La Chine qui découvre le droit romain est un partenaire fiable pour l’Europe qui se fonde sur lui. Entretien avec D. Dursi (par G. Merlicco)

La République populaire de Chine s’est engagée depuis quelque temps dans une voie visant à réformer son système juridique, en prenant comme référence le droit romain. Le nouveau code civil chinois, basé précisément sur une approche romane, a récemment été publié également en italien, avec la traduction du professeur Huang Meiling, pour les types de Pacini Editore. À cet égard, FarodiRoma a recueilli le témoignage de Domenico Dursi, professeur de l’Université La Sapienza de Rome et conservateur de l’œuvre avec Oliviero Diliberto et Antonio Masi. Propos recueillis par Giordano Merlicco.

Professeur Dursi, comment est née l’idée de prendre le droit romain pour réformer l’ensemble du système juridique de la République populaire de Chine ?

Il s’agit d’une histoire articulée dont seules les étapes marquantes peuvent être rapportées ici. Avant même la fondation de la République populaire de Chine, les juristes chinois étaient entrés en contact avec le droit romain, puisque, depuis l’époque de la dynastie Qing, au début des années 1900, une délégation de savants avait été envoyée en Europe continentale pour étudier les systèmes juridiques entités des principaux pays européens. De retour chez elle, la délégation dans le rapport à l’empereur a souligné comment, dans les pays visités, chaque fois qu’il était question d’institutions juridiques, il était fait référence au droit romain. Dans cette phase primordiale de pénétration du droit romain et de la tradition romaine, la codification japonaise contemporaine a également joué un rôle important, reflétant le modèle du Code civil allemand, également avec une empreinte romaniste. Pour arriver à l’histoire qui nous intéresse le plus, la République populaire de Chine à plusieurs reprises entre les années 1950 et 1960 a élaboré des projets de code civil qui avaient le code soviétique comme modèle, ainsi, pour une autre histoire incroyable, de matrice claire romaniste. De plus, les jeunes juristes chinois fréquentaient souvent les universités soviétiques, où ils étudiaient le droit romain. Le “grand schisme” du monde communiste a évidemment refroidi aussi les échanges universitaires entre l’URSS et la République populaire Chinoise et en même temps, également pour des raisons internes, la République populaire a mis de côté l’objectif d’adopter un code civil. Le projet a repris après les réformes de Deng dans les années 1980 et c’est à cette période que remonte le rôle fondamental des universités italiennes. Dans ce contexte, en effet, certains professeurs italiens ont compris que le droit romain avec son système et ses catégories serait un outil très utile pour arriver enfin à un code civil. Parmi ces enseignants, je crois qu’il faut citer deux noms : le Pr Sandro Schipani, pionnier de cette histoire, qui fut le premier à organiser des moments de rencontre et de réflexion commune avec des juristes chinois, ainsi que des opportunités de formation pour les jeunes juristes chinois en herbe, et Le professeur Oliviero Diliberto qui a donné un nouvel élan décisif dans son triple rôle de romaniste, communiste et ministre de la Justice à la fin des années 90 qui le rendait particulièrement apte aux affaires : c’est précisément pour cette raison qu’il a institutionnalisé au plus haut niveau ces relations de collaboration .

Une contribution essentielle pour la pénétration du droit romain en Chine a été offerte par Sapienza, que pouvez-vous nous en dire ?

Sapienza forme depuis de nombreuses années des doctorants chinois en les initiant à la connaissance la plus approfondie du droit romain et des droits qui en découlent. Il y a quelques années, cette intense activité a culminé avec la fondation de l’Institut italo-chinois qui, à l’initiative des professeurs Diliberto et Xu Diyu, doyen de l’Université d’économie et de droit de Zhongnan, réunit la Sapienza de Rome et la Zhongnan Université d’Economie et de Droit, dans une collaboration très fructueuse. Dans le cadre de ces rapports, la traduction italienne du Code civil chinois est également née, la première hors de Chine. Par ailleurs, depuis deux ans, Sapienza organise des cours d’études dans les matières juridiques directement sur le territoire chinois et les premiers étudiants obtiendront bientôt leurs diplômes. D’autre part, grâce à cette intense collaboration, Sapienza a établi, grâce aux dons de l’Université d’économie et de droit de Zhongnan, la plus importante bibliothèque européenne de droit chinois, un outil indispensable pour ceux qui souhaitent approfondir le droit chinois actuel. La Sapienza a donc d’abord contribué et contribue encore à la diffusion du droit romain et des droits européens en Chine, mais offre désormais d’importantes opportunités de connaître et d’étudier de près le droit civil chinois, même avec des bourses pour des séjours en Chine.

L’œuvre de romanisation aura-t-elle un impact profond sur la Chine, à votre avis contribuera-t-elle aussi à la rapprocher de notre pays ?

Je ne parlerais pas de « romanisation ». Je parlerais plutôt d’emploi et de réajustement aux besoins chinois des catégories du droit romain. L’impact d’un code est toujours très pertinent dans chaque société et dans ce cas il ne sera pas différent. Il ne faut cependant pas oublier que la Chine avait déjà réglementé les principaux segments du droit civil par des lois spéciales. Le code favorise sans aucun doute un ordre et une coordination accrus des règles de droit civil et, par conséquent, répond mieux au besoin de sécurité et de prévisibilité du trafic commercial. Il ne fait aucun doute que le Code adopté par la RPC rapprochera nos deux pays. Nous avons désormais des catégories juridiques communes, ce qui facilite sans doute les dialogues et les échanges. On peut désormais compter le droit chinois parmi les « droits néo-romains », expression heureuse du Pr Diliberto, avec qui nous voulons souligner non seulement la matrice commune de ces droits, mais aussi la circonstance que pour le droit il y a eu un phénomène similaire, mais à plus grande échelle, que ce qui s’est passé avec les langues néo-latines. De même qu’il est plus facile pour un italien de comprendre un espagnol, un français ou un portugais, car les langues ont une structure commune et un vocabulaire très proche, de même les praticiens du droit des pays à droits néo-romains (tous , à l’exception de l’Angleterre, des États-Unis et de l’Inde) pourront se comprendre plus facilement, ce qui, bien entendu, peut offrir d’importantes opportunités commerciales.

Vous avez passé beaucoup de temps à Wuhan, qui ces derniers temps a souvent été qualifiée par la presse européenne de « ville du virus ». Que pouvez-vous nous dire sur la capitale du Hubei ?

La définition de Wuhan, ville riche d’histoire et de traditions, comme « ville du virus » est pour le moins irrespectueuse et ne mérite aucun commentaire. C’est une mégalopole de 11 millions d’habitants caractérisée par de nombreux lacs et beaucoup de verdure. C’est une ville universitaire avec un grand nombre d’étudiants. C’est donc une réalité très vivante. Au cours de mes différentes expériences, j’ai toujours pu apprécier l’accueil et la bonne cuisine, ainsi qu’une grande curiosité, voire une appréciation sincère pour l’Italie et sa culture en général. Je peux dire que, dans une certaine mesure, Wuhan est un peu ma deuxième maison et j’espère pouvoir y retourner très bientôt.

Giordano Merlicco