La guerre civile en Éthiopie devient encore plus compliquée. Les dirigeants amhara sont à plat sur le Premier ministre Aiby et rejettent l’ultimatum de Biden (F. Beltrami)

Nous sommes dans le onzième mois de conflit dans le Tigré, l’Oromia et l’Amhara. Ou delà des réalités virtuelles de la propagande étatique, le théâtre de guerre le plus important : celui de la région d’Amhara, est extrêmement compliqué. L’offensive, initiée en septembre par l’armée fédérale ENDF soutenue par des milices Amhara et, en partie, par des soldats érythréens, a été bloquée par l’armée régulière du Tigré TDF qui a désormais lancé une offensive sur trois fronts différents pour tenter de conquérir la capitale impériale historique de Gondar et la capitale régionale Bahir Dar. Des combats intenses se déroulent dans la zone avec de grandes pertes d’hommes et de matériel des deux côtés.

L’utilisation de drones de guerre par l’armée fédérale ne semble pas donner les résultats escomptés. La couverture aérienne des troupes au sol est assurée par les hélicoptères de combat Mi-35 et les avions de combat MIG-23 et Su-27. Leur potentiel disruptive est désormais limité par les systèmes de défense aérienne TDF utilisant des missiles sol-air russes V-600.
Le gouvernement fédéral a tenté d’accéder aux drones de guerre chinois CASC CH-48 Rainmpow et Wing Loong II. Bien que certaines sources indépendantes affirment que l’armée fédérale possède certains exemplaires de ces drones, aucune preuve visuelle n’a été présentée de leur utilisation sur les différents théâtres de guerre du pays. L’achat de drones de guerre turcs reste également un mystère. Les drones utilisés sont le Mohajer-6 iranien. Drone capable de mener des attaques avec des bombes planantes de précision mais d’une efficacité limitée car leur autonomie est rapportée à moins de 200 km.

Le but ultime du TPLF est d’étouffer l’économie éthiopienne et de saper la capacité des dirigeants Amhrara à gouverner afin de provoquer un changement de régime à Addis-Abeba. L’objectif du gouvernement fédéral est de vaincre le TPLF. Ces objectifs invalident toute demande de paix formulée par la communauté internationale.
L’ultimatum récemment lancé par le Président américain Joe Biden pour un véritable cessez-le-feu et l’ouverture de négociations de paix a été accueilli positivement par la direction du TPLF et rejeté en totalité par le porte-parole de la direction nationaliste Amhara : le Premier Ministre Abiy Ahmed Ali. La rhétorique anti-Tegaru et nationaliste de la direction Amhara est allée trop loin pour permettre un revirement et a considéré les « terroristes, cancer de la nation » comme des interlocuteurs politiques. Dans la culture éthiopienne, cela serait interprété comme un aveu clair de défaite militaire.

En outre, les pourparlers de paix peuvent non seulement concerner le TPLF mais doivent également impliquer l’Armée de Libération Oromo (OLA) et d’autres situations régionales compliquées qui pourraient sérieusement compromettre l’autorité du Parti de la Prospérité et le plan de domination ethnique Amhara. Le Président de la région d’Amhara : Agegnehu Teshager et le chef de la police politique : Temesgen Tiruneh sont opposés à toute négociation de paix car ils sont conscients que leur projet de domination totale passe par une victoire militaire sur le TPLF et l’OLA. Une victoire que l’on espère ramener dans la grande offensive en préparation qui devrait avoir lieu dans les premières semaines d’octobre.

Les deux T (Teshager et Tiruneh) sont convaincus que les sanctions promises par Biden en cas d’absence du cessez-le-feu ne peuvent pas produire les résultats espérés par la Maison Blanche. Une croyance erronée, surtout si ces nouvelles sanctions à l’étude par le Département du Trésor américain alérion à affecter le système financier éthiopien, l’isolant du circuit financier international.
La tactique du TPLF consistant à saigner financièrement le gouvernement fédéral fonctionne en grande partie. Après le refus de Pékin d’octroyer un nouveau prêt de 400 millions de dollars, le régime Amhara d’Addis-Abeba a demandé au Fonds Monétaire International une nouvelle ligne de crédit pour remplacer le programme de prêt arrivé à échéance, invoquant la nécessité de relance de l’économie effondrée par ls pandémie Covid-19.

La possibilité d’obtenir de nouveaux crédits ou la révision d’existants est brisée par le rapport d’analyse financière publié vendredi dernier par l’agence S&P Global (proche des Etats-Unis) qui dégrade l’Éthiopie de la note B- à la note CCC+ citant la une forte instabilité politique et des retards dans le remboursement de la dette. Une notation CCC + conduit normalement les prêteurs internationaux publics et privés à être extrêmement prudents dans leurs décisions d’octroi de prêts. « L’escalade du conflit au Tigré menace le programme de réforme économique du gouvernement, rendant les possibilités de restitution improbables. Il existe de forts risques que de nouvelles lignes de crédit soient utilisées non pas pour assainir l’économie mais pour alimenter le conflit en cours », déclare S&P Global.

Le comité des créanciers éthiopiens a tenu sa première réunion le 16 septembre à Addis-Abeba pour vérifier la restructuration des dettes dans le cadre commun du G20. La réunion, conduite par les coprésidents du comité des créanciers : la France et la Chine, semblent avoir eu des résultats différents de ceux optimistes annoncés par le Ministre éthiopien des Finances Eyob Tekalign Tolina lors d’une conférence de presse. L’assurance de solvabilité donnée par le Ministre Eyob n’aurait pas convaincu les créanciers qui pointaient du doigt les nombreux retards dans le plan de remboursement du prêt déjà accordé.

Jeudi 23 septembre, le même Ministre des Finances Eyob, se rendant compte des difficultés d’obtention de nouveaux prêts ou d’une réduction substantielle des prêts existants, a officiellement demandé la fin du conflit en cours. « Un effort collectif est nécessaire pour résoudre le conflit du Tigré, qui dure depuis près d’un an et s’est étendu aux régions voisines d’Amhara et d’Afar. Une résolution collective est nécessaire pour arrêter la guerre et rétablir la paix en Éthiopie pour mener à bien notre projet de prospérité économique », a déclaré le ministre Eyob.
Eyob est le premier ministre éthiopien en exercice à demander la paix depuis le déclenchement du conflit du Tigré en novembre de l’année dernière. L’appel à la paix du Ministre des Finances intervient à un moment où l’Éthiopie connaît des grosses difficultés économiques, en grande partie causées par le conflit en cours. Ses déclarations ont été accueillies positivement par les États-Unis et le TPLF, mais ont suscité beaucoup de colère parmi les dirigeants d’Amhara car elles n’étaient pas d’accord. Teshager, Tiruneh et Abiy n’auraient pas été préalablement informés par Eyob de ses intentions pacifistes qui risquent de perturber les plans d’anéantissement total du TPLF et du peuple Tegaru.

Alors que le Ministre Eyob a fait preuve d’une forte dose de réalisme en admettant que la seule solution à la guerre civile est politique, il a en revanche souligné le début de profondes divisions au sein de la direction Amhara. Des divisions qui reflètent un mécontentement croissant de la population Amhara profondément touchée par la guerre au sein de sa région. Seule une petite partie d’Amhara près de Teshager, Tiruneh et Abiy aurait profité des pogroms contre les entrepreneurs Tegaru, absorbant les actifs commerciaux et économiques confisqués par le gouvernement fédéral.

La majorité des Amhara subissent les conséquences dévastatrices de la guerre dans leurs régions et les graves difficultés économiques en Addis-Abeba qui créent un stress financier énorme pour les familles en réduisant drastiquement leur autosuffisance alimentaire. La perte continue de jeunes Amhara envoyés au front aussi bien dans le nord qu’en Oromia où l’OLA continue d’enregistrer d’importants succès militaires pèse également. Selon divers experts régionaux, les déclarations contre-courant du Ministre Eyob ne sont que la pointe de l’iceberg d’un vif débat au sein de la communauté Amhara, qui s’interroge de plus en plus sur le bien-fondé et l’opportunité de poursuivre cette guerre impériale absurde.

Fulvio Beltrami