Samedi 3 avril 2021. Les autorités éthiopiennes déclarent que les troupes érythréennes ont commencé à se retirer du Tigré, où elles combattent aux côtés des forces éthiopiennes et des milices fascistes Fano Amhara, à partir du 3 novembre 2020. “Les Érythréens ont maintenant commencé à évacuer le Tigré et les forces éthiopiennes ont repris la surveillance de la frontière nationale », a déclaré le Ministère éthiopien des Affaires Etrangères dans un communiqué. L’annonce du retrait des divisions érythréennes est en fait un acte obligatoire face à la pression internationale contre ce conflit absurde, désormais ingérable pour le Premier Ministre éthiopien Abiy Ahmed Ali.
Voice of America, en donnant la nouvelle, souligne qu’à l’heure actuelle, on ne sait pas exactement combien de soldats érythréens se sont retirés du Tigré et combien opèrent encore dans la région ravagée par la guerre civile. La population Tigrinya et l’opposition érythréenne restent sceptiques quant au retrait des troupes d’Asmara. Le porte-parole du TPLF: Getachew Reda dans une série d’entretiens avec Al Jazeera, BBC, CNN déclare: “Une semaine après que le Premier Ministre éthiopien a annoncé le retrait des forces érythréennes du Tigré, nous voyons que les divisions d’Asmara n’ont pas quitté la région et montrent aucune intention de partir. En effet, depuis l’annonce du tweet d’Abiy sur l’accord d’Isaias de retirer ses forces, l’Érythrée a augmenté l’afflux de ses forces dans le Tigré à pas de géant. Le retrait des troupes érythréennes est impensable pour la survie d’Abiy et du président érythréen Isaias Afwerki ».
L’annonce du retrait des troupes érythréennes intervient en parallèle avec l’annonce d’une troisième offensive militaire au Tigré, qui a débuté à la veille de Pâques, menée principalement par l’armée érythréenne. Objectif principal: anéantir la résistance du Front Populaire de Libération du Tigré – TPLF, en assurant la victoire finale. Selon des sources locales, l’offensive concernerait la zone montagneuse au nord-est de la région, après Adigrat et impliquerait entre 50 000 et 70 000 soldats érythréens soutenus par l’aviation militaire éthiopienne.
Les unités de l’armée fédérale d’Addis-Abeba et les milices fascistes Fano Amhara auraient un rôle marginal et seraient principalement employées pour maintenir la position des territoires occupés. Le nord-ouest du Tigray a été effectivement annexé à l’Érythrée et le sud à la région éthiopienne voisine de l’Amhara. Les sources diplomatiques de l’Union africaine, confirment en privé, les informations reçues de sources locales.
L’offensive a été préparée en détail en même temps que l’annonce par le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed Ali du retrait des troupes érythréennes du Tigré. Pendant trois semaines, l’état-major érythréen avait concentré les divisions à Adigrat, qui avait été transformée en point de départ de l’offensive. Selon les témoignages de la diaspora érythréenne, le gouvernement d’Asmara a également envoyé des milliers de jeunes âgés de 16 à 17 ans combattre au Tigré.
La troisième offensive renforce la conviction qui gagne du terrain dans les cercles diplomatiques internationaux selon laquelle le gouvernement fédéral éthiopien a un plan bien défini qui se modifie en fonction des circonstances mais qui vise à poursuivre le conflit au Tigré. Les promesses d’une enquête conjointe pour vérifier les crimes de guerre commis et le retrait des troupes érythréennes, ne seraient que des harengs rouges destinés à calmer les États-Unis et l’Union Européenne (parmi les principaux partenaires économiques d’Addis ensemble à la Chine) et gagner du temps dans l’espoir de gagner contre le TPLF à Tigré.
Cette conviction est également renforcée par deux événements majeurs de ces derniers jours, extrêmement significatifs. Le rejet par le gouvernement d’Addis-Abeba de la demande américaine de cessez-le-feu au Tigray. “J’ai insisté sur une déclaration unilatérale de cessez-le-feu, ce avec quoi le Premier ministre n’était pas d’accord, et j’ai insisté pour un changement rapide vers un dialogue politique complet sur la future structure politique de Tigray”, a déclaré le sénateur Chris Coons aux journalistes lors d’une conférence de presse jeudi. Coons est un proche allié de Biden et membre de la commission des relations extérieures du Sénat. Il vient de rentrer d’un court voyage dans la nation de la Corne de l’Afrique, cherchant à mettre fin à près de cinq mois de combats entre les Forces de défense nationale éthiopiennes et le TPLF.
En renfort de la position américaine, vient la déclaration des Ministres des Affaires étrangères du G7: Canada, France, Allemagne, Italie, Japon, Grande-Bretagne et États-Unis, qui appelle explicitement à un cessez-le-feu au Tigré, le lancement d’un une enquête sur les crimes commis et un dialogue national impliquant toutes les forces politiques éthiopiennes. Ces mesures, soulignent le G7, sont nécessaires pour permettre la réalisation des élections crédibles (prévues en juillet prochain) et assurer le succès d’un vaste processus de réconciliation nationale.
La position dure du G7 serait le résultat d’un long et difficile travail diplomatique de l’Italie, voulu par l’ancien Premier Ministre Monsieur Conte et poursuivi par Monsieur Draghi. Une confirmation indirecte de ces «rumeurs» provient des récentes déclarations du directeur général adjoint du MAECI pour les pays d’Afrique subsaharienne, Giuseppe Mistretta (ancien ambassadeur en Éthiopie) faites lors d’une audition tenue à la Commission des Affaires Etrangères de la Chambre sur la situation en Tigray. Mistretta a illustré “un tableau très inquiétant, qui évolue chaque jour”, faisant référence à “une guerre de faible intensité” toujours en cours au Tigray, après l’intervention militaire de novembre dernier, entre les forces du TPLF et les forces fédérales. La ligne adoptée par l’Italie depuis décembre 2020 est très claire: retrait des troupes érythréennes, cessez-le-feu, enquêtes indépendantes et dialogue de réconciliation nationale impliquant toutes les forces politiques, religieuses et de la société civile éthiopiennes.
Le deuxième événement qui renforce l’existence d’un plan pour poursuivre le conflit est la poursuite de la politique de négation adoptée par le Premier Ministre éthiopien face aux crimes de guerre et aux allégations de nettoyage ethnique. La BBC et CNN ont diffusé une vidéo choc relative au massacre perpétré par des soldats fédéraux éthiopiens à Mahibere Diego Adet. Les images montrent les rafles, les pillages, les exécutions massives de civils et l’abus de cadavres, le tout accompagné d’un langage ethniquement offensant. Le Premier ministre Abiy a mis en doute l’authenticité de la vidéo, niant que les troupes éthiopiennes aient commis ce crime.
Le refus de la preuve porte gravement atteinte à la prétendue volonté exprimée par le Premier Ministre lui-même de faciliter une enquête conjointe sur ce qui s’est passé et ce qui se passe dans le conflit au Tigray. Malheureusement, le déni est nécessaire pour deux raisons. Le premier, le massacre de Mahibere Diego Adet, réfute les affirmations antérieures d’Abiy selon lesquelles ce sont exclusivement des soldats érythréens qui ont commis des crimes de guerre.
Les efforts diplomatiques d’Addis-Abeba sont intenses, visant à éviter à tout prix l’application de l’article 41 du Conseil de sécurité de l’ONU. L’article établit la nécessité de prendre toutes les mesures nécessaires pour rétablir la paix et la sécurité en cas de crimes de guerre graves et de nettoyage ethnique commis par l’une ou les deux parties belligérantes à un conflit. L’article 41 représentait la couverture juridique des interventions militaires de l’OTAN en Yougoslavie dans les années 1990 et en Libye en 2011. Le retrait douteux des troupes érythréennes fait partie de ces efforts.
Le site d’information de l’opposition érythréenne: Eritrea Hub a publié les termes d’un accord secret conclu entre Abiy et Afwerki lors de la récente visite du Premier ministre éthiopien à Asmara. L’accord prévoit également la simulation du retrait des troupes érythréennes, déguisé en réalité au sein de l’armée fédérale éthiopienne. Cet accord détériore davantage la crédibilité d’Abiy.
Voici les points saillants de l’accord secret signé à Asmara, après avoir reçu confirmation des cercles diplomatiques de l’Union Africaine sur la véracité des informations fournies par le site Eritrea Hub suite à un rapport interne de l’Erythrée qui a fait l’objet d’une fuite. Le rapport concerne les astuces convenues par les deux chefs de guerre pour continuer à assurer la présence érythréenne nécessaire au Tigré, tout en faisant croire au monde entier que les troupes érythréennes se retirent.
Ce sont 7 faits saillants du plan.
1. Aucun projet de retrait des troupes érythréennes d’Éthiopie. Les différents communiqués de presse éthiopiens ont pour tâche de créer une vérité artificielle pour calmer les puissances occidentales. Les forces érythréennes ne quitteront pas le Tigré car elles les seules capables de vaincre militairement le TPLF.
2. La 12e Division érythréenne actuellement en Tigré doit être immédiatement assimilée à l’armée fédérale. Cette intégration sera suivie par le reste des forces érythréennes qui passeront sous commandement éthiopien.
3. Tous les uniformes de l’armée érythréenne au Tigray seront immédiatement remplacés par les forces de défense éthiopiennes, l’armée fédérale éthiopienne.
4. Le docteur Abraham (d’ethnie Amhara, expert en sécurité / espionnage et conseiller Abiy) sera responsable de l’opération de camouflage, coordonnant les opérations militaires des deux armées contre le TPLF et alignant l’infrastructure technologique et satellitaire nécessaire des deux pays.
5. Du côté érythréen, le général de brigade Simon Gebredingel a été chargé d’être l’homologue du docteur Abraham.
6. Les généraux actuels de l’armée érythréenne seront contraints de prendre leur retraite et remplacés par des Éthiopiens.
7. Pourparlers pour une future fédération qui s’unit dans un seul pays L’Éthiopie et l’Érythrée vont bientôt commencer.
D’après les divers manouvres et contre-manouvres du Premier Ministre éthiopien, il est convaincu que tous les acteurs de cette guerre horrible et absurde se préparent à un long conflit. Les conditions de vie des civils sont désastreuses, la famine étant un danger croissant. La résistance enracinée de Tigray, combinée à la détermination des autorités éthiopiennes et érythréennes à maintenir les dirigeants du TPLF hors du pouvoir, conduit à une dévastation durable.
Avec une victoire décisive sur le champ de bataille pour les deux parties, une perspective lointaine, les parties devraient envisager une cessation des hostilités qui permette un accès élargi à l’aide humanitaire. Cette première étape pratique réduirait les souffrances des civils et ouvrirait idéalement la voie à un retour au dialogue en cours de route.
Malheureusement, un cessez-le-feu et le dialogue nécessaire sont des objectifs difficiles à atteindre. Déjà le TPLF évoque l’indépendance. Getachew Reda, interviewé par Al-Jazeera, () déclare que il ne peut pas décider de l’issue de la guerre: cela dépend des tigres. “Je n’exclus pas un État indépendant, c’est probablement l’option la plus viable.”