Tchad : les généraux Zaghawa restent au pouvoir, l’Union européenne embarrassée (F. Beltrami)

Après la nouvelle de la mort d’Idriss Déby, une ère d’incertitude commence pour le Tchad et pour toute la région. L’armée a pris le pouvoir, plaçant Mahamat Idriss Deby (fils du défunt président), à la tête du pays. Les partis d’opposition et la société civile dénoncent un coup d’État car la Constitution prévoit en cas de décès du Président une période de transition contrôlée par l’Assemblée Nationale avec la nomination du Président du Parlement à la présidence de la République ad intérim avec le mandat d’organiser les élections dans un delais non superieur a’ 6 mois. Au contraire, les Généraux (appartenant pour la plupart à l’ethnie du président décédé: les Zaghawa) ont dissous l’Assemblée Nationale, suspendu la Constitution, imposé un couvre-feu à tout le pays, fermé toutes les frontières aériennes et terrestres. La période de transition a été fixée à 18 mois.

«Ce n’est pas le travail de l’armée de prendre le pouvoir ou de le gérer. Même s’il est question d’une période de transition de 18 mois, il y a un risque réel que la junte militaire décide de faire passer la présidence de Mahamat de provisoire à définitive. Ce sont nos craintes », explique François Djékombé, président de l’Union Sacrée de la République. Ironiquement, Mahamat Idriss Deby a presque l’âge de son père lorsqu’il a pris le pouvoir.

«Il est impératif d’éviter que l’histoire ne se répète au Tchad. C’est le président de l’Assemblée Nationale qui doit prendre la relève en cas de décès du président ou en cas d’incapacité psychophysique permanente. La délicate transition doit être gérée par des civils avec la large participation de toutes les forces politiques et représentants de la société civile. Un président et un gouvernement de transition qui doivent se donner le mandat d’organiser de nouvelles élections, permettant à tous les citoyens tchadiens de participer au dialogue national pour définir ensemble l’avenir du pays », déclare Succès Masra, chef du Parti des transformateurs.

L’Union des Syndicats du Tchad (UST) se joint aux critiques de l’opposition. Dans un communiqué, le bureau exécutif de l’UST refuse la jounte militaire et condamne la confiscation du pouvoir par les armes. Les syndicats appellent à une transition civile et à l’ouverture d’un dialogue inclusif. Même les chefs traditionnels se sont exprimés négativement sur la manœuvre de l’armée, exigeant un transfert immédiat du pouvoir des militaires aux civils.

«Le rôle des militaires se limitera à assurer la stabilité intérieure et la sécurité aux frontières. Personne n’a l’intention de rester au pouvoir indéfiniment. Le Conseil Militaire de Transition n’a pas l’intention de confisquer le pouvoir. D’ici 18 mois, des élections libres et transparentes seront organisées où la volonté du peuple, exprimée dans les sondages, sera “respectée”, rassure Mahamat Bichara, porte-parole de la junte militaire. Bichara souligne que la transition gérée par l’armée est la seule solution possible pour éviter le chaos et ne pas livrer le Tchad au terrorisme islamique.

La menace terroriste est réelle. Iyad Ag-Ghali, chef du groupe terroriste GSIM (Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans) et Abubakar Shekau, chef de la nébuleuse secte islamique nigériane Boko Haram, sont les principaux acteurs de l’insécurité au Burkina Faso, Tchad, Mali, Niger et Nigéria depuis près d’une décennie. Idriss Deby Itno était leur adversaire le plus redoutable et le plus précieux allié des puissances occidentales dans la lutte contre le terrorisme international.

C’est précisément sur le danger terroriste que la junte militaire utilise pour engourdir toute opposition de la communauté internationale contre le coup d’État constitutionnel qui a été mis en œuvre. Les Généraux Zaghawa se présentent à l’Union Européenne et aux États-Unis comme les seuls interlocuteurs crédibles pour empêcher le Tchad et toute la région de sombrer dans le chaos après la mort d’Idirss Deby.

Les arguments dont disposent les Généraux ne manquent pas et sont extrêmement convaincants. Partant du principe que le Tchad traverse une période extrêmement délicate et incertaine, l’armée se souvient de ce qui est arrivé à la Libye, désormais aux mains de terroristes et de bandits qui ont profité de la crise politique et de la révolution de 2011. Un scénario que les dirigeants les terroristes (Iyad Ag-Ghali et Abubakar Shekau) pourraient facilement recréer au Tchad si la transition sera confiée à un gouvernement d’unité nationale composé uniquement de civils.

“Il est donc important d’éviter le chaos au Tchad et en Afrique de l’Ouest. L’Union Européenne et les États-Unis devraient se féliciter de notre décision de prendre les choses en main pour éviter qu’elle ne tombe entre les mains de terroristes” souligne astucieusement le porte-parole de l’armée. Le soutien occidental à la junte militaire tchadienne semble un choix forcé mais extrêmement difficile à justifier car il implique l’abdication des valeurs démocratiques qui sont le pilier de la Constitution européenne et américaine.

L’Union Européenne avec la crise tchadienne entre dans une période difficile. Comment accepter la junte militaire au Tchad alors qu’au Mali l’UE exigeait le respect de la Constitution et le retour au pouvoir des civils, après le coup d’État d’août 2020? Pour le moment, Bruxelles et Washington ne se sont pas encore prononcés, prendend simplement note de la situation actuelle au Tchad, dans l’espoir d’une transition pacifique vers un gouvernement civil stable.

L’Union Africaine reste également prudente, évitant a priori de condamner le nouveau-né Conseil Militaire de Transition. Le Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union Africaine, qui s’est réuni hier (jeudi 22 avril) pour discuter des crises au Tchad et en Somalie, se déclare extrêmement prudent pour condamner le choix des Généraux Zaghawa et pour imposer un gouvernement civil ou des sanctions économiques. La U.A. est bien conscient que le Tchad est un pays important pour les efforts internationaux de lutte contre les militants islamistes en Afrique et pour la stabilité de la région du Sahel. Le Tchad a également joué un rôle important dans la stabilisation du Soudan après la révolution arabe qui a mis fin à la dictature pseudo-islamique d’Omar El Bashir.

Selon certains observateurs régionaux, la position «douce» des U.A. contre la junte militaire de N’Djaména, a été facilitée par Moussa Faki Mahamat, ancien ministre des Affaires étrangères tchadien et actuel président de la Commission de l’Union Africaine. Lors de la rencontre, Faki a joué la carte maîtresse de la stabilité continentale, rappelant que l’Union Africaine et la communauté internationale ne peuvent courir le risque de gérer une guerre civile au Tchad en même temps que la guerre civile en cours en Éthiopie, où le siège de la UA

La charte du terrorisme islamique semble fonctionner. C’est hautement improbable que les puissances occidentales et la U.A. exigeront un gouvernement civil même si tous ils sont bien conscients de la spécificité etnique du Conseil Militaire de Transition. “La junte militaire qui a pris le pouvoir après la mort du seigneur de guerre Idriss Deby Itno est fondée sur la nécessité d’assurer la continuité du pouvoir de la minorité ethnique arabe des Zaghawa à travers l’instauration d’une monarchie de la famille Deby: le fils qui succède son père, sans aucun respect de la Constitution et de la démocratie. Le Tchad est en train de créer une situation africaine despotique classique dans les années 1970-1980 où les minorités ethniques guerrières ont conquis et maintenu le pouvoir à tout prix. La junte militaire tchadienne représente un pas en arrière par rapport au processus démocratique en cours sur le continent. ” explique Roland Marchal, chercheur au Centre international de recherche basé à Paris.

Les intentions des groupes terroristes islamiques (qu’ils pourraient tenter de déstabiliser le Tchad en profitant de la crise politique actuelle) ne sont pas encore connus. Le seul fait certain est la «volonté» de la rébellion du Front pour le Changement et la Concorde au Tchad (FACT) de poursuivre la révolte armée, après avoir tué le président Idriss Deby Itno au combat. «Nous rejetons catégoriquement la transition menée par les généraux et l’un des fils de Deby. Nous avons l’intention de mener l’offensive militaire pour libérer le Tchad et l’amener sur la bonne voie de la démocratie. Nos troupes se concentrent pour conquérir N’Diamena», annonce le Kingabe Ogouzeimi de Tapol, porte-parole du groupe armé FACT actuellement en exil dans la capitale gabonaise Libreville.

Il y a des rumeurs selon lesquelles la guérilla FACT veut profiter de la situation en se présentant comme le garant d’un gouvernement civil pour une transition démocratique. Cette politique viserait à gagner la confiance des principaux partis d’opposition, de la société civile et de la population en général. Des informations plus approfondies arrivent sur la composition de ce mouvement d’opposition armé. Contrairement à ce qui était initialement supposé, la rébellion FACT n’est pas composée de Zaghawa mais de l’ethnie Goran, l’un des principaux groupes ethniques d’Afrique du Nord auquel appartenait l’ancien dictateur tchadien Hissène Habré ‘. Tous les observateurs régionaux nient catégoriquement certains médias occidentaux qui ont tenté de présenter la FACT comme une formation terroriste islamique. Il s’agit plutôt d’une lutte entre deux groupes ethniques (Zaghawa et Goran) qui ont dominé la scène politique au Tchad au cours des 50 dernières années.

Aujourd’hui, dans son village natal, le président guerrier décédé selon la tradition du clan Zaghawa combattant ses ennemis sera enterré. La cérémonie est suivie par tous les présidents du G5 Sahel, la coordination de la coopération régionale dans les politiques de développement et les questions de sécurité en Afrique, formée le 16 février 2014 lors du sommet de Nouakchott, et composée du Burkina Faso, du Tchad, du Mali, de la Mauritanie et du Niger . Également présent à la cérémonie, l’actuel président de l’Union Africaine: Félix Tshisekedi, président de la République Démocratique du Congo. L’Elysée a annoncé la visite imminente du chef de l’Etat français Emmanuel Macron. Une visite nécessaire pour comprendre s’il sera approprié ou non de soutenir la junte militaire ethnique au Tchad.

Fulvio Beltrami