Congolais. Trafic d’organes d’enfants à Uvira. Le Burundi est impliqué (Fulvio Beltrami)

Le 28 juin à Uvira, ville frontalière avec le Burundi dans la province du Sud-Kivu, à l’est du Congo, un trafic ramifié et profondément enraciné d’organes humains a été découvert. Les victimes étaient toutes des enfants. Suite à une information anonyme, les gendarmes ont fait irruption dans une église protestante et ont trouvé une fillette de 10 ans encore en vie qui avait perdu beaucoup de sang et les restes d’un garçon de 14 ans cachés dans un sac. Les gendarmes ont immédiatement tenté d’arrêter le pasteur de l’église. Ne le trouvant pas, ils se sont limités à émettre un mandat d’arrêt.
Les autorités locales ont immédiatement annoncé la découverte macabre accusant le pasteur. Les médias locaux et les médias sociaux ont immédiatement commencé à raconter l’histoire du “vampire d’Uvira”, incitant la population, victime depuis des années de violences et d’abus par les terroristes rwandais des FDLR, du chômage et de la pauvreté chroniques, de la corruption et de l’absence de l’État , la pandémie de Covid19 et les récentes inondations qui ont détruit de nombreux maison, faisant des victimes.
La décision des autorités de répandre la nouvelle avant d’avoir plus d’éléments pour encadrer l’affaire pénale a été jugée par la société civile du Sud-Kivu comme pour le moins imprudente et irresponsable compte tenu du contexte social délicat et fragile de la ville frontalière avec le Burundi.
En effet, le 30 juin, jour de la célébration du 61eme anniversaire de l’indépendance du Congo, une foule de centaines de personnes a incendié l’église et la résidence du pasteur. Seule l’intervention des gendarmes a sauvé sa famille d’une mort horrible par lynchage. Encouragés par l’actualité glaçante, les habitants de la ville ont envahi les rues à la recherche des criminels impliqués dans cette histoire, avec la ferme intention de rendre une justice sommaire.
La situation s’est aggravée lorsque la foule a commencé à détruire et piller l’église protestante où l’enfant survivant et le corps dans le sac ont été retrouvés. Les gendarmes sont intervenus en déclenchant des affrontements entre la police et la population où un gendarme et un jeune manifestant ont été tués. L’église a été partiellement détruite.
La violence a été imputée au mauvais choix de l’autorité. « Uvira est une ville en proie à la violence, au crime, à la pauvreté et à la superstition. Il était évident qu’une telle nouvelle aurait déclenché le désir de se faire justice par la population vivant dans des conditions inhumaines et sans espoir d’avenir », observe un militant de la société civile d’Uvira contacté qui a requis l’anonymat pour des raisons évidentes de sécurité.
Deux semaines plus tôt, un autre cas horrible s’était produit à Uvira. Un voleur pris en flagrant délit a été lynché par la foule et tué en le brûlant vif. Les flammes avaient été éteintes avant de réduire le corps en cendres afin d’exporter des morceaux pour des rituels de cannibalisme. Les auteurs du lynchage, tous heureux que justice ait été rendue, ont emporté morceaux de la victime chez leur pour le dîner.
La République Démocratique du Congo est l’un des rares pays africains où survivent des rituels de cannibalisme, dont même 13 aviateurs italiens de la 46e brigade aérienne stationnée à Pise commandée par le major Parmeggiani, ont été victimes en novembre 1961 à Kindu dans la province orientale du Maniema. La survie de ces rituels est due au déficit éducatif et à l’absence de l’Etat. Deux facteurs clés qui, faute des deux, n’ont permis de combattre la superstition et l’ignorance pour éradiquer les rituels cannibales.
L’histoire macabre du “vampire d’Uvira” semblait destinée à rester dans l’actualité criminelle locale lorsque de nouvelles révélations émergent qui bouleversent toute la situation, donnant au crime une connotation régionale. Les révélations ont été obtenues grâce à une enquête minutieuse menée par deux journalistes congolais de l’hebdomadaire en ligne Linterview.

Les deux courageux journalistes découvrent que 5 jours avant la descende de la gendarmerie à l’église protestant, le député national Claude Misare, originaire d’Uvira, avait prévenu le maire de la ville de la présence d’un réseau criminel transfrontalier qu’elle se occupait d’achat et de vente d’organes humains qui agissait à Uvira. Le député Misare relie cette nouvelle à sa connaissance avec disparitions le 28 juin de deux sœurs : Christian Kalulu et Hélène Fatuma, enlevées le matin sur le chemin de l’école. Les filles avaient respectivement 10 et 12 ans. Les deux filles ont été retrouvées le 1er juillet. Le cadavre de Kalulu flottait dans le lac Tanganyika tandis que Fatuma était retrouvée en mauvais état mais miraculeusement vivante.

Claude Misare a demandé au maire et aux services de sécurité de contrôler la ville d’Uvira et les frontières, à la recherche de cas suspects et de personnes sans papiers. Misare a déclaré que la population était prête à coopérer à l’enquête, terrifiée par la disparition de trop d’enfants. Le maire et les forces de l’ordre décident d’ignorer Misare.
Tout cela suffirait amplement pour commencer à se poser des questions, mais les deux journalistes congolais ont le poker en réserve. Deux jours après la pubblication du premier article révélateur, un deuxième sort centré sur les événements de la descende de la gendarmerie à l’église protestante.

Au moment de la rafle, les gendarmes ont arrêté quatre médecins burundais. D’autres Burundais ont par la suite été arrêtés, soit 20 personnes au total. Huit Congolais ont été arrêtés au moment du raid. Une bombe qui ridiculise la version officielle d’un pasteur fou (le vampire), le seul responsable de cette horreur.

Les révélations dans la presse locale déchaînent un gros débat et des documents surgissent comme par magie, directement « jusqu’à la table-bureau des rédactions », probablement envoyés par email à l’époque moderne. Des documents qui montrent que depuis plusieurs mois les plaintes qui témoignent de l’augmentation des cas d’enlèvements et de meurtres d’enfants sont ignorées.
Le maire de la ville d’Uvira, le pasteur Kiza Muhato, a été contraint d’admettre lors d’une conférence de presse l’arrestation de certains Burundais soupçonnés d’enlèvement d’enfants. Burundais séjournant irrégulièrement sur le sol congolais.

La fin est forcément explosive. Une fois les eaux calmées, le maire a expulsé les Burundais accusés d’être des immigrants illégaux, sans tenir en compte du fait qu’ils sont également soupçonnés d’enlèvement et de meurtre d’enfants. Cet acte permet à tous les Burundais concernés d’échapper à la justice congolaise. Les 8 complices congolais n’ont pas eu la même chance. Ils ont été déférés aux tribunaux compétents pour qu’ils répondent de leurs actes criminels.

Les deux journalistes congolais parviennent également à interviewer le pasteur de l’église protestante rebaptisée la maison des horreurs. Il est à Bujumbura au Burundi depuis plusieurs mois. Il affirme être étranger aux faits et victime d’un réseau criminel qui aurait utilisé son église (abandonnée) à des fins criminelles.
La population commence à prendre conscience. Derrière l’histoire des vampires, il y a quelque chose de bien plus terrible. Les enquêtes de la gendarmerie pointent tout droit vers l’existence d’un réseau criminel organisé par le Burundi et voué au marché des organes humains. Le maire et les hauts responsables de la sécurité seraient impliqués.

Le phénomène des enlèvements d’enfants, suivi des tueries de ces derniers, s’est accru dans la province du Sud-Kivu et surtout dans la ville d’Uvira, la deuxième ville de la province où depuis début 2021 la situation est restée ingérable. La gendarmerie prétendra qu’un total de 7 enfants ont été enlevés à Uvira, dont 3 ont été retrouvés morts. Selon la société civile, le nombre d’enfants victimes du réseau mafieux serait d’environ 20.

À ce stade, nous assistons à l’intervention du gouvernement. Les journalistes congolais qui ont mené l’enquête se sont soudain tus. La rumeur veut qu’ils suivaient les suggestions reçues de hauts lieux qui les avertissaient qu’ils allaient trop loin. La maison des horreurs d’Uvira n’apparaît pas dans les médias nationaux ni même sur Radio Okapi, une station de radio des Nations Unies. L’affaire est close. Les 20 Burundais suspectés du réseau de vente d’organes humains renvoyés au Burundi ne feront l’objet d’aucune détention et enquête par la justice de leur pays. Le pasteur propriétaire de l’église restera au Burundi.
Du 12 au 14 juillet, le chef de la junte militaire : le général Neva (enregistré sous le nom d’Evariste Ndayishimiye) effectuera une visite officielle à Kinshasa qui met fin aux tensions entre le Congo et le Burundi. Pour l’occasion, le dictateur burundais signera d’importants accords économiques.

Fulvio Beltrami