Ethiopie. Le massacre des Chefs Traditionnelles Sacrés Oromo Karrayyu ferme toute perspective de paix

Le retrait d’une grande partie de la région d’Amhara convenu entre les forces démocratiques, les troupes érythréennes, les milices amhara et ce qui reste de l’armée fédérale a été interprété comme un signal de la possibilité d’une résolution pacifique de la guerre civile qui a commencé le 03 novembre 2020. Le retrait des troupes du TPLF et de l’OLA (Front de Libération Oromo) se sont déroulés dans l’ordre et sans que les forces ennemies ne tentent d’attaquer leurs unités de combatent tegaru e oromo. La présence d’accords entre les parties est évidente.

Malheureusement, toute possibilité de dialogue et d’accords de paix a disparu hier, lorsque de la nouvelle de deux horribles massacres qui ont eu lieu à Oromia et qui ont touché le symbole le plus sacré du peuple oromo : les chefs traditionnels du clan Oromo Karrayyu qui habitent les rives de la vallée d’Awash dans la région d’Abadir et de Merti, dans le centre de l’Éthiopie. Les Karrayyu sont des bergers et représentent la tradition du peuple Oromo. Leurs chefs traditionnels sont considérés comme des demi-dieux, car ils détiennent la culture orale de l’histoire millénaire de l’ethnie Oromo.

La nouvelle du massacre a réussi à échapper aux mailles serrées de la censure du régime fasciste Amhara grâce aux journalistes oromo qui ont rapporté le massacre de plus d’une douzaine de chefs traditionnels accusés d’être liés au mouvement de résistance OLA. La nouvelle, rapportée d’abord par les médias oromo et plus tard par l’Addis Standard et les médias internationaux, a forcé le gouvernement régional d’Oromia (contrôlé par le parti du Premier ministre Abiy ironiquement appelé : le Parti de la Prospérité) à admettre le crime horrible où ils ont trouvé la mort des Chefs traditionnels considérés comme intouchables : Karrayyu Abba Gadaa, Abba Boku et Kadir Hawas Boru.

Le massacre a eu lieu dans la zone East Showa, au cœur de la région d’Oromia. Le régime, en admettant le massacre, a blâmé l’Armée de Libération Oromo. Le gouvernement régional a été démenti par des dizaines de témoignages concordants de rescapés du massacre que les associations internationales de défense des droits de l’homme croient vrais. Place ST Pierre offre un compte rendu détaillé des événements horribles d’East Showa.

Le mercredi 1er décembre à East Showa, une journée de prière (Waaq Kadhaa) a été organisée par les chefs traditionnels Karrayyu pour instaurer la paix en Éthiopie. Environ cinq cents personnes ont assisté à la cérémonie, autorisée par le Parti de la Prospérité. La police régionale était présente pour assurer la sécurité. Lors de la cérémonie, les forces spéciales oromo (très fidèles au premier ministre Abiy) et les milices amhara sont arrivées pour vérifier que les participants n’étaient pas armés et que la cérémonie n’était pas un acte de propagande en faveur des “terroristes” de l’Armée de Libération Oromo.
La présence de ces unités spéciales n’a pas éveillé les soupçons des chefs traditionnels et des participants à la cérémonie. « Aucun de nous ne se doutait de quoi que ce soit car il est normal que l’administration envoie ses forces de police pour des raisons de sécurité. Notre région n’a jusqu’à présent connu aucun problème de guerre ou de rivalité politique, donc aucun d’entre nous ne s’est alarmé lorsque les forces spéciales d’Abiy sont soudainement arrivées », rapporte Abera (nom changé pour des raisons de sécurité) qui a survécu au massacre.
Les seules armes présentes à la cérémonie étaient les armes traditionnelles des chefs Karrayyu qui, dans la tradition oromo, assurent également la tâche de défendre le peuple d’Oromia. Les forces gouvernementales ont interrompu la cérémonie en forçant Karrayyu Abba Gadaa, Abba Boku et Kadir Hawas Boru à remettre leurs armes traditionnelles, puis les ont arrêtés ensemble à 38 autres personnes. Tous les Chefs Traditionnels présents et quelques jeunes. Ils les ont d’abord battus puis emmenés immédiatement dans une zone reculée appelée Anole où ils ont été tués lors d’une exécution extrajudiciaire de masse.
Le lendemain, les membres de les familles des victimes ont récupéré 14 corps auprès de la police. « Nous ne savons pas où se trouvent les 27 corps restants. Les forces gouvernementales ont interdit à la communauté de récupérer les corps disparus et de se rendre dans la zone du massacre. Certains bergers nomades qui passaient par là ont rapporté que les corps étaient éparpillés sur le sol à moitié mangés par des hyènes et des vautours » rapporte un autre témoin Bekele, dont le nom a changé pour des raisons de sécurité.

Le massacre a été suivi d’une sévère répression de la communauté locale. Battages, persécutions de maison en maison, arrestations, pillages. « La communauté est dans un état de choc et de terreur. Est-ce la paix et l’unité entre les peuples éthiopiens dont parle le Premier ministre Abiy, lui aussi Oromo ? » se demande un autre survivant.

Le chef du bureau de communication du bureau régional oromo du Parti de la Prospérité a déclaré au journal Addis Standard que les « arrestations » effectuées lors de la cérémonie étaient des mesures de punition mises en œuvre par les Shanee (terme péjoratif ou utilisé par le régime Amhara pour désigner les partisans de l’OLA). Lorsqu’on lui a demandé pourquoi le gouvernement régional n’avait pas restitué la plupart des corps des victimes alors qu’il connaissait leur emplacement exact, le responsable du régime a répondu qu’il n’était pas autorisé à divulguer les décisions prises par le gouvernement car elles pourraient être exploitées par la propagande de l’ennemi.
La vague de violence, d’arrestations et de pillages qui a frappé la communauté oromo locale après le massacre a été démentie. « Nous n’avons effectué des recherches que pour identifier les coupables et protéger la communauté de nouvelles violences de la part des terroristes de l’OLA. Au cours de l’opération de police, nous avons arrêté 16 terroristes qui sont vraisemblablement les auteurs du massacre », a déclaré le responsable. La communauté affirme au contraire que les 16 personnes arrêtées étaient toutes des jeunes qui n’avaient jamais participé à aucune action de guerre et n’étaient pas des sympathisants de l’Armée de Libération Oromo mais des militants pour la paix.

Les forces spéciales du régime n’ont pas réussi à arrêter 5 autres jeunes militants pour la paix en raison de la forte résistance de la population, prête à se sacrifier pour empêcher les arrestations. Les forces spéciales ont tiré sur la foule, tuant 3 personnes, mais ont été contraintes de battre en retraite, submergées par le nombre de civils déterminés à les lyncher. Divers témoins de la communauté oromo de la zone où ont eu lieu ces violences ont rapporté que la police régionale et les forces spéciales d’Abiy ont battu de nombreuses personnes âgées et violé au moins 30 femmes âgées de 15 à 50 ans lors des perquisitions.
Le chef du bureau des communications d’Oromia a réfuté les allégations: “Il n’y a pas eu de confrontation entre les forces gouvernementales et la communauté, ni de violence et d’abus de la part des forces de l’ordre. Toutes les opérations dans cette zone sont dirigées contre le groupe terroriste OLA dans l’espoir de retrouver vivants les Chefs Traditionnels kidnappés par les terroristes et de les sauver”. Deux jours plus tôt, d’autres chefs traditionnels avaient été tués dans le Kebele (zone rurale) de Haroo Qarsa dans le district de la zone East Hararghe d’Oromia. Pour le moment, il n’y a pas de détails sur ce premier massacre.

Les chefs traditionnels qui font également office de prêtres sont considérés par les Oromo comme intouchables. Les cibler même par des offenses verbales est considéré comme un grand tabou. « Les deux massacres de nos chefs traditionnels ont été ordonnés par le Premier ministre Abiy sous la pression de la direction criminelle Amhara qui influence directement les choix politiques et militaires de cet acteur qui joue le rôle de Premier ministre. L’objectif est de décapiter le leadership traditionnel oromo, détenteur de notre culture. Les allégations selon lesquelles nos chefs traditionnels soutiennent la OLA ne sont pas étayées par des preuves tangibles. Nos Sages soutiennent exclusivement la liberté, la dignité et la culture oromo.

Les massacres de Haroo Qarsa et East Showa sont de purs actes de violence nazie commis pour détruire tout un peuple comme ils le font avec nos frères du Tigré. Toute possibilité de dialogue et de paix a été annulée par le premier ministre Abiy. Désormais, l’ensemble du peuple Oromo, (près de 42 millions de personnes correspondant à 40% de la population éthiopienne NDT) va faire la guerre au régime. Déjà des milliers de jeunes s’enrôlent dans ces heures pour grossir les rangs de l’OLA, désireux de combattre les tyrans », informe un célèbre militant oromo des droits de l’homme contacté par téléphone.

L’activiste a mis fin à la conversation téléphonique cryptée en utilisant un service similaire à WhatsApp mais non traçable par le régime, avec des nouvelles tout aussi choquantes. Le régime serait en train de lancer un plan de nettoyage ethnique contre les Oromo résidant dans la capitale. L’objectif est de faire d’Addis-Abeba, célèbre pour être une ville multiethnique où la coexistence entre les différentes ethnies a toujours été garantie, une ville mon ethnique habitée par les seuls Amhara. Place ST Pierre est entrain d’enquêter sur ce plan criminel pour vérifier sa véracité.

Fulvio Beltrami