Card. Becciu: «Mon engagement sera de démontrer au Pape par tous les moyens et de toutes les façons l’absence de fondement de ces accusations»

Serein «comme celui qui a la conscience claire». Mais de plus en plus perplexe face au verdict des juges « et aux accusations fausses qui m’ont été adressées». Et convaincu d’être victime d’une vengeance orchestrée par quelqu’un «qui n’a pas hésité à utiliser même le Pape». Le cardinal Giovanni Angelo Becciu, actuellement sur l’île, raconte à La Nuova Sardegna sa vérité «celle qui, j’en suis sûr, finira par éclater».

Cardinal Becciu, ces jours-ci vous êtes à Pattada, dans votre pays, sur votre terre. Que représente pour vous la Sardaigne en cette période si difficile?
Oui, le jeudi 29 août, je suis venu ici à Pattada pour présider la messe solennelle en l’honneur de Sainte Sabine, la patronne de notre paroisse. Le contact avec mon peuple me régénère, je respire l’air de la foi authentique, leur chaleur humaine me réconforte. Ils ne m’ont jamais laissé seul et n’ont jamais cessé de croire en mon honnêteté. Le contact avec les prêtres du diocèse et avec l’évêque Melis, qui guide la communauté avec dynamisme et sagesse, est également tonifiant. Je dois reconnaître que toute la Sardaigne m’a été proche durant ces années difficiles, avec de nombreux témoignages de respect et de solidarité sincère.

Depuis décembre dernier, vous êtes condamné à 5 ans et 6 mois par le Tribunal du Vatican. Comment avez-vous vécu tous ces mois?
Voulez-vous savoir quelque chose ? Pendant ces jours de vacances, j’ai totalement oublié cette condamnation. Ma conscience est tellement claire que je ne me laisse pas influencer par ce que je considère comme une véritable injustice, une sentence qui ne reflète pas la réalité des faits. Plus le temps passe, plus tout me semble surréaliste.

Le Tribunal de l’État du Vatican vous a jugé coupable de détournement de fonds et de fraude aggravée. Comment comptez-vous renverser ces accusations lors du procès en appel?
Pour l’instant, nous attendons la fixation de la date du procès en appel. Plus de 8 mois se sont écoulés depuis la prononciation du jugement et les motifs n’ont pas encore été déposés. On me dit que c’est un délai exceptionnellement long et non conforme aux autres systèmes judiciaires. Je suis désolé, mais ainsi on risque de compromettre encore plus la crédibilité du Procès et de l’institution du Vatican elle-même ! Le temps terrestre est limité. On ne peut pas faire languir indéfiniment quelqu’un qui a droit à la justice et à la vérité.

Que répondez-vous aux condamnations pour détournement de fonds et fraude aggravée?
Mes avocats sauront comment me défendre et je dois dire qu’ils l’ont déjà fait en première instance en faisant ressortir comment les choses se sont réellement passées… C’est pourquoi je dis que le jugement ne reflète pas ce qui a émergé au cours du procès. On me condamne pour détournement de fonds, mais c’est un détournement plutôt étrange puisque je n’ai jamais pris un centime et on ne m’a jamais accusé de m’être approprié un sou. Quel genre de détournement est-ce donc ? On me condamne pour fraude aggravée. Quand ? Contre qui ? Ils vont même jusqu’à dire que j’aurais escroqué le Pape ! Une accusation plus infamante que celle-ci ne pouvait pas m’être faite et je la rejette avec indignation. Ma vie témoigne du contraire. J’ai servi l’Église avec une dévotion absolue dans chaque coin du monde, loin de la fraude. Je suis certain que le Saint-Père lui-même ne croit pas à ces accusations infondées.

Vous vous êtes toujours déclaré innocent et vous aviez exprimé votre confiance en une acquittement. Pourquoi, selon vous, le tribunal ne vous a-t-il pas cru?
Je continue à me déclarer innocent et je le ferai jusqu’au dernier jour de ma vie, même si je devais être condamné en appel. Je n’ai commis aucun des crimes dont j’ai été accusé. Pourquoi le Tribunal ne m’a-t-il pas cru ? C’est moi qui demande au Tribunal pourquoi il n’a pas tenu compte des témoignages en ma faveur, des documents qui annulaient les accusations. Je demande pourquoi il n’a pas obligé le Promoteur de Justice à mettre à la disposition de la Défense toute la documentation en sa possession et surtout les 100 chats qu’il a omis, qui rendaient compte de ce qui se passait dans mon dos. Je demande au Tribunal pourquoi il n’a pas approfondi les déclarations des deux dames instigatrices de Monseigneur Perlasca, que le procès a prouvé avoir conspiré contre moi.

Vous avez dit que votre procès a été injuste, vous vous sentez victime d’un complot ? Pensez-vous que votre proximité avec le Saint-Père dérangeait quelqu’un ? Par qui vous êtes-vous senti trahi?
Quant à l’existence d’un complot, je viens de le dire. Le procès l’a prouvé, ce n’est plus une idée personnelle. Pourquoi cela a-t-il été orchestré et qui sont tous les protagonistes reste à clarifier, mais tôt ou tard la vérité émergera. L’Histoire sera implacable. Il est vraiment incroyable de voir le mal fait non seulement à moi et à ma famille, mais aussi à l’Église elle-même. S’ils échappent au pouvoir judiciaire immédiat, ceux qui, pour mettre en œuvre un plan vindicatif déloyal contre moi, se sont même servis du Pape et ont mis sens dessus dessous le Saint-Siège, ne pourront pas échapper au jugement sévère de l’Histoire.

Concernant le fameux palais de Londres, à l’origine du procès, vous avez déclaré que l’investissement – 200 millions provenant du patrimoine du Secrétariat d’État – avait été jugé avantageux. Vous avez donc été mal conseillé? Par qui?
Je précise d’abord que la décision d’investir les 200 millions a été prise par l’ancien Secrétaire d’État, le Cardinal Bertone. Mais cette décision, comme celle de faire l’investissement spécifique dans le Palais de Londres, a été prise sur la base des propositions étudiées et soutenues par le bureau du Secrétariat d’État qui s’occupait des investissements et dont Monseigneur Perlasca était responsable. Le dossier présentait l’investissement dans le fonds du Palais de Londres comme avantageux pour le Secrétariat d’État. Je n’avais aucun doute sur l’absolue opportunité de l’opération et personne ne m’a jamais informé des éventuelles critiques liées à l’investissement.

Est-il juste, selon vous, que l’Église réalise des opérations immobilières de ce type?
L’Église a toujours investi. La Sainte-Siège, ou si vous préférez le Vatican, depuis la signature du Concordat en 1929, a toujours investi « dans la pierre », surtout à Londres, Paris, Rome. Les investissements ne sont pas faits pour en tirer des avantages personnels – j’en ai certainement pas eu ! -, mais pour permettre à la Sainte-Siège d’opérer et de diffuser son message dans le monde.

Revenons au procès. Selon le Tribunal, vous avez favorisé financièrement votre frère en transférant 125 000 euros via le Diocèse d’Ozieri. Où est cet argent et à quoi était-il destiné?
C’est un mensonge. Pour la énième fois, je dois réaffirmer que cet argent n’a pas été envoyé à mon frère, mais à la Caritas d’Ozieri. Mon frère ne l’a jamais touché et n’en a jamais tiré aucun avantage personnel. Ses comptes bancaires, contrôlés par les enquêteurs, sont propres, d’où aucune contestation n’a été faite. Je dois rappeler que les 25 000 euros envoyés en 2014 ont servi à payer une facture pour l’achat d’une machine pour la boulangerie de la Coopérative Spes – qui donne et donne du travail à de nombreux défavorisés – et les 100 000 envoyés en 2018 sont encore dans le compte de la Caritas pour la construction, selon la décision de l’évêque, d’un centre d’animation d’activités solidaires. Cela a toujours été confirmé par l’évêque d’Ozieri et, à plusieurs reprises, Monseigneur Perlasca a déclaré péremptoirement au tribunal que cette somme avait été envoyée à la Caritas d’Ozieri, pas à la Coopérative et encore moins à mon frère. L’accusation est totalement fausse. Mon frère n’a bénéficié d’aucun avantage de cet argent ou de la coopérative. Il n’a pas de salaire et vit de sa pension. Le jour où il quittera la présidence de la Coopérative, il emportera avec lui seulement le sourire et les remerciements de tant de gens bénéficiaires.

Pourquoi a-t-on autant parlé de cette somme d’argent? Votre diocèse a-t-il été le seul à bénéficier du fonds de l’Obole de Saint-Pierre?
Il est stupéfiant que cette donation ait été érigée en cas mondial, comme si j’avais envoyé une somme astronomique et comme si c’était la seule allocation que j’avais faite pendant mes sept années de Substitut. En réalité, chaque année, nous envoyions des dizaines de subsides pour financer des œuvres sociales dans le monde entier depuis les fonds caritatifs du Secrétariat d’État. Je n’ai pas non plus compris pourquoi les enquêteurs du Vatican n’ont ciblé que la donation à mon diocèse et ont passé sous silence d’autres, même de plus grande envergure et destinées directement à des Coopératives privées, sans même passer par l’Évêque. Certains doutes malveillants sont légitimes !

Après la condamnation, avez-vous rencontré le Pape? Vos sentiments ont-ils changé?
Oui, je l’ai rencontré et je lui ai dit avec toute sincérité et fermeté que je suis innocent, que les jugements contre moi sont basés sur rien. Ma relation avec le Pape est celle d’un fils qui se sent injustement éloigné du père pour des accusations fausses. Mon engagement sera de lui prouver par tous les moyens et de toutes les manières l’absence de fondement de ces accusations. Je le ferai aussi publiquement car même les frères dans la foi, restés scandalisés par ma situation, doivent connaître la vérité des faits. Celui qui a la conscience claire comme moi ne peut pas craindre la vérité.

Cardinal Becciu, avez-vous peur d’aller en prison?
Hier, en présentant le martyre de Sainte Sabine, dans l’homélie, j’ai rappelé que les premiers martyrs chrétiens allaient au supplice en chantant car ils n’avaient peur ni du jugement des hommes ni de la mort. Si ma condamnation à la prison était confirmée, je n’irai pas en chantant, mais serein car j’ai la conscience claire. D’autres n’auront pas de sommeil tranquille car ils porteront sur leur conscience le poids d’avoir voulu ou permis la condamnation d’un innocent.

Silvia Sanna pour La Nuova Sardegna