Samedi 23 juillet, le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a entamé une tournée diplomatique dans certains pays africains clés, à commencer par l’Égypte. Il s’est ensuite rendu en Éthiopie, en République du Congo – Brazzaville et en Ouganda. Cette tournée s’inscrit dans le cadre d’une offensive diplomatique décidée par le Kremlin pour renforcer le plan sino-russe visant à briser les liens entre l’Afrique, les Etats-Unis et l’Union Européenne. Selon les souhaits de Moscou et de Pékin, le continent africain doit se rapprocher de leur sphère d’influence politique et économique. Tout tourne autour des ressources naturelles du continent riche en minerais de toutes sortes et regorgeant de gisements de pétrole et de gaz inexploités.
L’objectif de Moscou et de Pékin, insérés dans la guerre froide déclenchée par les États-Unis pour empêcher l’émergence de nouvelles puissances mondiales et maintenir leur domination impériale sur la planète, est de diminuer progressivement l’accès de l’Occident aux ressources naturelles africaines. Pour les Etats-Unis ce serait un coup dur à encaisser mais pas décisif pour mettre son économie à genoux. Le pays dispose de diverses ressources naturelles et peut facilement accéder à celles de son « arrière-cour » : l’Amérique Latine.
Au contraire, pour l’Europe (très pauvre en matières premières) ce serait une catastrophe. Alors que les approvisionnements énergétiques s’effondrent en raison des sanctions américaines contre la Russie, l’Union Européenne se tourne vers l’Afrique. Une diminution drastique de l’accès aux matières premières africaines signifierait l’effondrement économique du vieux continent.
A titre d’exemple, l’économie française dépend à 42% des matières premières importées de ses anciennes colonies africaines alors que l’énergie française produite par les centrales nucléaires dépend à 70% de l’uranium exporté d’une poignée de pays africains dont le principal fournisseur est le Niger. De toute évidence, toutes les matières premières africaines importées d’Europe sont soumises à des prix dérisoires fixés par l’Occident à travers l’imposition de l’économie coloniale qui a jusqu’à présent empêché un véritable développement économique en Afrique.
Avant même la tournée diplomatique, la Russie a conquis le cœur des pays africains fatigués de l’impérialisme post-colonial occidental. Presque tous les pays se sont abstenus de se joindre à l’Occident pour sanctionner la Russie, choisissant une route indépendante pour atteindre les portes du Palais d’Hiver à Moscou et les portes de la Cité Interdite à Pékin. Un choix qui ne représente pas forcément un avantage pour l’Afrique (qui devra gérer ces nouveaux et difficiles partenaires) mais qui représente automatiquement l’effondrement de la Vieille Europe.
“Nous savons que nos collègues africains n’approuvent pas les tentatives démasquées des États-Unis et de leurs satellites européens de prendre le relais et d’imposer un ordre mondial unipolaire à la communauté internationale”, a écrit Lavrov dans un article publié dans les principaux journaux africains.
Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a atterri au Caire, première étape de son voyage en Afrique. Tôt dimanche matin, Lavrov s’est entretenu avec son homologue égyptien Sameh Shukry et a ensuite rencontré le secrétaire général de la Ligue arabe Ahmed Aboul Gheit au siège du Caire où il a été reçu avec tous les honneurs.
Lavrov a rejeté les accusations de l’Occident selon lesquelles la Russie est responsable de la crise alimentaire mondiale et, en particulier, de la faim en Afrique, la qualifiant de « nouvelle tentative de rejeter la faute sur les autres ». En fait, la faim sur le continent africain causée par la guerre en Ukraine est de la pure propagande basée sur de fausses nouvelles. Le blé n’est pas un aliment de base pour la plupart des pays africains, à l’exception de l’Afrique du Nord.
Les pénuries alimentaires subies par les populations africaines trouvent leur origine dans l’économie coloniale imposée par l’Union Européenne et les États-Unis : monoculture d’exportation de cacao, café, thé, fleurs, coton et bicarbures au détriment de l’agriculture traditionnelle, accaparement des terres par les multinationales occidentales et arabes pour la production de produits agricoles destinés à l’exportation au détriment des marchés intérieurs, le changement climatique causé par la pollution industrielle occidentale et asiatique, l’imposition d’engrais destructeurs de sols vendus par les multinationales occidentales, l’imposition de produits OGM américains, et ainsi de suite.
Même pour les pays d’Afrique du Nord, il est nécessaire de vérifier attentivement les importations pour découvrir les vérités cachées par la propagande atlantiste pro-américaine grossière et primitive dont de nombreux collègues journalistes italiens sont devenus des sommités. Prenons l’Egypte. L’Ukraine représente 24 % des importations totales de blé. La population égyptienne souffre de pénuries de pain en raison des sanctions européennes contre la Russie qui empêchent Le Caire d’acheter du blé russe qui représente 61 % des importations.
Actuellement, l’Égypte peut compter sur des importations sûres pour 11,7 % des besoins nationaux en provenance de France, de Roumanie et d’Australie. Le gouvernement égyptien prévoit que ce quota d’importation restant sera nul dans quelques mois car les trois nations mentionnées réduiront drastiquement les importations pour nourrir leurs populations en raison des sanctions européennes avec un effet boomerang évident.
Les rencontres de Lavrov avec des responsables égyptiens et des émissaires arabes au Caire interviennent moins de deux semaines après le voyage du président américain Joe Biden au Moyen-Orient. Biden a rencontré les dirigeants d’Israël et de l’Autorité palestinienne avant de convoquer un sommet avec les dirigeants des pays arabes du Golfe, de l’Égypte, de la Jordanie et de l’Irak en Arabie saoudite.
L’Égypte, pays le plus peuplé du monde arabe, a refusé de prendre parti depuis le début de la guerre en Ukraine en février, car elle entretient des liens étroits avec Moscou et l’Occident. Le dictateur égyptien, le général Abdel Fattah el-Sissi a cultivé une relation personnelle étroite avec le président russe Vladimir Poutine. Les deux dirigeants ont considérablement renforcé leurs relations bilatérales ces dernières années. Moscou et Le Caire ont des intérêts communs et des alliés en Libye qui s’opposent directement à l’Union européenne, à l’Italie et à la France. En soutenant le général Khalifa Belqasim Haftar et le gouvernement de Tobrouk : LNA – Libbyan National Army, l’Egypte et la Russie visent à mettre la main sur les immenses champs pétroliers libyens, empêchant ENI, TOTAL et les multinationales anglo-américaines d’en profiter.
La visite de Lavrov au Caire a eu lieu lorsque la société d’énergie atomique russe, Rosatom, a commencé la semaine dernière la construction d’une centrale nucléaire à quatre réacteurs en Égypte. Une fois construite, ce sera la plus grande centrale nucléaire du continent.
Les relations entre l’Égypte et la Russie remontent à des décennies. Ils ont atteint de nouveaux sommets au cours des huit dernières années, et en particulier depuis l’arrivée au pouvoir du général Sissi en 2014. Sissi semble désireux de construire un partenariat solide avec Moscou pour plusieurs raisons, notamment l’équilibre des relations étrangères de l’Égypte et l’influence croissante de la Russie au Moyen-Orient. L’établissement de relations fortes avec la Russie permettrait non seulement à l’Égypte de reconstruire son poids et son image régionaux, mais contribuerait également à contrebalancer l’influence grandissante d’autres acteurs, notamment la Turquie et l’Iran qui sont souvent les antagonistes de l’Égypte.
La présence et l’influence croissantes de la Russie dans la région, de l’Iran et la Syrie à la Turquie, la Libye, l’Algérie et les pays du Golfe, font de l’Égypte un acteur clé de la région. Moscou compte sur Le Caire pour consolider son influence de grande puissance au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. En tant que plus grand pays arabe, l’Égypte peut jouer un rôle clé dans des zones de conflit comme la Libye et la Syrie. En effet, Le Caire et Moscou ont tendance à coordonner leurs positions sur ces deux conflits (tous deux créés par les États-Unis et l’OTAN) afin de réaliser leurs intérêts régionaux mutuels.
Les relations commerciales entre l’Egypte et la Russie ne sont pas négligeables. Les moyennes enregistrées sur les deux dernières années (2020 et 2021) sont impressionnantes. La Russie a exporté en moyenne 5,14 milliards de dollars vers l’Égypte. Les principaux produits russes exportés sont : les céréales, le contreplaqué, le cuivre travaillé. Au cours des 25 dernières années, les exportations de la Russie vers l’Égypte ont augmenté à un taux annualisé de 11,2 %, passant de 362 millions de dollars en 1995 à 5,14 milliards de dollars en 2020.
L’Égypte a exporté en moyenne 504 millions de dollars vers les marchés russes. Les principaux produits exportés d’Égypte vers la Russie étaient les agrumes, les pommes de terre et les oignons. Au cours des 25 dernières années, les exportations de l’Égypte vers la Russie ont augmenté à un taux annualisé de 11,7 %, passant de 31,9 millions de dollars en 1995 à 504 millions de dollars en 2020.
Un autre secteur stratégique est le tourisme. L’Égypte est l’une des destinations touristiques préférées des Russes pour passer leurs vacances. Près d’un million de touristes russes ont visité l’Égypte au cours des quatre derniers mois de 2021 après la reprise des vols vers les stations balnéaires de la mer Rouge, selon l’Agence russe du tourisme. Les touristes russes dans leur ensemble représentent 5 milliards de dollars par an pour l’Egypte, un chiffre important si l’on considère que les revenus touristiques annuels en Egypte sont en moyenne annuelle de 13 milliards de dollars. L’importance du tourisme russe a été constatée lors de l’actuel conflit ukrainien. La baisse drastique du nombre de touristes russes dans le pays des pyramides a entraîné une baisse de 40 % du taux d’occupation des hôtels dans les stations balnéaires égyptiennes de la mer Rouge.
Le secteur le plus important reste celui de la coopération militaire. L’Égypte est devenue un important importateur d’armes au Moyen-Orient. Selon le rapport 2021 du Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), les importations d’armes en provenance d’Égypte ont augmenté de 136 % entre 2011-2015 et 2016-2020. Afin de moderniser et de diversifier son arsenal d’armes, l’Égypte a élargi et renforcé ses relations militaires avec plusieurs partenaires au cours des huit dernières années.
Le général Sissi a signé plusieurs accords d’armement avec la Russie, l’Italie et Franciq dépensant environ 15 milliards de dollars entre 2014 et 2017 en achats d’armes, dont la part de la Russie représentait 60 %. En effet, la coopération militaire est un élément clé des relations croissantes entre l’Égypte et la Russie. L’Égypte et la Russie ont également organisé plusieurs exercices militaires conjoints depuis 2016 qui ont renforcé les relations militaires entre les deux pays.
Au cours de la période 2016-2020, la Russie était le principal fournisseur d’armes de l’Égypte ; en fait, ses exportations d’armes vers le Caire ont augmenté de 430 % sur la période 2011-2015. Selon les médias, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont financé les accords d’armement de l’Égypte avec la Russie, d’une valeur de 2 milliards de dollars en 2014, dans le cadre de leur soutien politique au régime de Sissi.
Les objectifs du ministre russe des Affaires étrangères lors de sa visite en Égypte sont : maintenir la domination du principal fournisseur d’armes, convaincre le général Sissi de réduire considérablement ses achats à l’Italie, à la France et aux États-Unis. Pour y parvenir, Moscou propose des prix compétitifs au point de pouvoir modéliser le système de défense égyptien sur les armuriers russes. Si cet objectif est atteint, les armes achetées par l’Occident seront difficiles à intégrer dans le système de défense nationale, créant une baisse des achats. Lavrov aurait également fait allusion à la possibilité de financer la création d’usines capables de produire des munitions et des pièces détachées pour des armes achetées à l’Italie, à la France et aux États-Unis afin d’empêcher de futurs embargos occidentaux. L’offre exclut les avions de chasse et les systèmes de défense antimissile qui sont trop sophistiqués pour être reproduits.
Le deuxième objectif est de retirer l’Égypte de la zone d’influence européenne et américaine. L’Égypte a été un partenaire régional clé des États-Unis et de l’Union européenne au cours des cinq dernières décennies, avec pour résultat que l’Égypte est devenue l’un des plus grands bénéficiaires de l’aide occidentale dans le monde, totalisant environ 2,4 milliards de dollars en ressources militaires et économiques. aide.
Cependant, depuis le soulèvement égyptien de janvier 2011, les relations bilatérales entre Le Caire, Washington et Bruxelles ont subi de nombreux revers, notamment après le coup d’État de 2013 et la résurgence de l’autoritarisme en Égypte. Le général Sissi voit dans le partenariat économique, sécuritaire et géopolitique avec la Russie un bastion valable pour contrebalancer les influences occidentales dans son pays.
Lors de sa visite au Caire, Lavrov a rapporté un autre résultat stratégique : le soutien de la Ligue Arabe, assuré après sa rencontre avec le secrétaire général de la Ligue. Au cours de la réunion, la Ligue arabe a donné à Lavrov de nombreuses garanties que les sanctions américaines et européennes ne seront pas appliquées et que les pays musulmans arabes et africains ne se rangeront pas ouvertement du côté de Washington et de Bruxelles afin de ne pas nuire aux excellentes relations avec la Russie.
Lavrov a conclu sa visite au Caire par une conférence de presse où il a souligné lL’alliance naturelle entre la Russie et l’Afrique car la Russie n’a jamais commis les crimes sanglants du colonialisme, a aidé divers pays africains dans leur lutte anti-impérialiste pour l’indépendance, s’est toujours opposée aux politiques et intrigues néocoloniales de l’Occident et, ces derniers temps et contrairement aux Aux États-Unis et à l’OTAN, elle combat sérieusement le terrorisme islamique en Centrafrique et au Mali.
Lavrov a déclaré que la Russie soutient un monde multipolaire dans lequel les pays, y compris les pays africains, résistent indépendamment à la pression occidentale. En particulier, Lavrov a indiqué que les nations africaines ne se joignent pas aux sanctions anti-russes malgré des pressions “sans précédent”. “Une telle voie indépendante mérite un profond respect”, a déclaré Lavrov.
Fulvio Beltrami