“En 2007, il y a eu la Conférence des évêques latino-américains au Brésil, à Aparecida. J’ai dans le groupe de rédacteurs du document final et une proposition est arrivée concernant l’Amazonie (…). J’ai dit :’mais quel est le rapport entre l’Amazonie et l’évangélisation?’ Ça c’était moi en 2007. Ensuite, en 2017, l’encyclique Laudato Si’ est sortie. J’ai fait un parcours de conversion, de compréhension du problème écologique. Avant je ne comprenais rien!”
C’est ce qu’a confié spontanément le Pape François à une délégation de personnalités françaises venues le rencontrer à Rome pour parler du défi écologique et de la sauvegarde de la planète. Croyants et non croyants, tous sont venus de France en train ou en bus pour échanger avec le Saint-Père sur ce thème cher au Pape, cinq ans après la publication de l’encyclique qui promeut le développement humain intégral et la protection de la Maison commune, la Création.
Avec eux, François s’est aussi souvenu de sa visite à Strasbourg, au Parlement européen lorsqu’il avait discuté, sur le trajet, Ségolène Royale, alors ministre de l’Environnement de François Hollande. “Elle m’a dit ceci : ‘c’est vrai que vous êtes en train d’écrire quelque chose sur l’écologie ? – c’est vrai! – S’il vous plait, publiez le avant la rencontre de Paris”, “pour faire pression”. La Cop21 prévue quelques mois plus tard, en décembre 2015, donnera lieu au premier Accord international pour combattre le réchauffement climatique. Après cet échange, le Pape avait alors accéléré la réflexion, entouré d’équipes de scientifiques, théologiens et philosophes, pour écrire et sortir avant l’été Laudato Si’. “De Aparecida à Laudato Si’, pour moi, ce fut un cheminement intérieur” a expliqué François, qui a appelé ce groupe de Français à “travailler pour que tout le monde fasse ce chemin de conversion écologique”.
Le Pape a aussi partagé son expérience en Amazonie, frappé par le “langage de grande intelligence et sagesse” des indigènes rencontrés. Une sagesse du “bon vivre” qu’il nous faut apprendre d’eux, c’est-à-dire, non pas du farniente, mais de vivre en harmonie avec la nature. “Cette sagesse nous l’avons perdue”, “nous avons perdu l’harmonie des trois langages: le langage de la tête: penser, le langage du coeur: ressentir, le langage des mains: faire”. Il appelle à ce que “chacun pense ce qu’il ressent et fait, ressente ce qu’il pense et fait, fasse ce qu’il ressent et pense. C’est ça l’harmonie de la sagesse”.
Le Pape a accueilli les participants à la Maison Sainte-Marthe, tels que la comédienne Juliette Binoche, le chercheur Pablo Servigne, théoricien du concept de “l’effondrement”, Laurent Landete, directeur du Collège des Bernardins à Paris, Valérie Cabanès, spécialiste de la biodiversité, le Père Gaël Giraud, jésuite et économiste, Audrey Pulvar, adjointe à la maire de Paris, Aurélien Gonthier, agriculteur ou encore Raphaël Cornu-Thenard, architecte, fondateur du mouvement Anuncio et du congrès mission, menés par Mgr Eric de Moulins Beaufort, Archevêque de Reims et Président de la Conférence des Evêques de France (CEF). Julienne Binoche, engagée dans la défense de l’environnement en France de longue date, a offert au Pape une Artemisia Annua, une plante connue pour prévenir et soigner le paludisme, première épidémie mondiale.
Outre ce témoignage improvisé, le Pape François avait prévu un discours qui a été remis au groupe en français :
Excellence,
Mesdames, Messieurs,
Je suis heureux de vous recevoir, et je vous souhaite une cordiale bienvenue à Rome. Et je vous remercie, Monseigneur de Moulins Beaufort, d’avoir pris l’initiative de cette rencontre suite aux réflexions que la Conférence des Evêques de France a menées autour de l’Encyclique Laudato si’, réflexions auxquelles ont participé nombre d’intervenants engagés pour la cause écologique. Nous faisons partie d’une unique famille humaine, appelés à vivre dans une maison commune dont nous constatons, ensemble, l’inquiétante dégradation. La crise sanitaire que traverse actuellement l’humanité nous rappelle notre fragilité. Nous comprenons à quel point nous sommes liés les uns aux autres, insérés dans un monde dont nous partageons le devenir, et que le maltraiter ne peut qu’entraîner de graves conséquences, non seulement environnementales, mais aussi sociales et humaines.
Il est heureux qu’une prise de conscience de l’urgence de la situation apparaisse désormais un peu partout, que le thème de l’écologie imprègne de plus en plus les mentalités à tous les niveaux et commence à avoir une influence sur les choix politique et économiques, même s’il reste beaucoup à faire et si nous assistons à trop de lenteurs et même de retours en arrière. Pour sa part, l’Eglise catholique veut être pleinement participante à l’engagement pour la sauvegarde de la maison commune. Elle n’a pas de solutions toutes faites à proposer et elle n’ignore pas les difficultés des enjeux techniques, économiques et politiques, ni tous efforts que cet engagement entraîne. Mais elle veut agir concrètement là où cela est possible, et elle veut surtout former les
consciences en vue de favoriser une profonde et durable conversion écologique, seule capable de répondre aux défis importants qui se présentent à nous.
Sur cette question de la conversion écologique, je voudrais vous partager la manière dont les convictions de foi offrent aux chrétiens de grandes motivations pour la protection de la nature, ainsi que des frères et des sœurs les plus fragiles, car je suis sûr que la science et la foi, qui proposent des approches différentes de la réalité, peuvent développer un dialogue intense et fécond (cf. Laudato si’, n. 62).
La Bible nous enseigne que le monde n’est pas né du chaos ou du hasard, mais d’une décision de Dieu qui l’a appelé et toujours l’appelle à l’existence, par amour. L’univers est beau et bon, sa contemplation nous permet d’entrevoir la beauté et la bonté infinies de son Auteur. Chaque
créature, même la plus éphémère, est l’objet de la tendresse du Père qui lui donne une place dans le monde. Le chrétien ne peut que respecter l’œuvre que son Père lui a confiée comme un jardin à cultiver, à protéger, à développer dans ses potentialités. Et si l’homme a le droit d’user de la nature à ses fins, il ne peut, en aucune manière, s’en croire le propriétaire ni le despote, mais seulement l’intendant qui devra rendre des comptes de sa gestion. Dans ce jardin que Dieu nous offre, les
hommes sont appelés à vivre en harmonie dans la justice, la paix et la fraternité, idéal évangélique que propose Jésus (cf. LS, n. 82). Et lorsque l’on considère la nature uniquement comme un objet de profit et d’intérêt – une vision qui consolide l’arbitraire du plus fort – alors l’harmonie est rompue et de graves inégalités, injustices et souffrances apparaissent.
Saint Jean-Paul II affirmait : « Non seulement la terre a été donnée par Dieu à l’homme, qui doit en faire usage dans le respect de l’intention primitive, bonne, dans laquelle elle a été donnée, mais l’homme, lui aussi, est donné par Dieu à lui-même et il doit donc respecter la structure naturelle et morale dont il a été doté » (Enc. Centesimus annus, n. 38). Tout est donc lié. Ce sont la même indifférence, le même égoïsme, la même cupidité, le même orgueil, la même prétention à se
croire le maître et le despote du monde, qui portent les hommes : d’un côté à détruire les espèces et piller les ressources naturelles, et, d’un autre côté, à exploiter la misère, abuser du travail des femmes et des enfants, renverser les lois de la cellule familiale, ne plus respecter le droit à la vie humaine depuis sa conception jusqu’à son achèvement naturel.
Ainsi, «si la crise écologique est l’éclosion, une manifestation extérieure d’une crise éthique, culturelle, spirituelle, nous ne pouvons pas prétendre soigner notre relation à la nature sans assainir toutes les relations fondamentales de l’être humain » (LS, n. 119). Il n’y aura donc pas de nouvelle relation avec la nature sans un être humain nouveau, et c’est en guérissant le cœur de l’homme que l’on peut espérer guérir le monde de ses désordres tant sociaux qu’environnementaux.
Chers amis, je vous renouvelle mes encouragements dans vos efforts en faveur de la sauvegarde de l’environnement. Alors que l’état de la planète peut sembler catastrophique et que certaines situations paraissent même irréversibles, nous, les chrétiens, gardons toujours l’espérance, car nous avons le regard tourné vers Jésus-Christ. Il est Dieu, le Créateur en personne, venu visiter sa création et habiter parmi nous (cf. LS nn. 96-100), afin de nous guérir, nous faire retrouver
l’harmonie que nous avons perdue, harmonie avec nos frères, harmonie avec la nature. « Il ne nous abandonne pas, il ne nous laisse pas seuls, parce qu’il s’est définitivement uni à notre terre, et son amour nous porte toujours à trouver de nouveaux chemins » (LS, n. 245).
Je demande à Dieu de vous bénir, et s’il vous plait, je vous demande de prier pour moi.