Tunisie. Un ancien ministre condamné pour des ordures ménagères importées illégalement d’Italie (Fulvio Beltrami)

L’ancien ministre de l’Environnement Mustapha Aroui et trois autres prévenus ont été condamnés à trois ans de prison par le tribunal de Tunis pour corruption liée au trafic d’ordures ménagères en provenance d’Italie, dont l’exportation est interdite par la législation tunisienne et les conventions internationales. Le scandale, qui a éclaté en 2020, a révélé le commerce illégal de déchets géré par les mafias italiennes. Mustapha Aroui avait été démis de ses fonctions et arrêté en décembre 2020 avec plusieurs responsables de son ministère dans le cadre d’une enquête sur cette affaire scandaleuse en Tunisie.

Le crime a commencé à l’automne 2019 avec la signature d’un contrat entre une société basée à Polla dans la province de Salerne et une société tunisienne pour l’expédition de 120 mille tonnes de déchets que la société tunisienne avait fait passer pour des déchets de plastique destinés pour le recyclage industriel. La valeur du contrat était de plus de 5 millions d’euros. Cette affaire a provoqué des mouvements de protestation de la part de la population et des ONG locales en Tunisie, qui avaient exprimé leur refus que leur pays soit la “poubelle” de l’Italie.

Expédiés depuis la région de Campanie dans le sud de l’Italie, 213 conteneurs avaient été stockés dans le port de Sousse (est du pays) et le reste (67 conteneurs) dans un entrepôt proche de cette ville côtière. Les conteneurs, inspectés par les douanes de Sousse, ne contenaient pas de déchets plastiques, comme indiqué, mais d’autres déchets de toutes sortes, qui provenaient, sans aucun traitement préventif, de la collecte sélective domestique produite par seize municipalités du Cilento, Italie.

Le transport, le stockage temporaire et la caractérisation ont été gérés par l’entreprise publique Ecoambiente Salerno spa, contrôlée par l’Autorité de gestion des déchets de la province de Salerne et par l’entreprise Sviluppo Risorse Ambientali – SRA de Polla (Salerne). Une escroquerie colossale contre la région de Campanie fait également partie de l’histoire. Les coûts d’élimination des déchets (qui devaient avoir lieu en Italie selon la réglementation en vigueur) ont été anticipés par Ecoambiente qui a sous-traité les opérations d’élimination à la SRA de Polla, (secrètement) chargée de conclure le “deal” avec l’entreprise tunisienne. A l’époque, Monsieur Alfonso Palmieri, propriétaire de la société SRA, avait nié avoir commis une infraction en affirmant que la Région avait connaissance et même autorisé l’exportation de ces déchets vers la Tunisie. Comme preuve de sa thèse, il a montré à la justice toute la documentation d’exportation approuvée par les techniciens de la Région.

La Tunisie (après un accord conclu avec le gouvernement italien) a renvoyé les 213 conteneurs stockés à Sousse en Italie en février 2022 après un accord bilatéral. La restitution du reste des conteneurs de déchets, endommagés par un mystérieux incendie (probablement de nature criminel) en décembre 2021, est toujours en cours de consultation.

L’accord qui prévoit le rapatriement des déchets italiens s’inscrit dans une tentative de l’Italie de convaincre la Tunisie de conserver ces déchets en échange d’une augmentation des financements bilatéraux et de l’aide humanitaire, selon les ONG environnementales tunisiennes qui ont dénoncé en mars 2021 aux médias internationaux l’inexplicable «laxisme» de Tunis et de Rome qui n’avaient pas encore assuré le retour en Italie des déchets importés illégalement, créant grand embarras et discrédit à leurs gouvernements respectifs. Les ONG tunisiennes ont réussi à créer de vastes manifestations de rue et un mouvement populaire appelé “Récupérez votre merde” qui a forcé les gouvernements de Tunis et de Rome à entamer le rapatriement des déchets vers l’Italie.

Le retour des déchets a donné naissance à des comités et des citoyens en Itali. La destination initiale était l’ancien STRI de la ville de Battaglia. Suite à des protestations populaires contre les déchets revenus de Tunisie, la Région a décidé de les entreposer dans la zone militaire de Persano, en attendant de confier l’élimination définitive à un autre opérateur. Le commandant du NOE de Salerne, Valerio Giardina, a ordonné la saisie probatoire des conteneurs à la fin des opérations de déchargement. Monsieur Giardina avait lié le trafic de déchets Italie-Tunisie aux activités de la mafia italienne liées au cycle des déchets.

Selon une étude menée par Luca Bonzanni, Département des sciences et politiques environnementales de l’AIR Institutional Research Archive, la gestion illégale de l’élimination des déchets du monopole initial de la Camorra le long de la crête nord-sud est passée à l’hégémonie de la ‘Ndrangeta qui depuis 2019 elle a réussi à créer un réseau d’intérêts efficace impliquant les entreprises formellement légales qu’elle dirige, le monde des affaires et diverses administrations municipales et régionales.

La majorité des déchets (domestiques mais aussi dangereux et toxiques) viennent du Nord Italie. Les entreprises contrôlées par la ‘Ndrangeta proposent aux municipalités, régions et entreprises du nord de l’Italie l’élimination de ces déchets à des prix extrêmement bas. Une élimination qui a eu lieu pendant des années dans des régions reculées du Sud, causant d’énormes dégâts environnementaux. L’affaire est devenue si avantageuse que les Communes, les Régions et les entreprises du Nord ont contacté directement les entreprises “spécialisées”, souvent au courant de la gestion à distance de la ‘Ndrangeta. La gestion mafieuse des déchets en Italie persiste encore car elle est devenue un système organisé dans lequel opèrent des sujets mafieux, des entreprises, des administrations publiques, protégés et facilités par une armée de techniciens régionaux anonymes, d’agents publics, d’administrateurs locaux.

L’activité ‘Ndrangeta est étroitement liée à l’augmentation de la conscience environnementale en Italie. Les entrepreneurs mafieux sont bien conscients de ce lien et financent parfois des campagnes de sensibilisation à l’environnement pour augmenter le chiffre d’affaires. La ‘Ndrangeta est indirectement favorisée par les différents gouvernements italiens qui introduisent trop de procédures d’élimination des déchets qui augmentent les coûts, obligeant les industriels à opter pour des solutions illégales mais moins chères. En ce qui concerne les municipalités et les régions, la ‘Ndrangeta obtiendrait les contrats par la corruption, ce qui facilite l’attribution du service à des entreprises mafieuses qui, comme par hasard, présentent des offres moins chères que les entreprises honnêtes, remportant les appels d’offres.

Après avoir disséminé des déchets ménagers et toxiques dans de vastes zones du Sud, la ‘Ndrangeta a commencé à se tourner vers l’Afrique afin de ne pas s’attirer trop de suspicions causées par une augmentation des maladies chroniques et des cancers des populations qui vivent à proximité des décharges sauvages. Les premiers pays africains économiquement commodes sont ceux de l’Afrique du Nord en raison de leur proximité géographique et de la facilité de corruption dont font preuve divers gouvernements maghrébins hors Algérie.

Le président Kaïs Saïed a réussi à exploiter l’affaire des déchets italiens (liés aux flux migratoires illégaux) pour faire chanter et obtenir des avantages financiers de l’Italie. Lors de l’urgence du Covid-19, l’Italie a fourni à la Tunisie du personnel médical et les moyens de faire face à la pandémie. Parallèlement à cette juste solidarité internationale, la Tunisie a reçu 50 millions d’aides à ses entreprises dans le cadre d’une opération tenue secrète par le gouvernement italien.

Le don substantiel a été découvert grâce à un remerciement officiel du gouvernement tunisien adressé à l’Italie publié sur sa page Facebook officielle et sur celle de l’ambassade d’Italie à Tunis. Les remerciements ont disparu presque immédiatement des deux pages Facebook. Malheureusement (pour le gouvernement italien) des captures d’écran avaient été prises qui permettaient au partis d’opposition d’extrême droit (maintenant au pouvoir) Frères d’Italie de présenter une question parlementaire. Malgré le fait que le gouvernement ait tenté, avec la complicité de certains médias nationaux, de présenter la nouvelle comme un canular, le ministre des Affaire Etrangers Monsieur Luigi De Maio a été contraint de confirmer le “cadeau” fait à la Tunisie.

En 2021, l’Italie a accordé un prêt de 200 millions d’euros à la Tunisie dont 50 millions sous forme de don. Le prêt a été adopté comme un “Engagement de coopération” par l’Agence italienne de coopération au développement – AICS dans le cadre du protocole d’accord pour la période 2021-2023. En théorie, le prêt était destiné à soutenir le gouvernement tunisien dans la lutte contre la pauvreté et dans la création d’un modèle de développement inclusif, équitable et durable pour la valorisation du capital humain et des ressources naturelles.

Fin 2021, l’AICS avait décaissé 7,9 millions d’euros répartis en contributions à des programmes spécifiques gérés par des organisations internationales (57%), interventions de projets gérés par AICS ou par des ONG italiennes (42%) et appui budgétaire sectoriel (1%). En 2022, les ressources engagées se sont élevées à 12,8 millions d’euros, principalement destinés à des projets gérés par l’AICS et des ONG italiennes. Diverses sources tunisiennes accusent l’AICS et des ONG italiennes d’avoir mené des projets inefficaces avec gaspillage d’argent notamment dans le sud tunisien, gouvernorat de Tozeur. Des accusations rejetées par les homologues italiens.

Derrière le vernis humanitaire, l’aide financière de 200 millions d’euros a été déboursée en échange de la collaboration du gouvernement tunisien dans le blocage des flux migratoires. Une opération cachée derrière la rhétorique de la solidarité internationale et du soutien à la croissance économique de la Tunisie.

Le président Kaïs Saïed, défini comme le “Al Sisi de la Tunisie” a resserré l’étau autour du cou de la démocratie tunisienne en s’arrogeant les pleins pouvoirs en juillet 2021 qui détruisent l’édifice démocratique du pays pour l’introduire dans la sombre forêt du despotisme. Après avoir dissous le gouvernement, gelé le parlement et démantelé le pouvoir judiciaire, Saïed a convoqué en juillet dernier un référendum pour l’instauration d’un système hyper-présidentiel sans qu’il soit nécessaire d’avoir un quorum dans lequel moins de 30 % de la population est allée voter.

La mise en place d’un système, tel que défini par l’opposition, d'”autoritarisme rampant” devient un voile pour les jeunes générations, loin d’une vision basée sur des préceptes religieux rigoureux et des réglementations éliminant les droits : les jeunes Tunisiens sont parmi les plus sensibles, en Afrique , à des questions telles que l’éducation et la démocratie. Ils ont grandi avec le résultat de la révolution de 2011 et ce sont eux qui, en 2021, ont donné naissance à un mouvement de contestation sociale qui s’est répandu dans tout le pays et a été réprimé avec des arrestations et l’intervention de l’armée qui a militarisé les villes de Sousse, Bizerte , Kasserine et Siliana.

Kaïs Saïed, outre le chantage sur la question du trafic de déchets en provenance d’Italie et de l’endiguement des flux migratoires, joue également la carte islamique en se revendiquant comme le seul rempart à la montée au pouvoir du parti islamiste Ennhada qui détenait la majorité avant le dissolution du Parlement des sièges.

Depuis 2021, un air de révolte couve en Tunisie et les autorités redoutent un second printemps arabe. La société civile tunisienne informe que le président Saïed faciliterait l’immigration clandestine de dizaines de milliers de jeunes Tunisiens vers l’Italie pour se débarrasser des “têtes brûlées” et réduire le risque de troubles sociaux et de révolution futurs.

Fulvio Beltrami