accords de paix, la formation d’un exécutif de transition et la réouverture du Parlement, la violence n’a jamais complètement cessé au Soudan du Sud et selon l’ONG sud-soudanaise Community Empowerment Progress Organisation (CEPO), entre janvier et mai 2021 plus de 3 000 personnes ont été tués ou blessés dans des affrontements intercommunautaires et à ce jour la situation, également aggravée par l’épidémie de Covid19, reste extrêmement précaire : l’économie est très critique, les armes continuent de circuler et les différences ethniques subsistent, devenant un obstacle concret à une renaissance unitaire de le pays. Les systèmes de base du pays et les véritables fondements d’une nation restent absents : la cohésion nationale, l’unité des dirigeants politiques, la réconciliation sociale et l’idée de citoyenneté.

On estime que 400 000 personnes ont été tuées pendant la guerre civile ponctuée d’atrocités notables telles que le massacre de Bentiu en 2014. Plus de 4 millions de personnes ont été déplacées, dont 2,5 millions de réfugiés dans les pays voisins, notamment en Ouganda et au Soudan.

La démission de Machar décidée par l’aile militaire de son parti montre que la politique est toujours prisonnière des militaires et met gravement en péril les efforts de paix de la Communauté de Sant’Egidio.

Fulvio Beltrami