Tigré. L’Église Catholique dénonce la grave situation humanitaire créée par le Premier Ministre Abyi (F. Beltrami)

La situation humanitaire au Tigré reste alarmante malgré la déclaration d’un cessez-le-feu faite par le gouvernement central d’Addis-Abeba. 5,5 millions de personnes sont en insécurité alimentaire aiguë sévère dont 353 000 personnes en phase 5 (risque de mort pour famine). Les personnes déplacées à l’intérieur du pays représentent 2,1 millions de personnes. La plupart des infrastructures de santé ont été détruites et il y a une grave pénurie de médicaments de base et sauve-vie.

L’agriculture, principale source de subsistance pour plus de 80 % de la population du Tigré, a été systématiquement détruite par les troupes fédérales et érythréennes, provoquant une famine délibérément provoquée par l’homme. Les services d’eau et d’électricité ont été bloqués. La région est isolée du reste du monde par une décision du gouvernement d’Addis-Abeba qui continue de bloquer efficacement le flux de fournitures humanitaires vers le Tigré.

Les opérations humanitaires sont limitées par l’absence de carburant, de banque, de télécommunications et d’électricité. Du personnel supplémentaire, des fournitures et la restauration des services de base sont nécessaires de toute urgence pour la continuité des opérations humanitaires. Le plan de réponse humanitaire du nord de l’Éthiopie est confronté à un déficit de financement important de 433 millions de dollars jusqu’à la fin de l’année.

C’est la situation illustrée par Relief Web, le service d’information humanitaire proposé par le Bureau des Nations Unies pour la Coordination des Interventions Humanitaires : OCHA. Un rapport qui souligne l’intention politique du gouvernement d’Addis-Abeba d’isoler le Tigré, faisant de l’aide humanitaire une arme de guerre.

Hier, le gouvernement éthiopien a de nouveau rassuré les Nations Unies sur sa volonté de travailler ensemble pour assurer l’aide humanitaire au Tigré. Assurance fournie lors d’un entretien entre le Premier Ministre éthiopien et le Secrétaire Général de l’ONU Antonio Guterres sur l’urgence du Tigré.

Cette énième réassurance s’inscrit dans la stratégie du double langage adoptée par les autorités éthiopiennes sous le contrôle de la direction nationaliste amhara. En réalité, le boycott de l’aide humanitaire au Tigré se poursuit.

Il y a quatre jours, 9 camions du Programme Alimentaire Mondial qui étaient en route pour distribuer de l’aide humanitaire à Mekelle ont été arrêtés par les troupes fédérales éthiopiennes et contraints de retourner dans la région d’Amhara où ils étaient partis. Ce n’est qu’après d’intenses négociations avec les Nations Unies que le 9 juillet les autorités éthiopiennes ont autorisé le convoi humanitaire du PAM à poursuivre sa route et à acheminer l’aide alimentaire à destination.

Le boycott de l’aide humanitaire par Addis-Abeba est si fort qu’il a contraint l’ONG française Médecins Sans Frontières à suspendre ses activités au Tigré faute de conditions minimales permettant aux humanitaires de travailler de manière indépendante et efficace. MSF a été victime d’une brutale exécution extrajudiciaire de trois de ses volontaires le 24 juin : deux Tigres et un volontaire espagnol.

Face à la persévérance de la direction nationaliste amhara à empêcher l’aide humanitaire au Tigré, l’ONU étudie la possibilité de fournir une aide alimentaire en la parachutant depuis des avions. Cependant, il est nécessaire d’obtenir l’autorisation d’Addis-Abeba pour survoler l’espace aérien éthiopien. Autorisation non accordée jusqu’à présent.

Les Forces de Défense du Tigré étudient la possibilité de lancer une offensive militaire contre les zones frontalières Tigré-Soudan encore occupées par l’armée fédérale et les milices paramilitaires amhara. L’objectif est de créer un corridor humanitaire entre le Soudan et le Tigré. Hypothèse également prise en considération par les Nations unies qui ont ouvert un dialogue sur le sujet avec les autorités soudanaises à Khartoum.

Pour tenter de débloquer ce boycott par le gouvernement fédéral, l’Église Catholique d’Adigrat lance un appel dans le but d’encourager les ONG et les bailleurs de fonds internationaux à se impliquer activement et à dénoncer ceux qui empêchent l’aide humanitaire à 7 millions de citoyens éthiopiens, faisant pression au gouvernement fédéral de lever les obstacles posés et de reconnaître le gouvernement légitime du Tigré comme interlocuteur officiel tant pour l’aide humanitaire d’urgence que pour les projets de développement et de reconstruction post-conflit.

Nous proposons aux lecteurs du Place St Pierre la traduction de la lettre ouverte de la Diocèse Catholique d’Adigrat adressée à toutes les ONG et financiers internationaux, signée le 5 juillet 2021 par le directeur diocésain : l’abbé Abraha Hagos.

 

Fulvio Beltrami

Lettre ouverte à tous les partenaires et bailleurs de fonds sur la situation humanitaire au Tigré.

Le conflit en cours dans le Tigré a généré une grave crise humanitaire qui a besoin d réponses immédiates. Pour cette raison, l’éparchie catholique éthiopienne d’Adigrat, en collaboration avec l’ADCS (Secrétariat de la diocèse catholique d’Adigrat), les congrégations catholiques et divers partenaires et donateurs internationaux, mène divers projets d’urgence dans diverses parties du Tigré pour soulager les souffrances de la population piégée dans le conflit et aider les personnes déplacées. La décision de bloquer les routes et de créer une pénurie de nourriture et de produits de première nécessité, la pénurie de liquidités créée dans les banques, sont des actions qui ont contribué au retard de la réponse humanitaire dans la région.

Ces dernières semaines, il y a eu une escalade des combats entre les Forces de défense du Tigré et les Forces de défense éthiopiennes associées aux Forces armées érythréennes. Les récents développements de la guerre montrent que l’armée du Tigré contrôle désormais la majorité du Tigré, y compris la capitale régionale: Mekelle. En représailles, toutes les communications téléphoniques et internet sont bloquées depuis le 24 juin dernier. Les services bancaires et la fourniture d’électricité ont été interrompus. Ces actions ont également empêché l’aide humanitaire, mettant des millions de personnes en danger de famine et de mort.

La reconquête de la majorité du territoire régional (y compris Mekelle) par les forces de défense du Tigré crée une nouvelle situation politique, qui nécessite une nouvelle approche pour assurer une aide humanitaire aux populations victimes des combats.

Pour assurer l’aide humanitaire d’urgence et l’assistance post-conflit, les mesures suivantes sont nécessaires :

  1. Veiller à ce que la population du Tigré puisse bénéficier d’une assistance humanitaire complète et inconditionnelle.
  2. Assurer une assistance complète, y compris une assistance financière, afin que les personnes séparées de leur famille puissent retrouver leurs proches et que les personnes déplacées puissent retourner dans leurs lieux d’origine.
  3. Préparer un plan régional pour la reconstruction des infrastructures et des bâtiments privés et publics détruits pendant la guerre.
  4. Compte tenu du rôle des institutions de microfinance opérant au nom des pauvres, institutions aujourd’hui gravement touchées par la guerre, il est essentiel de soutenir ou de stimuler ces institutions par l’injection de nouveaux capitaux pour leur permettre d’être en mesure d’aider les personnes touchées par le conflit à créer des petites entreprises qui peuvent satisfaire les besoins fondamentaux des familles et contribuer à la stabilité du marché local.
  5. Compte tenu de la panne d’électricité actuelle, il est nécessaire de rechercher des sources d’énergie alternatives. Il est nécessaire de soutenir les familles et les institutions telles que les établissements de santé avec des systèmes solaires, l’une des sources d’énergie fiables et renouvelables. L’énergie basée sur le système solaire réduirait le déficit d’approvisionnement énergétique actuel au Tigré et permettrait aux communautés et aux institutions d’améliorer leurs besoins énergétiques.

Afin de s’engager efficacement dans les interventions décrites ci-dessus, toutes les organisations d’aide humanitaire doivent traiter à la fois avec le gouvernement fédéral et le gouvernement régional national du Tigré. L’ADCS comprend que les progrès politiques actuels du Tigré restent extrêmement alarmants et nécessitent un travail coordonné de toutes les organisations d’aide humanitaire et le soutien total des donateurs. Il s’agit donc de vous informer sur la situation actuelle au Tigré et son impact négatif sur la mise en œuvre quotidienne des programmes d’intervention d’urgence.

A cette occasion, l’ADCS souhaite inviter tous les partenaires et organisations d’aide humanitaire à continuer de solliciter l’accès à l’aide pour la guerre touchée par des millions de personnes souffrant de la pénurie de nourriture, d’abris, d’eau, de médicaments et de manque de protection.

Toutes les organisations et partenaires d’aide humanitaire doivent continuer d’exhorter et de faire pression sur le gouvernement fédéral pour permettre aux populations d’accéder aux services de base, notamment les services bancaires, les télécommunications, la fourniture de transport de médicaments et de matériel médical, l’électricité, etc.

Que Dieu bénisse nos efforts et nos œuvres humanitaires