Tchad : mystère sur la mort du dictateur Idriss Deby Itno (F. Beltrami)

Le dictateur tchadien Idriss Deby Itno (31 ans de pouvoir despotique) a été tué le 18 avril 2021 à Nokou, au nord de la région du Kanem alors qu’il combattait en première ligne contre les rebelles Goranes du FACT (Front pour le Changement et la Concorde au Tchad) qu’ils avaient déclenché les hostilités le 11 avril.
La version officielle, largement diffusée au Tchad, rapporte que le Maréchal Idriss Deby Itno est mort sur le champ de bataille, arme à la main, combattant héroïquement l’ennemi pour protéger son pays des hordes de «mercenaires et terroristes» provenant de la Libye.

Cette version officielle de la mort du président Deby a un double objectif: elle consiste d’une part à anesthésier les populations grâce à un sentiment patriotique pour avoir son adhésion par défaut au projet de succession dynastique de pouvoir et d’autre part à justifier à la communauté internationale la montée à la présidence de son fils Mahamad Deby Itno, afin d’eviter les condamnations du coup d’État constitutionnel et l’usurpation du pouvoir au Tchad. C’est ce à quoi nous assistons et contre lequel le peuple tchadien s’oppose.

Onze jours après la mort d’Idriss Deby, enterré en tant que héros national, les émotions ont considérablement baissé, certains se sont remis du choc de la nouvelle. On assiste à présent à un véritable affrontement entre la famille Deby et les Généraux Zaghawa soucieux de maintenir le pouvoir et la population qui réclame un gouvernement de transition composé de civils avec la tâche d’amener le pays vers la démocratie.

La version fournie par le gouvernement tchadien a été officiellement acceptée au niveau international grâce à un correspondant de Radio France International qui rapporte la version reçue de l’état-major de l’armée. La plupart des médias internationaux s’alignent sur cette version qui n’aurait pourtant pas convaincu les hauts gradés du contingent militaire français de l’opération Barkane présents au Sahel pour lutter contre le terrorisme islamique et protéger les intérêts français en Afrique de l’Ouest. Même la Cellule Africaine de l’Elysée (dite Francafrique) et les experts de la DGSE (Direction Générale de la Sécurité Extérieure – les services secrets français pour l’étranger) et divers diplomates occidentaux auraient de sérieux doutes.

Idriss Deby Itno avait une mentalité guerrière, typique de l’ethnie Zaghawa et en particulier du sous-clan auquel appartenait le dictateur: les Bideyat. Il a combattu au nom du dictateur Hissène Habré contre d’autres factions dans la guerre civile dans les années 1980. Il a joué un rôle clé dans la défense du Tchad pendant la guerre contre la Libye, réussissant à vaincre l’armée du Colonel Kadhafi. Il a pris le pouvoir par la force organisant un coup d’État contre son patron. Au cours des 31 années de son règne, il a combattu diverses rébellions: de celle originaire de l’ouest par les populations bantoues aux diverses rébellions organisées par ses cousins et oncles Zaghawa pour arracher son pouvoir.

En 2007, lors de la bataille de N’Djamena, lorsque la milice d’un de ses cousins avait conquis la capitale, il a préféré se battre barricadé dans le bunker présidentiel au lieu de se rendre, parvenant à inverser la situation et à vaincre les rebelles. Lors de sa campagne électorale présidentielle d’avril 2021, il avait promis de se battre avec les armes et son sang pour garder son pouvoir.

La culture guerrière typique des Zaghawa semble renforcer la version officielle. Idriss Deby Itno, avant d’être président, était un chef de guerre devenu gendarme du Sahel il y a cinq ans lorsqu’il s’est rendu compte astucieusement que pour défendre son régime autoritaire et dictatorial et pour éviter tous problèmes avec les puissances occidentales, il devait s’engager militairement contre les groupes terroristes qui ont infesté la région.
Deby rendait un service important à l’Union Européenne: essayer de nettoyer le chaos créé par l’OTAN après son intervention militaire en Libye contre le régime du Colonel Kadhafi. À l’époque, l’Union Européenne ne comprenait pas (ou ne voulait pas comprendre) que c’était précisément le cruel et excentrique dictateur libyen qui limitait les flux migratoires illégaux en provenance d’Afrique et empêchait les divers groupes terroristes islamiques de proliférer et de prospérer en Afrique du Nord et dans le Sahel.

Après la chute de Kadhafi, la région est tombée dans le chaos, obligeant l’Union Européenne à demander l’aide d’Idriss Deby Itno et au dictateur soudanais Omar El Bashir en échange de leur réhabilitation internationale. L’aide a eu un prix amer pour les idéaux démocratiques de nous Européens. Nous avons fermé tous deux les yeux sur les atrocités commises par ces deux dictateurs contre leurs propres populations et contre autres Africains au nom de la lutte contre le terrorisme et l’immigration illégale. Les résultats ont été désastreux. Les terroristes continuent de faire rage dans la région. Les flux migratoires vers l’Europe ont diminué mais ne se sont pas arrêtés. Le Soudan reste dans une situation précaire alors que le Tchad risque maintenant d’imploser.

La mentalité enracinée du guerrier nomade ne suffit pas à expliquer comment un chef d’Etat peut décider de commettre la folie de se battre en première ligne comme dans sa jeunesse malgré l’âge de 69 ans, mettant à risque le pays, son ethnie, son clan et sa propre famille.
Certains journaux tchadiens ont publié la nouvelle selon laquelle des experts de la Françafrique et de la DGSE partagent une version complètement différente de la mort du dictateur. L’actualité n’est actuellement reprise que par le journal français Le Telegramme appartenant au Groupe Telegramme, un réseau multimédia qui va des journaux en kiosque et en ligne à la télévision.
Cette deuxième version évoque une fusillade lors d’un conseil de guerre qui a coûté la vie à Deby. Cette version a d’abord été proposée par le journaliste camerounais Alain Foka et reprise par d’autres journalistes occidentaux qui ont des liens avec la Françafrique et la DGSE. Avec le soutien de collègues du site d’information tchadien TchadHanana, nous exposons la version alternative de la mort du dictateur.

Accompagné de son aide de camp Khoudar Mahamat Acyl, frère de son épouse, le dictateur Idriss Deby Itno arrive le 17 avril dans la région de Nokou, dans la province du Kanem, où la bataille contre les rebelles FACT pour l’empêcher de attaquant la capitale: N’Djaména faisait rage. Deby s’installe à son quartier général situé à environ 50 kilomètres du front.
Le maréchal Deby tient une réunion avec plusieurs officiers à laquelle participe un Général cousin de l’opposant politique Yaya Dillo, victime en 27 février 2020 d’un attentat contre sa résidence ordonnée par le dictateur. Yaya Dillo parvient à s’échapper mais sa mère et l’un de ses petits-enfants sont tués. Yaya Dillo, née en 1974, est présidente du PSF – Parti Socialiste sans Frontières et député jusqu’au 11 mai 2020.

Yaya Dillo est une figure emblématique de l’univers politique tchadien avec une carrière partagée entre sympathies pour divers mouvements rebelles armés et services pour le compte d’Idriss Deby Itno. Ancien ministre des mines et de l’énergie et ancien conseiller du dictateur, Yaya Dillo avait l’intention de se présenter comme candidat aux élections présidentielles de 2021. Un problème pour la famille Deby car l’opposant politique est très populaire et connaît divers secrets du régime.
L’attaque de sa résidence a été provoquée par une plainte publique de Yaya Dillo dirigée contre la Première Dame, accusée par lui d’un conflit d’intérêts dans la gestion initiale de la crise pandémique de Covid19. Une accusation qui avait abouti à deux mandats d’arrêt et à la condamnation à mort prononcée par la Famille Deby en dehors des tribunaux.

L’adversaire a réussi à s’échapper et se trouve actuellement dans un endroit inconnu à l’étranger. Son frère: Ousmane Dillo a déposé en mars dernier une plainte auprès de la justice française au nom de Yaya contre le dictateur Idriss Deby Itno pour tentative d’assassinat et association de malfaiteurs dans la gestion de la pandémie Covid19. L’affaire est suivie par l’avocat français Dominique Tricaud.

Lors de la réunion du conseil de guerre, une violente querelle éclate entre le dictateur et le Général cousin de Yaya. Deby l’accuse d’être un traître alors que le Général réclame le corps des membres de sa famille tués pendant l’attaque contre la résidence de l’opposant politique maintenant en exil. Selon des indiscrétions fiables, Deby sort de son esprit et tire à bout portant sur le Général, le tuant instantanément. Le sous-lieutenant Umaru Dillo Djérou (relatif du Général tué) présent à la réunion ouvre le feu à son tour. Une fusillade s’ensuit qui entraîne la mort du dictateur et de plusieurs officiers. Le chef des services secrets: Taher Erda est légèrement blessé.
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Les officiers choqués qui sont sortis indemnes du massacre mettent en garde le fils Mahamat Idriss Deby et le Chef d’Etat-Major des les forces armées: le Général Abdelkerim Daoud. Le fils du chef (et non son père) était à l’avant-garde sur le front à coordonner la défense pour arrêter l’avancée des rebelles sur la capitale. Noté qu’Idriss est mort, un hélicoptère transporte le corps sans vie du dictateur et des blessés graves à N’Djamena.

Le palais présidentiel de N’Djamena est immédiatement protégé par une unité de chars tandis que des unités d’infanterie et de garde présidentielle occupent les principaux points stratégiques de la capitale. Ce déploiement de forces ne suscite pas de suspicion parmi la population. Il est normal qu’une capitale menacée par une attaque rebelle soit mise en garnison par des militaires en alerte.
La famille Deby et le Chef d’Etat-Major Abdelkerim Daoud tiennent une réunion d’urgence avec d’autres Généraux Zaghawa pour décider des mesures les plus appropriées pour maintenir le pouvoir après la mort soudaine du dictateur.

Immédiatement, il est décidé de garder les nouvelles cachées de peur que les troupes au front abandonnent les combats. Une crainte bien fondée car l’armée tchadienne ne se bat pas pour la République mais pour un chef. Comme au Moyen Âge en Europe, la mort de leur chef ferait immédiatement fuir les guerriers.
Les premiers doutes au sein de la population surgissent dans la soirée du lundi 19. Idriss Deby devait prononcer un discours devant la Nation pour fêter sa récente victoire électorale. Tout le monde attendait de le voir à la télé ou d’entendre sa voix à la radio. Une vaine attente. Aucun discours ne sera prononcé par le chef (décédé depuis au moins 24 heures) et aucune explication ne sera donnée à la population. La nouvelle ne sera donnée que le mardi 20 avril lorsque tout aura été réglé.
Les soldats du front (ignorant la mort de leur chef) ont réussi à vaincre les rebelles, les forçant à se retirer au Niger. La famille Deby et les Généraux Zaghawa ont pris la décision de prendre les rênes du pays en formant une junte militaire. Le président de l’Assemblée Nationale (qui allait devenir président de la République ad intérim se conformément aux dispositions de la Constitution) a déjà été contraint à démissionner pour nommer le fils du dictateur, Mahamat Idriss Deby, à la présidence.

Cette version alternative, qui n’a pas été confirmée o démentie pour le moment par les gouvernements respectifs de N’Djamena et Paris, est la plus partagée par les chancelleries et présidences africaines et occidentales, par les médias étrangers car elle l’est davantage plus conforme à la réalité que la version officielle. Au Tchad, les partis politiques de l’opposition et les organisations de la société civile ont demandé à la France de clarifier les circonstances exactes de la mort du président Idriss Deby. L’Union Africaine a annoncé la création d’une commission chargée d’enquêter sur la mort de le président.

Fulvio Beltrami