Alors que l’armée érythréenne a lancé il y a deux jours une autre offensive de grande envergure dans le centre du Tigré avec l’espoir de remporter une victoire définitive contre les forces de défense du Tigrè et contre le TPLF, il y a une escalade du conflit dans la région de l’Oromia contre la formation rebelle Oromo Liberation Army (OLA), récemment déclarée organisation terroriste par le gouvernement fédéral ensemble au TPLF.
La guerre civile au Tigray a l’avantage (pour le gouvernement fédéral) d’avoir éclipsé l’autre sale conflit en Oromia, une région qui se classe bien au-dessus du Tigrè en termes de population, de taille géographique et de richesse produite. Depuis février dernier, il y a eu une série d’offensives militaires du groupe armé Oromo Liberation Army (OLA), affilié au parti d’opposition Oromo Liberation Front (OLF), dont la majorité de ses dirigeants sont détenus dans des prisons fédérales. L’OLF a déclaré qu’il ne participerait pas aux élections prévues en juin, les qualifiant de “farce du dictateur Abiy Ahmed Ali”.
Les miliciens de l’OLA ont inities leur operation militaire dans la zone de Wollega et rapidament se sont étendus à d’autres localités d’Oromia, atteignant 70 kilomètres de la capitale Addis-Abeba, la menaçant. L’offensive de l’OLA a contraint le Premier Ministre Abyi Ahmed Ali à recourir à l’armée érythréenne, compromettant les opérations sur le front du Tigré. Les troupes de renfort étrangères ont stoppé l’avancée sur la capitale sans toutefois affaiblir la force militaire de l’OLA qui procède au recrutement massif de jeunes chômeurs en Oromia.
Les miliciens de l’OLA ont étendu leurs activités militaires dans l’État d’Amhara, où des massacres de civils inculpés à l’OLA ont été enregistrés, y compris ceux qui ont eu lieu dans la partie orientale de la région d’Amhara: South Wollo, Oromo Special Zone et North Shewa où ils sont morts 300 personnes et des dizaines de milliers de citoyens éthiopiens d’origine Amhara ont fui leurs maisons et sont devenus des déplacés internes. La présence de miliciens oromo dans l’Amhara a été confirmée par le président de l’État régional: Agegnehu Teshager, l’un des leaders les plus influents du nationalisme Amhara.
Des affrontements entre soldats érythréens, forces fédérales et rebelles de l’OLA ont eu lieu au cours des deux dernières semaines en Oromia dans les districts d’Arsi et de Munesa, en particulier dans la ville de Meti, perdue et reprise à plusieurs reprises par les troupes érythréo-éthiopiennes. Dans le district d’Arsi, on apprend que les forces de défense d’Oromia (alliées au gouvernement fédéral) ont été encerclées et détruites par les guérilleros de l’OLA.
L’Armée de Libération d’Oromo revendique une série de victoires militaires qui infligeraient de lourdes pertes à la Force de Défense Nationale Ethiopienne (ENDF). Pour preuve de ces affirmations, l’OLA a publié une liste des officiers de l’armée fédérale qu’ils ont tués, notamment: l’officier logistique Daraje Sefu, le responsable des communications Colonel Yifiru Damise, , le commandant de la police fédérale Mangasha Abate, , le commandant de la police militaire Getinet Mulgeta. La liste n’a pas été confirmée ou refusée par le gouvernement fédéral.
L’OLA utilise principalement des tactiques de guérilla, essayant pour le moment d’éviter les batailles rangées. Il tente également d’éviter les affrontements avec les forces érythréennes, en se concentrant sur l’armée fédérale éthiopienne déjà affaiblie par la guerre civile au Tigré. L’Ola a maintenant atteint la région de Shewan à Oromia, près de la capitale Addis-Abeba qui est maintenant menacée. Si les unités de guérilla oromo continuent de conquérir des territoires à la même vitesse que ces derniers mois, l’OLA pourrait devenir assez forte pour encercler et assiéger Addisa-Abeba. Le chef militaire OLA : Jalla Marro a déclaré aux médias nationaux que l’offensive militaire avait parmi ses objectifs d’empêcher les élections “frauduleuses” organisées par le Premier Ministre Abiy Ahmed Ali.
Le 27 avril, le Haut Commandement de l’Armée de Libération d’Oromo a publié un communiqué de presse fixant les conditions pour le gouvernement fédéral pour attendre à une solution pacifique au conflit en cours. Cessez-le-feu et retrait immédiats des troupes érythréennes d’Oromia. Libération immédiate et inconditionnelle des prisonniers politiques de l’OLF détenus dans les prisons fédérales. Le report des élections prévues en juin prochain motivé par la situation de guerre civile dans le pays. Enquête internationale indépendante sur les crimes de guerre commises par les autorités fédérales et érythréennes contre la population civile d’Oromia.
Dialogue national inclusif entre le gouvernement fédéral, les États régionaux, les partis politiques et armés, la société civile et les représentants religieux afin de trouver une solution pacifique aux différents conflits qui ont lieu en Éthiopie. Un dialogue auquel les alliés étrangers du Premier Ministre éthiopien ne doivent pas participer: en premier lieu l’Érythrée. Un référendum serait également nécessaire pour modifier la Constitution qui régit la Fédération éthiopienne. Une modification que doit tenir compte de plus grandes garanties d’autonomie et d’autodétermination des États Regionaux. Réforme de l’administration publique et du système judiciaire.
Bien que cela n’ait pas encore été déclaré publiquement, le but ultime de l’Armée de Libération d’Oromo est l’autonomie totale d’Oromia. Cependant, plusieurs observateurs régionaux notent que sa stratégie pour y parvenir est incertaine, tout comme la volonté de l’OLA d’ouvrir des négociations de paix.
Dans la guerre «secrète» d’Oromia, nous assistons à la même tactique de représailles contre les civils adoptée par les troupes fédérales et érythréennes au Tigré. La Commission Ethiopienne des Droits de l’Homme (EHJRC) a publié un rapport détaillant la répression massive des civils oromo soupçonnés d’être membres ou sympathisants de l’OLF / OLA. Une accusation qui a été démentie par le procureur général d’Oromia, un partisan du Parti pour la Prospérité du Premier Ministre Abiy.
La commission s’est dite gravement préoccupée par le traitement des prisonniers détenus sans qu’une enquête officielle ne soit ouverte à leur encontre et par le fait qu’ils n’avaient pas été traduits en justice dans les délais légaux. Certains des détenus civils qui ont témoigné devant l’EHRC ont déclaré avoir été emmenés dans des lieux «secrets» contre leur volonté et ont été contraints de porter des uniformes de milice OLA et des perruques «rasta» où ils ont été filmés comme guérillas oromo fait prisonnier. La plupart des guérilleros OLA ont le bronzage typique des cheveux de style Rasta.
Certains administrateurs de la prison ont admis à l’EHRC le transfert de détenus vers d’autres centres de détention, mais ont nié les avoir filmés, sans fournir aucune autre explication à la commission. Dans le rapport, le commissaire de la EHRC : Daniel Bekele (PhD), a déclaré qu ‘”une attention particulière est nécessaire pour s’assurer que les procès des suspects des crimes insurrectionnels ne sont traités que par des tribunaux ordinaires et que les ordonnances des tribunaux sont dûment respectées par les autorités régionales”.
La position prise par l’EHRC met en évidence une rupture au sein du gouvernement fédéral. La Commission Ethiopienne des Droits de l’Homme est une organisation gouvernementale jusqu’à présent sous le contrôle strict du Premier Ministre. Jusqu’en mars, l’EHRC se prêtait à couvrir ou à minimiser les crimes commis au Tigré et elle était utilisée par le gouvernement fédéral comme un organe de propagande politique. Depuis avril, il y a eu un éloignement marqué de l’EHRC du gouvernement d’Addis-Abeba et un travail de plus en plus autonome sur les crimes commis par tous les acteurs de la guerre civile éthiopienne au Tigré, en Oromia et dans d’autres régions. Selon certaines sources, cette plus grande autonomie retarderais la commission d’enquête sur les crimes au Tigré proposée par le Premier Ministre Abiy et composée d’experts de l’EHRC, des Nations Unies et de l’Union Africaine. La commission éthiopienne ne serait désormais plus considérée comme «fiable» par le gouvernement Abiy.
Comme au Tigré, le gouvernement fédéral tente de cacher les crimes commis contre la population civile d’Oromia. Malheureusement, l’histoire du jeune Oromo: Gamachu Wondimu Kabada dans la ville de Dembi Dollo a porté un coup sévère à la politique de silence et de fake news adoptée par le gouvernement Abiy pour dissimuler la situation réelle, horrible et désastreuse de conflit et systématique violation des droits de l’homme en Éthiopie.
Mercredi 12 mai, le bureau de communication du gouvernement fédéral dans la région de Kellem Wollega, Oromia, a publié un message sur sa page Facebook annonçant que les forces de sécurité avaient capturé un dangereux milicien du groupe armé “Abba Torbè” associé avec l’OLA. Le jeune homme sous enquête: Gamachu Wondimu Kabada, avait été accusé du meurtre de plusieurs policiers et civils. Les autorités ont rapporté que le jeune homme avait été blessé à la jambe alors qu’il tentait d’échapper à la capture.
Les images publiées sur la page Facebook officielle du bureau des communications du gouvernement fédéral montrent le jeune homme battu, avec des vêtements déchirés, saignant de multiples blessures, les mains liées derrière le dos et une arme à feu suspendue à son cou. La vidéo a soulevé un tollé d’indignation nationale et internationale sur les médias sociaux. Plusieurs témoins oculaires ont déclaré que des soldats fédéraux avaient tué le jeune homme lors d’une exécution publique en guise d’avertissement à tout citoyen éthiopien d’origine oromo qui avait l’intention de poursuivre son soutien direct ou indirect aux “terroristes” de l’OLA.
Un habitant de la ville de Dembi Dollo, protégé de l’anonymat pour des raisons de sécurité, a confirmé au journal national Addis Standard que l’exécution publique du pauvre garçon avait bien eu lieu. «J’étais dans la zone connue sous le nom de ‘Manahariya’. Quand j’ai entendu des coups de feu, j’ai immédiatement essayé de m’échapper. Quelques instants plus tard, la zone a été entourée par les forces spéciales d’Oromia qui nous ont emmenés au rond-point l’exécution du garçon », a déclaré le témoin oculaire ajoutant que la situation sécuritaire des civils à Dembi Dollo est épouvantable.
Interrogé les autorités fédérales par BBC Amharic pourquoi le jeune Gemechu n’a pas été traduit en justice mais exécuté sommairement, le chef du bureau de sécurité de la région de Kellem: Tesema Wariyo a rapporté que Gemechu était un criminel dangereux.
L’avocate et militante des droits humains Ameha Mekonnen a expliqué aux médias nationaux que la violation des droits humains est en train de devenir une pratique courant en Éthiopie. Dans le cas spécifique de Gamachu Wondimu Kabada, le jeune Oromo était détenu par la police qui a été obligée de le remettre à la justice pour un procès équitable. Ameha a également souligné que le suspect avait été abattu alors qu’il n’était pas armé et ne représentait aucune menace pour son voisinage immédiat, ce qui constitue un meurtre au premier degré. “Les responsables et l’administration de la zone devraient être tenus pour responsables de ne pas avoir traduit le jeune homme en justice et du meurtre extrajudiciaire”, a déclaré l’avocat des droits humains.
Aujourd’hui dans plusieurs villes d’Oromia, des manifestations populaires ont eu lieu après la fête musulmane de l’Aïd, réclamant justice pour la brutale exécution extrajudiciaire du jeune Gamachu Wondimu Kabada. Bon nombre de ces manifestations ont été dispersées «de force» par la police fédérale.
Fulvio Beltrami