République Centrafricaine. ТУРИСТ (Touriste). La guerre civile du point de vue de la Russie (F. Beltrami)

Depuis 2001, la République Centrafricaine a été dévastée par une série de guerres civiles pour le pouvoir absolu dans ce pays d’importance stratégique pour l’industrie minière du diamant. Tout commence lorsque le Général François Bozizé entame son aventure militaire pour renverser le Président Ange-Félix Patassé. Arrivé au pouvoir en 2003 grâce également à l’aide de mercenaires du Congo et du Tchad voisins en coordination avec les soldats français, Bozizé est à son tour évincé par Michel Djotodia, chef du mouvement rebelle musulman Séléka en mars 2013.

Une longue saison de guerre civile pour contrôle des mines de diamants et déguisé en guerre de religion (Islam VS Catholicisme). Des milices « chrétiennes » appelées Anti-Balaka se forment pour s’opposer aux milices « islamiques ». Une tension purement idéologique tant les deux communautés religieuses ont toujours vécu paisiblement ensemble.

La poursuite de la seconde guerre civile conduit à une situation pré-génocide qui oblige la France à envoyer un contingent militaire avec l’aval de l’ONU dans le but déclaré de désamorcer le conflit et de protéger les civils. Les Français ont réussi à limoger Djotodia en janvier 2014. Un Président par intérim a été élu : Alexandre Ferdinand N’Guendet et le 23 janvier 2014, Catherine Samba-Panza a été nommée Présidente. Son mandat durera jusqu’en mars 2016, date à laquelle Faustin-Archange Touadèra sera à son tour nommé Président à l’issue des élections. Le mandat de Samba-Panza est parsemé d’une augmentation incontrôlable de la corruption et du pillage des ressources nationales.

Malgré les élections, même l’actuel Président Touadèra ne parviendra pas à stabiliser le pays qui est toujours en proie aux affrontements entre la Séléka, les Anti-Baraka et d’autres milices mineures qui se sont créées dans le chaos politico-militaire persistant.
Pour tenter de prendre le contrôle de l’ensemble du territoire national et des mines de diamants, Touadèra demande de l’aide à la Russie en 2019 pour vaincre les rebelles d’une nouvelle et puissante organisation armée : la Coalition des Patriotes pour le Changement – CPC.

Moscou enverra un contingent d’instructeurs militaires en soutien à l’armée régulière. Dans le même temps, il conclura des accords avec des sociétés mercenaires russes qui seront utilisées directement sur le front. Selon la presse russe, les mercenaires sont financés par l’oligarque Yevgeny Prigojine, prétendument du buis de la société de mercenaires Wagner.
Touriste retrace les événements de décembre 2019, lorsque la rébellion du PCC a menacé de s’emparer de la capitale Bangui, juste avant l’élection présidentielle. Sur leur chemin, ces rebelles rencontreront la présence de forces russes entrantes en renfort. Le film met en lumière l’incapacité du contingent des Casques bleus de la MINUSCA à protéger les civils, la faiblesse de l’armée nationale et les complots de la France soutenant (dans le film) les rebelles sanguinaires et génocidaires.
Les médias français ont accueilli Touriste avec une avalanche de critiques féroces. Selon eux, le film est dicté par la propagande du Président Poutine et vise à louer l’intervention russe en République Centrafricaine. Le monde académique français se mobilise également contre le film.

“L’intrigue suit l’actualité mais la présentation des événements est très sélective et partiale, dans le but de faire de la figure du mercenaire russe un héros”, explique le chercheur Maxime Audinet sur Radio France Internationale, auteur d’une thèse sur l’influence russe en Afrique.

Les critiques, d’origine politique manifeste, s’inscrivent dans la guerre froide entre la France et la Russie combattue non seulement pour le contrôle de la production de diamants en République Centrafricaine mais aussi dans d’autres pays comme la Libye, le Burundi et maintenant l’Éthiopie. Depuis 2016, nous assistons au retour de la Russie en Afrique, explicité sans équivoque lors du premier sommet Russie-Afrique tenu à Sotchi en 2019. Le Président Poutine entend se présenter aux gouvernements africains comme un partenaire fiable agissant avec pragmatisme pour protéger les intérêts communs contre l’ex- puissances coloniales de l’Occident.

Le film n’a pas été épargné par les critiques de l’opposition russe, qui émet l’hypothèse qu’il a été financé par l’oligarque Evgueni Prigojine pour redorer son image, assombrie par les atrocités qui lui sont imputées sur différents théâtres d’opération en Centrafrique et en Syrie. Le chercheur Mark Galeotti, dans les colonnes du Moscow Times, se demande s’il ne s’agit pas plutôt d’une sorte de campagne de recrutement déguisée du groupe Wagner à destination du public russe.
Place St Pierre propose la vision du film, se dissociant de toute lecture politique afin de laisser le jugement final au public.

Fulvio Beltrami