Dans sa nouvelle encyclique “Fratelli Tutti”, le Pape François réaffirme le droit à émigrer

“‘Dans certains pays d’arrivée, les phénomènes migratoires suscitent des alarmes et des peurs, souvent fomentées et exploitées à des fins politiques. Une mentalité xénophobe de fermeture et de repli sur soi se diffuse alors’. Les migrants ne sont pas jugés assez dignes pour participer à la vie sociale comme toute autre personne et l’on oublie qu’ils ont la même dignité intrinsèque que quiconque. C’est pourquoi ils doivent être ‘protagonistes de leur propre relèvement'”. C’est ainsi que, dans sa troisième encyclique publiée ce dimanche 4 octobre, fête de Saint François d’Assise, le Pape François fait le constat du racisme qui ronge peu à peu les sociétés occidentales ou asiatiques (par exemple, contre les Rohingya en Birmanie. Cf. Photo). 

Dans ce nouveau texte, dédié à la fraternité et l’amitié sociale, signé le 3 octobre à Assise, le Pape observe : “on ne dira jamais qu’ils ne sont pas des êtres humains, mais dans la pratique, par les décisions et la manière de les traiter, on montre qu’ils sont considérés comme des personnes ayant moins de valeur, moins d’importance, dotées de moins d’humanité. Il est inacceptable que les chrétiens partagent cette mentalité et ces attitudes, faisant parfois prévaloir certaines préférences politiques sur les convictions profondes de leur foi : la dignité inaliénable de chaque personne humaine indépendamment de son origine, de sa couleur ou de sa religion, et la loi suprême de l’amour fraternel”.

“Les migrations constitueront un élément fondamental de l’avenir du monde”, relève François qui a choisi d’affronter le thème des migrations dans trois des huit chapitres de “Fratelli Tutti” (‘Tous frères’), pour réaffirmer la Doctrine sociale de l’Eglise, et en particulier le droit à émigrer. Cette réaffirmation fait écho à celle rappelé par Benoît XVI en 2013, qui écrivait que “certes, chaque Etat a le droit de réguler les flux migratoires et d’appliquer des politiques dictées par des exigences générales du bien commun, mais en s’assurant toujours que la dignité de chaque personne humaine est respectée, le droit de la personne à émigrer est inscrit dans les droits humains fondamentaux, avec la faculté de chacun à s’établir là où il pense que c’est le plus opportun pour réaliser au mieux ses capacités, ses aspirations et ses projets”.

Le rêve du droit à émigrer…

Reconnaître le droit à émigrer, c’est là le coeur de cette encyclique, alors que ce thème provoque conflits et divisions dans le monde, y compris au sein des catholiques. Les paroles du Saint-Père représentent ainsi le paradigme même de la vision solidaire, fondée sur le concept de fraternité, de ce nouveau document qui affronte tous les thèmes sociaux revenus au centre des préoccupations avec la pandémie de Covid-19.

“Certes, l’idéal serait d’éviter les migrations inutiles et pour y arriver, poursuit le Pape, il faudrait créer dans les pays d’origine la possibilité effective de vivre et de grandir dans la dignité, de sorte que sur place les conditions pour le développement intégral de chacun puissent se réunir”. Mais quand des progrès notables dans ce sens manquent, explique-t-il “il faut respecter le droit de tout être humain de trouver un lieu où il puisse non seulement répondre à ses besoins fondamentaux et à ceux de sa famille, mais aussi se réaliser intégralement comme personne”.

“Nos efforts vis-à-vis des personnes migrantes qui arrivent peuvent se résumer en quatre verbes : accueillir, protéger, promouvoir et intégrer. En effet, “il ne s’agit pas d’imposer d’en haut des programmes d’assistance, mais d’accomplir ensemble un chemin à travers ces quatre actions, pour construire des villes et des pays qui, tout en conservant leurs identités culturelles et religieuses respectives, soient ouvertes aux différences et sachent les valoriser sous le signe de la fraternité humaine”.

…et être accueilli, protégé, intégré

Pour le Souverain pontife, cette situation migratoire, implique “des réponses indispensables, notamment face à ceux qui fuient de graves crises humanitaires”. Le Pape propose ainsi des pistes de solutions pour gérer les déplacements et arrivées de ces populations en migration : “par exemple: augmenter et simplifier l’octroi des visas, adopter des programmes de parrainage privé et communautaire, ouvrir des couloirs humanitaires pour les réfugiés les plus vulnérables”.

Il propose encore d’offrir “un logement approprié et décent, garantir la sécurité personnelle et l’accès aux services essentiels, assurer une assistance consulaire appropriée, garantir leur droit d’avoir toujours des documents personnels d’identité, un accès équitable à la justice, la possibilité d’ouvrir des comptes bancaires et d’avoir ce qui est essentiel pour leur subsistance vitale, leur donner la liberté de mouvement et la possibilité de travailler, protéger les mineurs et leur assurer l’accès régulier à l’éducation, envisager des programmes de garde provisoire ou d’accueil, garantir la liberté religieuse, promouvoir l’insertion sociale, favoriser le regroupement familial et préparer les communautés locales aux processus d’intégration”.

Quant à aux migrants arrivés depuis quelque temps et intégrés à la société, François considère qu’il “est important d’appliquer le concept de ‘citoyenneté’ qui ‘se base sur l’égalité des droits et des devoirs à l’ombre de laquelle tous jouissent de la justice. C’est pourquoi il est nécessaire de s’engager à établir dans nos sociétés le concept de la pleine citoyenneté et à renoncer à l’usage discriminatoire du terme minorités, qui porte avec lui les germes du sentiment d’isolement et de l’infériorité ; il prépare le terrain aux hostilités et à la discorde et prive certains citoyens des conquêtes et des droits religieux et civils, en les discriminant”.

Le rêve de la fraternité

Mais pour accueillir, protéger et intégrer l’étranger qui fuit la guerre, les catastrophes naturelles, les trafics et violences en tout genre, cela “suppose également une autre manière de comprendre les relations et les échanges entre les pays” explique le Saint-Père. “Si toute personne a une dignité inaliénable, si chaque être humain est mon frère ou ma sœur et si le monde appartient vraiment à tous, peu importe que quelqu’un soit né ici ou vive hors de son propre pays”.

“Ma nation est également coresponsable de son développement, bien qu’elle puisse s’acquitter de cette responsabilité de diverses manières : en l’accueillant généreusement en cas de besoin urgent, en le soutenant dans son propre pays, en se gardant d’utiliser ou de vider des pays entiers de leurs ressources naturelles par des systèmes corrompus qui entravent le développement digne des peuples”, dénonce-t-il. Ce qui vaut pour les nations s’applique également aux différentes régions de chaque pays entre lesquelles il existe souvent de graves inégalités, précise-t-il. “Mais l’incapacité à reconnaître une dignité humaine égale pour tous conduit parfois les régions les plus développées de certains pays à rêver de se libérer du ‘fardeau’ des parties les plus pauvres pour augmenter davantage encore leur niveau de consommation”.

Le Pape appelle à voir grand, penser global, travailler et réfléchir ensemble, au niveau mondial, pour résoudre les difficultés. “Nous parlons d’un nouveau réseau dans les relations internationales, car il est impossible de résoudre les graves problèmes du monde en ne pensant qu’à des formes d’entraide entre individus ou petits groupes” estime-t-il. “Souvenons-nous que ‘l’inégalité n’affecte pas seulement les individus, mais aussi des pays entiers, et oblige à penser à une éthique des relations internationales'”. D’ailleurs, “la justice exige que soient reconnus et respectés non seulement les droits individuels, mais aussi les droits sociaux et les droits des peuples”.

Le rêve d’une gouvernance globale

Un réseau international c’est aussi un système économique solidaire envers les plus en difficultés : “ce que nous disons implique que soit garanti ‘le droit fondamental des peuples à leur subsistance et à leur progrès’ qui est parfois gravement entravé par la pression exercée par la dette extérieure. Le service de la dette, dans bien des cas, non seulement ne favorise pas le développement mais le limite et le conditionne fortement. Restant ferme le principe selon lequel toute dette légitimement contractée est à payer, la manière dont de nombreux pays pauvres l’honorent envers les pays riches ne doit pas en arriver à compromettre leur survie et leur croissance”.

Que ce soit pour les migrations, l’économie, la paix, le document appelle à une gouvernance globale, une collaboration internationale qui permet de lancer des projets à long terme, d’aller au-delà de la gestion d’urgence, au nom d’un développement solidaire de tous les peuples fondé sur le principe de gratuité. C’est le rêve du Pape François. Qu’ainsi les pays puissent enfin se penser comme “une famille humaine”.

Avec un “autre, différent de nous” perçu comme un don, une richesse pour tous, écrit le pontife argentin, pour que les différences représentent enfin une possibilité de croissance. Pour lui, insiste-t-il, une culture saine est une culture accueillante, qui s’est ouverte à l’autre, sans renoncer à elle-même, en offrant quelque chose d’authentique. Comme un polyèdre (figure géométrique en trois dimensions, à multiples facettes), image chère au Pape, le tout ne peut pas se limiter à une seule des faces, mais chaque face doit pour autant être respecter en tant que telle (cette forme géométrique n’efface pas les différences et respecte la pluralité).

Le rêve d’une “meilleure politique”

François fait ainsi le souhait d’une “meilleure politique” pour qu’elle représente une des formes les plus précieuses de la charité en se mettant au service du bien commun et en connaissant l’importance du peuple, se posant comme une catégorie ouverte, disponible au débat et au dialogue. C’est, en quelque sorte, le ‘popularisme’ à la François, qui s’oppose au populisme qui ignore la légitimité de la notion de peuple, l’instrumentalise pour ses propres intérêts, pour accroître une égoïste popularité.

La meilleure politique est aussi celle qui protège l’emploi, “dimension inaliénable de la vie sociale”, et cherche à offrir à tous la possibilité de développer ses propres capacités. La meilleure aide pour une personne pauvre, explique le Souverain pontife, n’est pas seulement l’argent, qui est un remède provisoire, mais de lui offrir une vie digne grâce à un travail. La vraie stratégie anti-pauvreté ne vise pas seulement à contenir ou rendre inoffensifs les indigents, mais à les promouvoir et soutenir dans une optique solidaire et et de subsidiarité.

Par ailleurs, le devoir de la politique, estime François, est de trouver une solution à tout ce qui porte atteinte aux droits humains fondamentaux, comme l’exclusion sociale, le trafic d’organes, d’armes ou de drogues, l’exploitation sexuelles, l’esclavagisme, le terrorisme et le crime organisé. L’appel du Pape est fort : éliminer définitivement la traite, “honte de l’humanité”, la faim, aussi considéré comme “criminelle” puisque “l’alimentation est un droit inaliénable”.

“La politique dont nous avons besoin, souligne encore François, est celle qui dit non à la corruption, à l’inefficacité, au mauvais usage du pouvoir, au manque de respect des lois”. C’est la politique centrée sur la dignité humaine et non soumise à la finance, dont nous avons besoin, insiste-t-il, car “le marché, seul, ne résout rien”: “les drames provoqués par les spéculations financières l’ont démontré”.

Ainsi, il faut penser à la participation sociale, politique et économique de telle manière “qu’elle [inclue] les mouvements populaires”, considérés par le Pape comme de vrais “poètes sociaux” et “torrent d’énergie morale qui naît de la participation des exclus à la construction d’un avenir commun”. De cette façon, il sera possible de passer d’une politique vers les pauvres, à une politique de et avec les pauvres.

Le rêve du dialogue et de l’amitié

Un autre souhait formulé dans l’Encyclique, est celui de la réforme de l’ONU: face à la prédominence de la dimension économique qui annule le pouvoir de chaque Etat, en effet, le devoir des Nations-Unies sera de concrétiser le concept de “famille des nations” qui travaille au bien commun, à la suppression de la pauvreté et la protection des droits humains. En ayant recourt, inexorablement, “à la négociation” et “à l’arbitrage”. Pour le Pape, l’ONU doit promouvoir la force du droit sur le droit de la force, en favorisant des accords internationaux qui protègent aussi au mieux les Etats les plus faibles.

Sur les huit chapitres et 287 paragraphe, une partie est enfin dédiée au “dialogue et à l’amitié sociale”, qui permet de rappeler le concept de vie “comme art de la rencontre” avec chacun, y compris avec ceux aux marges de la société et les peuples autochtones, car “de tous, quelque chose peut être appris, et rien est inutile”. En effet, le vrai dialogue, écrit François, est celui qui permet de respecter le point de vue de l’autre, ses intérêts légitimes et surtout, la vérité de la dignité humaine. Le relativisme n’est pas une solution, explique le document, car sans principes universels et normes morales communes qui empêchent le mal intrinsèque, les lois ne deviennent plus des règles arbitraires.

Dans cette optique, les médias ont un rôle particulier à jouer, sans exploiter la faiblesse humaine et faire sortir de nous le pire, et doivent ainsi nous pousser vers des rencontres généreuses et proches des plus vulnérables, en faisant la promotion de la proximité et du sens de la famille humaine. Le Pape lance enfin un appel inédit au “miracle de la gentille”, une attitude à retrouver comme “une étoile dans l’obscurité” et une “libération de la cruauté, l’anxiété, l’urgence distraite” qui prévalent dans notre époque.

Sante Cavalleri