
Une douche froide vient de l’envoyé de l’Union Européenne, Pekka Haavisto, ministre des affaires étrangères de la Finlande, qui a rencontré il y a deux semaines le Premier Ministre éthiopien Abiy Ahmed Ali et d’autres représentants du gouvernement fédéral après avoir rencontré des homologues soudanais. A son retour, Haavisto a rapporté au Parlement Européen que le gouvernement éthiopien a adopté une stratégie de déni sur l’étendue de la guerre au Tigré, officiellement remportée le 28 novembre 2020. Des mots lourds surtout si l’on considère la prudence adoptée par l’UE en ces dernières années dans les événements compliqués du continent africain. Le mandat du délégué européen était d’évaluer la situation au Tigré et le risque de guerre entre le Soudan et l’Éthiopie.
«Lorsqu’il s’agit de parler du conflit dans la région du Tigré, le gouvernement fédéral d’Addis-Abeba n’a pas une compréhension commune des événements et a tendance à nier l’ampleur du problème. Dans toutes les réunions avec les hauts responsables du gouvernement éthiopien, j’ai remarqué une sorte de déni obstiné mais, lors de certains entretiens privés avec certains hauts responsables du gouvernement, j’ai remarqué des rapports contradictoires sur les questions d’accès humanitaire et sur les violations des droits de l’homme.
L’idée que j’ai faite est que le gouvernement lui-même n’a pas une image claire, en particulier en ce qui concerne les zones contrôlées par l’armée érythréenne et celles contrôlées par les milices paramilitaires Amhara. Telle est la question. Il y a un manque de compréhension de ce qui se passe réellement, malgré le fait que les rumeurs, les témoignages et les preuves qui émergent sont très inquiétants. C’est ce que Haavisto a rapporté aux ministres des Affaires étrangères de l’Union Européenne à son retour à Bruxelles. Il est en train de rédiger un rapport détaillé qui constituera la base du document commun des 27 États membres de l’UE qui définira la ligne à suivre à l’égard du gouvernement du Premier Ministre Abiy.
Dans son rapport aux ministres des Affaires étrangères européens, Haavisto a souligné que la contribution de l’UE à la résolution de cette horrible guerre civile devrait se traduire par une série de pressions pour persuader les parties impliquées dans le conflit à un dialogue national. Soulignant la priorité du retrait des troupes érythréennes et d’un cessez-le-feu, Haavisto a précisé que la description faite par le Premier Ministre éthiopien d’une “opération de police” ne correspond pas à la réalité du Tigré. “C’est une guerre”.
Haavisto a envoyé l’Union Européenne pour formuler au plus vite une ligne commune sur le drame éthiopien, car ce qu’il a vu dans le pays de la reine de Shaba représente une sérieuse sonnette d’alarme et la situation est vouée à s’aggraver. En décembre dernier, l’UE a gelé 88 millions d’euros destinés à soutenir le budget du gouvernement fédéral éthiopien en raison du conflit brutal. La commissaire européenne Jutta Urpilainen a averti que 100 millions d’euros supplémentaires d’aide bilatérale étaient actuellement remis en question.
Cependant, certains États membres de l’UE continuent d’offrir leur soutien au gouvernement fédéral. Signe du problème jamais résolu de l’absence de politique étrangère commune dans l’UE. Contrairement aux politiques financières, désormais incontestables, la politique étrangère européenne continue de souffrir d’une fragmentation illogique qui conduit les États membres à créer des camps opposés et des actions conflictuelles sur les principales crises mondiales, notamment en Afrique.
Pensez simplement au cas de la Libye où, depuis des années, une guerre secrète se déroule entre l’Italie et la France pour le contrôle du pays, de ses gisements de pétrole et de gaz naturel. Un autre exemple est la position contre la sanglante junte militaire au Burundi, où la France, dans les coulisses, cherche à réhabiliter le régime et à convaincre l’UE d’abroger les sanctions économiques décrétées en 2016 en raison des crimes avérés contre l’humanité commis par le Seigneur de Guerre de Pierre Nkurunziza et continuée (en sadique héritage) par l’actuel chef de la junte militaire: le Général Neva, Évariste Ndayishimiye.
Seules les provocations incessantes de la junte représentent un sérieux obstacle à la mise en œuvre du programme de réhabilitation du régime promu par Paris. Parmi eux on se souvient du recensement ethnique de la population, de la condamne à perpétuité de 34 opposants politiques en exil et de 12 membres de la société civile et de journalistes également à l’étranger accusés de terrorisme pour la simple raison de s’être opposés aux violences perpétrées et de défendre la démocratie et le respect des droits de l’homme.
Un responsable de l’UE, s’exprimant sous couvert d’anonymat, a déclaré à la plate-forme de journalistes européens Devex que la situation en Éthiopie serait bientôt discutée au Parlement. “Je pense que c’est l’un des sujets prioritaires à débattre ouvertement entre les Etats membres”, a déclaré le responsable.
Ces derniers jours, plusieurs journalistes éthiopiens et internationaux se sont sérieusement opposés à l’opération de censure suggérée par la direction d’extrême droite Amhara et adoptée par le Premier Ministre Abiy Amhed Ali. Les preuves de massacres sans précédent perpétrés par les troupes d’invasion érythréennes, les milices paramilitaires d’Amhara et l’armée fédérale sont désormais trop détaillées pour ne soulever pas de sérieux doutes sur le nettoyage ethnique en cours et le suspect de génocide. Le travail des ces journalistes a permis à Amnesty International de rédiger un document choquant sur le massacre d’Axoum commis par les troupes érythréennes avec le consentement tacite de l’armée fédérale éthiopienne que la célèbre et illustre association internationale de défense des droits humains qualifie carrément de crime contre l’humanité.
Le rapport est également basé sur le témoignage de 41 survivants du massacre. Le bilan provisoire des morts parle d’environ 800 civils assassinés brutalement, dont des prêtres orthodoxes et des enfants âgés de 1 à 10 ans. Le rapport confirme malheureusement une note interne des Nations Unies rédigée en novembre dernier, 20 jours après le début du conflit, qui contenait divers indices sur la torture et les exécutions massives perpétrées par les troupes érythréennes.
La note a été divulguée par Tink Tank Foreing Polciy mais n’a pas été couverte par les médias occidentaux. Même l’Union Européenne n’avait pas accordé une attention particulière. À l’époque, divers diplomates occidentaux, tout en déplorant en privé les crimes commis, étaient convaincus que l’opération militaire serait de courte durée. Malheureusement, cela n’a pas été tout créant une grande gêne parmi les partisans européens et américains du Premier Ministre Abiy, dépeint comme un réformateur, démocrate et défenseur des droits de l’homme.
Maintenant, la situation est différente. Les crimes sont si grands et odieux qu’ils sont techniquement impossibles à dissimuler. Le site d’opposition érythréen (Eritrea Hub) attire l’attention sur la tragédie du Tigré en soulignant le rapport du gouvernement américain qui parle clairement de nettoyage ethnique à la limite du génocide commis par les soldats érythréens et les milices fascistes d’Amhara. Le rapport de l’administration Biden parle également du massacre de dizaines de milliers de réfugiés érythréens considérés comme des «ennemis» par le régime dictatorial d’Asmara.
De plus en plus d’organisations internationales de défense des droits humains et de grands médias occidentaux affirment désormais qu’une guerre ethnique est en cours au Tigré. La motivation initiale du conflit: une tentative de résoudre de fortes divergences politiques entre le TPLF et le Premier Ministre Abiy par la force militaire a été remplacée par la claire intention de la direction d’extrême droite Amhara d’exterminer la population de Tigrinya afin de voler des territoires fertiles et d’empêcher l’avenir représailles.
Les atrocités commises sur les civils, l’interdiction pour les humanitaires de porter assistance à 80% de la population, le contrôle strict des quelques aides humanitaires autorisées mais utilisées comme arme politique, les viols massifs et le pillage systématique des biens civils, la destruction des lieux sacrés et l’héritage culturel du Tigré, l’anéantissement de la capacité de production de la région, sont tous des signes sans équivoque d’une intention génocidaire promue par la direction Amhara et subie par le Premier Ministre Abiy et son parti: le Parti de la Prospérité.
Les preuves et les témoignages qui ont émergé de la tragédie en Éthiopie ont été rendus possibles grâce à de courageux journalistes éthiopiens indépendants, non seulement des Tigres mais aussi d’autres ethnies. Pour sensibiliser le monde de cette salle guerre ethnique en cours, plusieurs de nos estimés collègues journalistes éthiopiens ont payé de première main. Le 27 février, des soldats fédéraux ont arrêté deux journalistes traducteurs – Fitsum Berhane (collaborateur de l’Agence France-Presse), Alula Akalu (contributeur du Financial Times) – et un journaliste Independent : Tamrat Yemane. Le lundi 1er mars, Giramy Gebru, journaliste de la BBC en langue Tigrinya, a été arrêtée dans un café de Mekelle et emmenée dans un camp militaire. Interrogées par les médias internationaux pour lesquels ces journalistes travaillent, les autorités ont refusé d’expliquer les raisons des arrestations. Leur sort est désormais inconnu.
Fulvio Beltrami