Ethiopie : les fédéraux en difficulté, selon le TPLF (Fulvio Beltrami)

La direction du Front de Libération du Peuple du Tigré (TPLF) a rompu le silence avec une série d’entretiens ciblés uniquement à la suite de prétendues victoires militaires rapportées récemment. Selon des sources locales et diplomatiques, confirmées par certains journalistes indépendants, les forces de défense du Tigray ont stoppé la deuxième offensive, principalement menée par l’armée érythréenne.

Getachew Reda, dans une interview avec le journaliste Martin Plaut, spécialiste de la Corne de l’Afrique et de l’Afrique du Sud, a déclaré que la guerre au Tigray est principalement menée par les généraux de l’armée érythréenne. Le chef d’état-major éthiopien: le général Birhanu Jula et le commandant des opérations au Tigray: le général Belay Seyoum prendrait les ordres du dictateur érythréen. “Des généraux érythréens bien connus et importants tels que Sumon Equbu (surnommé Riesi Mirak) et Hadush Efreim mènent des opérations de guerre au Tigré en donnant des ordres aux commandants de l’armée éthiopienne, selon les communications radio que nous avons interceptées”, révèle Getachew.
Non seulement le TPLF aurait arrêté l’offensive, mais il aurait contre-attaqué en reprenant diverses zones et villes de la région. Les armées fédérale et érythréenne se postaient désormais à la défense dans l’espoir de contenir l’avance Tigrinya. Des tranchées ont été creusées à Mekelle et le Premier Ministre a évacué d’urgence tous les cadres Tigrinya de son Parti de la Prospérité à Addis-Abeba. Depuis hier, il y a eu des affrontements d’artillerie lourde à 80 km de la capitale Mekelle, tandis qu’une bataille acharnée est en cours sur la route d’Adwa à 160 km pour bloquer une offensive des soldats fédéraux et érythréens. En représailles, le gouvernement fédéral et les Érythréens bombarderaient des quartiers résidentiels de diverses villes tombées aux mains du TPLF et brutaliseraient des civils dans des villes encore sous leur contrôle.

Alors que le dictateur érythréen continue de nier la présence de ses troupes en Ethiopie et que le gouvernement fédéral se comporte comme si de rien n’était au Tigray, le TPLF a envoyé un rapport détaillé sur les progrès de la guerre au journal Daily Nation, Kenya. En même temps, il a demandé et obtenu un entretien avec le journal allemand Deutsche Welle. Entretien fait par un autre porte-parole du TPLF: Gebre Gebretsadik. Dans le rapport et l’interview, le TPLF affirme avoir tué des centaines de soldats fédéraux et érythréens.
Dans la seule offensive du TPLF dans le nord du Tugray, 502 soldats fédéraux auraient été tués. “Le lundi 8 février, nos forces ont lancé une offensive militaire contre les troupes ennemies stationnées autour de la ville de Kola-Temben à Juwamare. Nous avons complètement éliminé les forces ennemies”, a rapporté Gebre dans une interview à Dimtsi Woyane (DW) TV. 358 autres soldats fédéraux auraient été tués autour de la ville de Tembein dans la ville d’Adi-Chilo. Le TPLF a également affirmé avoir détruit une gamme d’équipements militaires, dont cinq chars, deux chasseurs, un hélicoptère de combat et saisi à l’ennemi 177 roquettes, 22 véhicules armés et du matériel de communication.
Getachew conclut l’entretien avec le journaliste Martin Plaut en se concentrant sur les soldats éthiopiens fédéraux et érythréens. «Nous n’avons aucun sentiment négatif envers les soldats érythréens et les soldats fédéraux éthiopiens, car ils ont été trompés par leurs gouvernements et contraints de prendre part à cette guerre.
Abiy et Afwerki n’ont pas dit la vérité à leurs soldats avant de les envoyer au front. Premièrement, ils ne lui ont pas dit qu’il devait affronter une armée bien entraînée et bien armée comme celle du TPLF. Nous les voyons mourir par milliers dans chaque combat et cela nous cause beaucoup de douleur. Lorsqu’ils sont capturés, les soldats érythréens et fédéraux sont traités avec dignité sans leur faire de mal, car la plupart d’entre eux ont été induits en erreur et trompés. Ils n’ont pas la moindre idée des objectifs réels de leurs dirigeants. ”

Addis-Abeba est également menacée. La stratégie du TPLF serait évidente, même si elle n’est pas acceptable : déplacer la guerre vers la capitale avec des actions de guérilla ou des attaques terroristes. De telles tentatives semblent être en cours comme en témoigne la saisie de 23 cartons contenant des explosifs effectuée par la police. Le camion suspect venait de Tigray et se dirigeait vers Addis-Abeba. L’interception (peut-être grâce à une information) a eu lieu dans la ville de Kombolcha au checkpoint de Woldiya, dans la région d’Amhara.
L’offensive du TPLF et les prétendus succès militaires ont lieu précisément à l’occasion du 46e anniversaire de sa fondation. Célébré dans tout le Tigré malgré les interdictions claires émises par le gouvernement fédéral. Le TPLF, également connu sous les noms de Woyane et Wayana, a été fondé le 18 février 1975 à Debebit, Tigray par une douzaine d’hommes qui avaient participé à la chute du dernier empereur amhara: Haillé Selaissé. Le TPLF a lancé une guérilla contre le régime stalinien du DERG en créant la coalition des groupes armés amhara, oromo et somalien appelée Front Démocratique Révolutionnaire du Peuple Ethiopien (EPRDF). Les forces de guérilla ont réussi à vaincre le DERG en 1991. L’EPRDF s’est transformé en une coalition gouvernementale et le TPLF a dirigé la nation en nommant son chef Legesse Zenawi Asres connu sous le nom de Meles Zenawi comme Premier ministre. En 1994, la nouvelle Constitution est entrée en vigueur qui transforme l’Éthiopie en un État fédéral où les régions obtiennent une autonomie de gestion considérable et tous les groupes ethniques sont protégés du risque d’être dominés par un groupe ethnique prédominant.
Le TPLF imposera une économie capitaliste d’État en se concentrant sur la création de sociétés d’État fortes qui deviendront bientôt des leaders continentaux comme Ethiopian Airlines. En une vingtaine d’années, l’Éthiopie est devenue une puissance économique continentale avec des taux de croissance annuels allant de 10 à 12%. Le bilan de 28 ans au pouvoir est difficile à faire car si d’un côté le TPLF a modernisé le pays et en a fait une puissance économique, de l’autre il a imposé une voie préférentielle pour son ethnicité, manœuvrant dans les coulisses de la coalition EPRDF. Le TPLF a gagné des alliances occidentales en prêtant des troupes sur divers théâtres de guerre, le principal étant celui de Somalie.

La montée du TPLF et la renaissance de la nation se terminent par la mort de Zenawi le 20 août 2012. Par crainte d’un vide de pouvoir, l’EPRDF nomme Hailemariam Desalegn au poste de Premier ministre, une personnalité politiquement incapable de gérer la nation et de contrôler les pressions des groupes ethniques de diverses régions, dont Oromia, qui se sentent opprimés par le pouvoir omniprésent du TPLF.
Au lieu d’initier des réformes démocratiques tout en restant dans le concept fédéraliste, Desalegn tentera d’imposer un contrôle fédéral du TPLF par la répression, alimentant davantage les sentiments ethniques de vengeance d’autres régions. C’est précisément sous Desalegn que le phénomène de corruption émerge ai sein de l’administration publique, l’armée et l’entrepreneuriat au profit des cadres du TPLF. Les révoltes sociales Amhara et Oromo ont forcé Desalegn à démissionner. Une fois de plus, par crainte du vide du pouvoir, un jeune homme très fidèle au TPLF a été élu: Abiy Ahmed Ali. Son travail consistait à initier des réformes démocratiques contrôlées et à décanter du vieux vin dans de nouvelles bouteilles. Une tâche clairement non accomplie.

Le TPLF est, en un sens, le produit de la marginalisation de Tigray en Éthiopie après que le commandant Amhara Menelik II de Shewa soit devenu empereur en 1889. L’élite traditionnelle et paysanne du Tigray avait une forte identité régionale et ressentait profondément le déclin du Tigray. Les souvenirs du soulèvement armé de 1942-43 (le «premier [qädamay] wäyyanä») contre le rétablissement de la domination impériale après le colonialisme italien sont restés vivants et ont fourni une référence importante pour la nouvelle génération de nationalistes instruits au Tigré.
Le fondateur du TPLF était la PAT (Association politique des Tigréens fondée dans les années 1960 par des étudiants de Tigrinya à l’Université Haile Selassie (actuelle Université d’Addis-Abeba). En 1972, la PAT a donné naissance à la TUSA (Association des étudiants de l’Université du Tigré) où un groupe nationaliste radical s’est développé qui a exigé l’indépendance de Tigray, les 12 hommes célèbres qui ont fondé le TPLF en 1975.

La question cruciale à se poser est: si le TPLF gagne la guerre, restera-t-il partie du Tigray ou fondera-t-il un État indépendant? Le porte-parole du TPLF Getachew Reda, interviewé par le journaliste Martin Plaut, tente de répondre à cette question. Dans l’interview, le porte-parole du TPLF dément les rumeurs d’une éventuelle déclaration d’indépendance du Tigray, affirmant que son parti “croit fermement en la continuité et l’unité de l’Éthiopie en tant que nation”. Getachew, cependant, ne cache pas le fait qu’en raison de cette brutale agression militaire, le peuple du Tigray aura désormais du mal à considérer l’Éthiopie comme sa propre nation, mais il est nécessaire de surmonter les rancunes pour préserver l’unité du pays. Une déclaration évidemment adressée à la faction interne du TPLF qui aspire à l’indépendance.

Une faction qui bénéficie d’un bon soutien populaire qui oblige Getachew à des phrases conciliantes. «Cependant, il n’est pas contesté que seuls les habitants du Tigré ont le droit de décider de rester ou non en Éthiopie. Nous devons maintenant nous concentrer sur l’effort pour résister, vaincre les envahisseurs et ramener la région à la normale », a-t-il déclaré dans l’interview. Getachew dit que la résistance armée est obligatoire pour défendre la dignité de Tigray, les droits démocratiques et humains. C’est pourquoi toute la population fait un énorme sacrifice pour défendre sa dignité et que des milliers de jeunes du Tigré se joignent à la lutte armée.

Fulvio Beltrami