Algérie-France: que s’est-il passé le 17 octobre 1961? (Jalel Lahbib)

L’histoire douloureuse de la colonisation française de l’Algérie est passée par plusieurs étapes. Depuis 1830, divers événements ont marqué la mémoire commune des Algériens et des Français. Des insurrections à la guerre de libération, cette histoire est surtout marquée par une répression féroce et des crimes odieux commis par la France pour maintenir sa domination coloniale en Afrique après la défaite en Indochine, l’actuel Vietnam.

Cependant, les atrocités et crimes français trouvèrent leur apothéose macabre dans un événement important qui se déroula sur le territoire français le 17 octobre 1961 à l’occasion de la manifestation organisée, en pleine guerre d’Algérie, par le Front de Libération Nationale (FNL) pour manifestation contre le couvre-feu imposé le 3 octobre par le préfet de police, Maurice Papon, aux “musulmans français”.

Les Algériens étaient venus manifester pacifiquement à Paris. Ils ont été mitraillés et jetés dans la Seine. Le 17 octobre 1961, une manifestation organisée à l’invitation du FLN à Paris est farouchement réprimée par la police. Le bilan sanglant est sans précédent : 300 morts algériens, 1 200 blessés et 12000 arrêtés. Au lendemain des violences, les autorités parisiennes parlaient de 38 morts et blessés. Une information tellement fausse et surréaliste qu’il a été prononcé par le préfet de police Maurice Papon avec peine pour ne pas éclater d’un fou rire de dénigrement.

Il faut dire que cet événement, qui est resté de façon indélébile et permanente dans la mémoire de tous les Arabes et des Français, a été bref par rapport à l’histoire de la lutte du peuple algérien pour sa liberté. Ce n’était qu’un jour. Pourtant, ce jour-là, cette horreur, ces massacres étaient préparés d’avance, rendant impossible tout dialogue et anéantissant tout faible espoir de paix entre la France et l’Algérie. Les événements du 17 octobre 1961 ont révélé aux citoyens français la politique nazie de leur gouvernement envers la colonie nord-africaine dans toute son horreur et sa brutalité.

A partir de ce jour, plus aucun Français ne pourra dire “je ne savais pas”. Le 17 octobre 1961 fut la défaite du criminel De Gaulle et la victoire des frères algériens qui reçurent le soutien de tous les Français qui se considéraient comme des civils et des démocrates (c’est-à-dire la majorité), et de tous les Français qui avaient combattu dans leur patrie les forces d’occupation nazies et fascistes de l’Allemagne et de l’Italie 18 ans plus tôt.

Le 17 octobre 1961, des Algériens ont été abattus comme des chiens errants pour arrêter leur manifestation pacifique. Ce jour-là s’exprima surtout le triomphe de la violence du général criminel qui se vantait d’avoir combattu les nazis mais usait de leurs méthodes de répression brutale en Algérie pour sauver son empire pourri déjà vaincu par les frères vietnamiens.

De nombreux frères algériens sont morts sous les coups de mitrailleuses de la police, d’autres après leur arrestation en raison des tortures infligées. Des dizaines d’autres ont été jetés vivants dans la Seine attachés à de lourdes chaînes et à des rochers pour les noyer. Beaucoup sont morts asphyxiés après avoir été jetés au sol et recouverts de tas de corps. Ces violences ont eu lieu à Paris, en ville et en banlieue où les rassemblements se sont dispersés.

Dans tous les points de Paris des coups de feu sont tirés : au Pont de Neuilly, sur la place de l’Étoile et dans les villages de la banlieue ouest (Asnières, Argenteuil, Bezons, Nanterre, etc.) ; sur le boulevard Saint-Michel et dans tout le Quartier Latin, où l’incendie est si intense que le lendemain une enquête est ouverte ; de l’Opéra à la République, sur tous les Grands Boulevards où des rafales de mitrailleuses lourdes ont été tirées à plusieurs reprises.

Ces violences « par la police ont duré plusieurs heures. Les premières brutalités ont eu lieu à 18 heures dans le quartier de l’Opéra où les Algériens arrivant en métro ont été interpellés. Les violences ont atteint un premier pic vers 21 heures lorsque, au pont de Neuilly et sur les grandes avenues, des agents ont ouvert le feu. Deux heures plus tard, d’autres gardes ont continué à tirer dans les rues des 5e et 6e arrondissements. A ce moment, cependant, la violence s’était déplacée vers les principaux centres d’internement et vers la cour de la préfecture de police, où étaient regroupées plusieurs centaines d’Algériens arrêtés.

De multiples témoins, tant de la police que des Algériens, ont insisté sur le fait que les exactions n’ont pas cessé après les arrestations, mais que la plupart des brutalités ont été commises «à froid», selon la terminologie habituellement utilisée par la police pour justifier les coups : en plus aux passages à tabac et autres abus perpétrés sur les personnes arrêtées.

L’organisation des défilés nocturnes à Paris a été décidée par la fédération française du FLN. Les Algériens s’étaient prononcés en faveur du droit à l’indépendance de l’Algérie et contre un couvre-feu « vexatoire et discriminatoire » imposé aux travailleurs algériens, puis à tous les Nord-Africains. Le FLN a choisi après 6 ans de lutte armée de faire une démonstration de force au cœur de la métropole française. Avant tout, il voulait forcer les Français à voir par eux-mêmes la lutte d’un peuple pour sa libération.

La manifestation du 17 octobre visait également à démontrer la dignité algérienne. Et de la hiérarchie de la Fédération française du FLN aux militants de base des bidonvilles de l’Isière de Paris, nous avions passé la consigne : pas d’armes, pas de couteaux, pas même un caillou. L’événement était sous la bannière de la NON-VIOLENCE.

D’autre part, les fascistes du Criminel De Gaulle et ceux de l’Algérie française, menés par le préfet de police Maurice Papon ont décidé de réprimer les Algériens dans le sang. Ils voulaient envoyer un message tant aux séparatistes algériens qu’aux Français (surtout les militants communistes et socialistes) qui voulaient une solution négociée à la guerre d’Algérie. Le préfet et ses tueurs n’ont donc pas lésiné sur les moyens de tuer le plus de “chiens musulmans” possible.

“A Paris, il y a 61 ans, la répression d’une manifestation des séparatistes algériens avait fait des centaines de blessés et des dizaines de morts. Des crimes impardonnables pour la République. La France n’oublie pas les victimes. La vérité est le seul chemin vers un avenir partagé”, a tweeté le 17 octobre 2022 le président français Emmanuel Macron, qui a reconnu que la répression était brutale, violente et sanglante.

Ce n’est pas assez pour nous les Arabes. Trop facile de s’excuser 61 ans plus tard, alors que la majorité des responsables sont morts sans payer pour les crimes qu’ils ont commis. De nombreuses familles algériennes n’ont jamais retrouvé les restes de leurs proches disparus cette nuit-là. Pas d’excuses officielles entre Etat et Etat, que des déclarations à la presse qui n’ont aucune valeur pour nous et nos frères algériens car la France ne veut pas reconnaître le crime contre l’humanité commis et ne veut pas être jugée pour cela.

La France de Macron a adopté la même attitude d’excuses irréprochables pour les martyrs du 17 octobre 1961 que pour les crimes commis en Indochine et le génocide au Rwanda en 1994. De nombreux autres crimes commis en Afrique, dont la destruction du peuple libyen, ils ne sont même pas reconnus. Pour Macron et le gouvernement français, ce sont des crimes qui n’ont jamais existé car le pouvoir français est emprisonné depuis plus d’un demi-siècle dans une dépression nerveuse de déni permanent de son histoire honteuse en Afrique.

Cependant, historiens, observateurs et organisations de défense des droits de l’homme s’accordent tous à dire que le 17 octobre était un crime d’État resté impuni à ce jour.

Nous, Arabes de France et d’Afrique, ne voulons pas de vengeance. Nous voulons la justice même posthume. Une justice qui contribuera à renforcer la société française multiethnique et à éviter que des frères ne se sentent rejetés et ne deviennent des terroristes.

C’est pourquoi nous n’oublions pas les noms des frères algériens tués il y a 61 ans mais nous nous souvenons d’eux un par un.

Abadou Abdelkader, Abadou Lakhdar, Abbas Ahmed, Achermanne Lamara, Adrard Salah, Ait Larbi Larbi, Akkache Amar, Alhafnaoussi Mohamed, Acharab Balaid, Barache Rabah, Bedar Fatima, Bekekra Adellghani, Belkacemi Achour, Benacer Mouche, Boennahadhar, Bouchrit Abdallah, Boussouf Achour , Chabouki Kassa, Chamboul Abdelkader, Chaouch Raba, Chemloul Amrane, Chevalier Guy, Dakar Ali, Dalouche Ahmed, Daoui Si Mokrane, Derouag Abdelkader, Deroues Abdelkader, Djebali Mohamed, Doujane Ohamedual, Doujane Salahuali, Gargouri Abdelkader, Garna Brahim, Guenab Ali, Guerrai Ali, Habouche Belaïd, Haguam Mohamed, Hamidi Mohand, Hamoude Mallak, Houbab Lakdhar, Kara Brahim, Kelih, Kouidji Mohamed, Lamare Achemoune, Lamri Dahmane, Laroussi Sounès Mohamed Loucif Lakhdar, Mallek Amar, Mamidi Mohand, Mehdaze Cheriff, Marakeb Mohamed, Merraouche Moussa, Messadi Saïd, Meziane Akli, Meziane Mohamed, Ouiche Mohamed, Saadadi Tahar, Saldani S aïd, Slimani Amar, Smail Ahmed, Tarchouni Abdelkader, Teldjoun Aïssa, Telemsani Guendouz, Theldjoun Ahmed, Yahlaoui Akli, Yahlaoui Larbi, Zebir Mohamed, Zeboudj Mohamed, Zeman Rabah.

Ce sont les victimes identifiées. Les autres sont restés sans nom et sans sépulture. Nourriture pour chiens et poissons.

Ce sont les noms des frères algériens que nous appelons fièrement “martyrs” car ils ont donné leur vie pour que la France et l’Algérie d’aujourd’hui soient des pays meilleurs où nous, vous, notre votre familles, notre votre enfants prouvent vivre sans connaître l’horreur et la violence d’un régime colonial fasciste et racial.

Jalel Lahbib