Samedi 25 juin, la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO) a annoncé que le Pape François enverra le 3 juillet à Kinshasa le Cardinal Pietro Parolin, Secrétaire d’État du Vatican. “Après avoir annoncé qu’il (le Pape, ndlr) célébrera une messe le 3 juillet dans la Basilique Saint-Pierre avec la communauté congolaise de Rome, le Saint-Père a décidé d’envoyer à Son Eminence le Cardinal Pietro Parolin, Secrétaire d’Etat de la Ville de Vatican, Kinshasa, pour prier avec nous le même dimanche 3 juillet 2022 », rapporte la note officielle de la CENCO remise aux médias congolais.
Pendant ce temps, en RDC, le président de la CENCO, Monseigneur Utembi Marcel, a demandé à tous les diocèses du pays d’organiser une messe pour la paix et la réconciliation en marge de la visite du Cardinal Parolin. L’émissaire du Pape priera dans la paroisse de Sant’Alfonso dans la municipalité de Matete, dans la capitale congolaise.
La CENCO et le Nonce Apostolique à Kinshasa n’ont pas révélé le mandat du Cardinal Parolin, mais il est facile de comprendre que le Secrétaire d’État du Vatican ne se rendra pas dans le lointain pays africain uniquement pour assister à la célébration de la messe.
Le Pape François devait visiter le pays entre le 2 et le 5 juillet avant de se rendre au Soudan du Sud. La visite a été reportée pour des raisons de santé, du moins c’est la version officielle. Pourtant, la décision est intervenue lors de l’escalade de la violence ethnique contre la minorité tutsi dans la capitale Kinshasa et à Goma, la capitale de la province du Nord-Kivu, à l’est du pays.
Des généraux de l’armée congolaise, des hommes politiques et les secteurs les plus extrémistes de la société civile ont laissé croire que la reprise des hostilités entre le mouvement politique militaire congolais du 23 Mars – M23 et l’armée est l’œuvre du Rwanda. Une accusation qui ne repose sur aucune preuve mais qui a déclenché la folie meurtrière à Kinshasa, Goma, et dans les provinces du Maniema et du Katanga où près de 100 Congolais d’origine tutsie et une dizaine de citoyens rwandais ont été tués.
Il est difficile de savoir si l’échec de François à se rendre au Congo a été motivé par des raisons de santé ou s’il est en quelque sorte lié aux nouvelles tensions entre le Congo et le Rwanda. Il était certainement très sage de ne pas aller au Congo. Dans cette situation de haine ethnique, le Pape aussi aurait été enrôlé dans une cause militante. Ces jours-ci, en effet, de plus en plus de nouvelles arrivent du Congo sur les chasses à l’homme contre les Rwandais. Cette composante de la population congolaise est accusée de soutenir la rébellion du Mouvement du 23 mars (M23), que le gouvernement considère comme un groupe terroriste et derrière lequel le Rwanda agirait par procuration.
Tous les régimes qui se sont succédé au pouvoir en RDC ont périodiquement utilisé le tribalisme et la xénophobie comme armes de division et de contrôle des populations dans une logique ultra-nationaliste. Ces politiques sont la cause principale de la crise et en même temps l’élément de diversion qui cache les autres causes : la prédation des ressources naturelles et du budget de l’État et les massacres périodiques de civils, dont ces derniers sont le corollaire.
Malheureusement, le président Felix Thisekedi s’est lui aussi plié à cette politique de haine, peut-être pour des raisons purement électorales. La prochaine élection présidentielle aura lieu dans un an. Pourtant, depuis près de deux ans, Thisekedi est en phase avec le projet politique du pape François de réconciliation entre les peuples et d’union de la région des Grands Lacs.
L’entrée dans la Communauté de l’Afrique de l’Est et la tentative de nettoyer l’est du pays des gangs armés et des groupes terroristes avaient renforcé le projet politique de paix régionale. En moins d’un an après la proclamation de l’état d’urgence dans l’Est, Thisekedi a été « mis au pas » par ces forces politiques et militaires congolaises hyper corrompues auxquelles se sont ralliés de nombreux secteurs laïcs de la société civile.
Mais l’Eglise catholique peut-elle jouer un rôle pour aider la RDC à sortir de ce gouffre ? C’est la question que nous avons récemment posée à un dirigeant congolais interviewé.
“S’agissant de la haine ethnique, les dirigeants de l’Église sont malheureusement incapables de proposer un discours qui va à l’encontre de la pensée actuelle. En fait, tout le monde parle la même langue, et aider à vaincre la méfiance serait le propre de l’Église, à mon avis elle devrait aussi aider en se substituant à l’État, comme elle aide dans les services publics. Au lieu de cela, tout comme cela se passe en Ukraine, où les chefs religieux chrétiens qui incitent au nationalisme ne manquent pas, il en va de même au Congo, où trop souvent les chefs religieux invitent les gens à répondre par la haine à la haine, oubliant que même si nous sommes d’origines différentes groupes ethniques, nous sommes tous congolais».
Cela devrait être précisément la tâche de Son Eminence le Cardinal et Pietro Parolin : proposer un discours qui va dans le sens inverse de la folie collective qui se nourrit de la haine et du désir de déclencher une guerre (contre le Rwanda) qui non seulement serait perdue avant de commencer mais qui créerait bien pire chagrin et destruction que ceux que nous voyons en Ukraine. Nous ne pouvons pas parler parce que (et à juste titre) la diplomatie de paix du Vatican est silencieuse, dépourvue de proclamations, de la rhétorique et de la propagande. Pourtant, la visite du Cardinal Parolin et la sagesse dont a toujours fait preuve le Saint-Père face aux plus horribles drames du monde sont de bon augure. L’amour que François porte au Congo aidera sûrement ce pays à se sauver de lui-même.
Fulvio Beltrami