Burundi : des journalistes condamnés à la réclusion à perpétuité (F. Beltrami)

Après la condamnation de 34 dirigeants de l’opposition à la réclusion à perpétuité accusés de haute trahison et d’activités subversives visant à déstabiliser le pays, la nouvelle arrive que 12 citoyens éminents, militants des droits de l’homme, membres de la société civile et journalistes ont également été condamnés à la réclusion à perpétuité. La nouvelle a été rapportée par l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’homme, un partenariat de l’OMCT (Organisation mondiale contre la torture) et de la FIDH (Fédération internationale des droits de l’homme).

Les condamnations font suite à une série de procès secrets menés par la Cour de Cassation en avril 2020. Comme ce fut le cas pour les 34 opposants politiques, les 12 dernières victimes illustres étaient également en exil depuis 2016 et ont subi un procès et une condamnation par contumace sans même être avisé et sans avoir la possibilité d’engager un avocat de la défense. Lorsque les condamnations, qui ont eu lieu le 23 juin 2020, ont été déposées et ont ordonné leur exécution (le 2 février dernier), les avocats de la défense désignés à titre posthume par les victimes n’ont pas pu obtenir une copie des condamnations, ce qui a rendu la contestation difficile. Les victimes ont appris les condamnations à perpétuité grâce aux réseaux sociaux. Les procédures judiciaires des procès ne sont pas non plus disponibles. Certains observateurs régionaux supposent que ces procès n’ont jamais eu lieu et que la condamnation à perpétuité est antidatée et liée à une récente décision de la junte militaire d’annihiler définitivement l’opposition burundaise.
Voici les victimes. Armel Niyongere, président de l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT-Burundi), secrétaire général de l’organisation SOS-Torture / Burundi et membre de l’Assemblée générale de l’OMC; Vital Nshimirimana, délégué général du Forum pour le renforcement de la société civile (FORSC) et président du Réseau des citoyens responsables (RCP); Pacifique Nininahazwe, président du Forum pour la conscience et le développement (FOCODE); Mme Marguerite Barankitse (dite Maggy), présidente et fondatrice de la Maison Shalom; Innocent Muhozi, président de l’Observatoire de la presse du Burundi (OPB) et directeur de Radio-Télévision Renaissance; Dieudonné Bashirahishize, président du Collectif des avocats pour la défense des victimes des crimes de droit international commis au Burundi (CAVIB); Patrick Nduwimana, journaliste de Radio Voice of America (VOA) et ancien directeur de Radio Bonesha; Bob Rugurika, directeur de la radio publique africaine (RPA); Patrick Mitabaro, journaliste de Radio Inzamba et ancien rédacteur en chef de Radio Isanganiro; Mme Anne Niyuhire, journaliste de Radio Inzamba et ancienne directrice de Radio Isanganiro; Arcade Havyarimana, journaliste de Radio Umurisho et ancien journaliste de Radio Isanganiro; Gilbert Niyonkuru, ancien reporter de la RPA.
Les douze victimes sont accablées d’accusations similaires à celles lancées au niveau international contre les plus dangereux chefs terroristes.

Insurrection armée et organisation d’un coup d’État (mai 2015). Participation directe à des attaques militaires dont le but était de changer le régime démocratique et constitutionnel et d’encourager les citoyens à s’armer et à se rebeller contre les autorités de l’État. Meurtre de civils, de soldats et de policiers. Destruction partielle ou totale des bâtiments publics.
Quelles sont les raisons qui ont conduit la junte militaire à faire cette farce judiciaire contre les représentants de la société civile et des médias qui devraient plutôt être les interlocuteurs du processus de réconciliation nationale et de réformes démocratiques demandé par l’Union Européenne et déclaré à haute voix par le régime?

Selon des sources diplomatiques, les raisons sont très faibles. Le premier est lié aux spéculations financières. Le régime est dans une situation financière désespérée (en raison des sanctions de l’UE). Les condamnations ont été exécutées dans le but d’acquérir les biens et les finances des victimes et de les répartir ensuite entre les hiérarchies de la junte. En fait, en plus de la réclusion à perpétuité, la Cour a autorisé la saisie de biens, de terres, de bétail et de comptes bancaires. Les expropriations ont été faites à une vitesse supersonique. La deuxième raison serait ethnique. La majorité des victimes sont des Tutsis.
On estime que les expropriations ont “rapporté” à la junte militaire environ 200.000 euros. Une somme insignifiante en temps normal mais très importante pour le groupe mafieux qui contrôle actuellement le pays avec la violence, les armes et le terreur. Tous les moyens justifient les fins pour augmenter la fortune personnelle de ces généraux. C’est la nouvelle d’une semaine que l’administration fiscale burundaise a souffert en 2020 (au plein milieu de la pandémie de Covid19) d’une utilisation illicite de 40 milliards de francs burundais (environ 170.000 euros) provenant de taxes collectées dans 10 communes burundaises. Les 40 milliards disparus ont été signalés par les autorités fiscales lundi 15 février. Une plainte qui restera sans conséquences vu que les auteurs du crime financier résident parmi la plupart des Hautes cadres de l’État et des forces armées.
Le fait de porter des accusations égales à celles habituellement utilisées contre des terroristes islamiques internationaux résulte très grotesque, surtout par rapport à la réputation internationale dont jouissent les 12 victimes pour leur engagement en faveur de la liberté de la presse et de la défense de la démocratie et des droits de l’homme. Prenons le cas de Marguerite Barankitse connue sous le nom de Maggy ou l’Ange du Burundi, accusée d’avoir tué personnellement des soldats et policiers burundais.

Maggy, née en 1957 à Ruyigi, est une militante humanitaire burundaise qui se consacre à l’amélioration du bien-être des enfants et à la lutte contre la discrimination ethnique. Après avoir sauvé 25 enfants d’un massacre dont elle a été témoin lors des tragiques conflits entre Hutu et Tutsi au Burundi en 1993, Marguerite Barankitse a décidé de créer la Maison Shalom, un refuge pour aider les enfants dans le besoin et leur donner accès aux soins de santé et à l’éducation.
En 22 ans, la Maison Shalom est devenue un vaste complexe d’écoles, d’hôpitaux et d’un réseau de santé dans le but d’améliorer la vie des enfants au Burundi grâce à un développement intégré et durable visant à instaurer une paix durable dans son pays. En 2015, “Maggy” a été contrainte de quitter son pays et tout ce pour quoi elle avait travaillé après la plongée du Burundi dans une crise politique. Elle avait osé critiquer a niveau international les crimes commis par le régime pour réprimer les manifestations populaires contre la décision du chef de guerre Pierre Nkurunziza d’accéder à un troisième mandat présidentiel en nette contradiction avec la Costitution. Les propriétés de la Maison Shalom ont été immédiatement confisquées.
Maggy a été sauvée d’une exécution extrajudiciaire préméditée car elle s’est enfuie en Europe avant l’arrivée des tueurs, probablement informée par des cadres modérés du CNDD-FDD. Maggy pendant son exil a été une figure de proue dans la dénonciation des crimes contre l’humanité commis d’abord par le régime de Nkurunziza et maintenant par la junte militaire du général Neva (alias Évariste Ndayishimiye) et du maréchal général Alain-Guillaume Bunyoni.

Ceux qui connaissent Maggy (d’ethnie tutsie) ne peuvent que remarquer un caractère fort, presque autoritaire, associé à une foi très forte dans la religion catholique et à un engagement social sans précédent. Examinons-nous les activités humanitaires de la Maison Shalom (Maison de la Paix). En 1993, au milieu des massacres ethniques consécutifs à l’assassinat du président hutu Melchiorre Ndadaye, avec l’aide de philanthropes européens, Maggy a organisé un réseau de secours pour sauver de mortes certaines les enfants hutus et tutsis victimes de la violence ethnique. En mai 1994, l’évêque de l’Église catholique de Ruyigi a mise à disposition une école transformée en refuge pour enfants appelé «Maison Shalom». Ce nom vient d’une chanson religieuse de l’Ancien Testament. Avec l’augmentation des fonds disponibles, Maggy a ensuite ouvert d’autres centres pour enfants: “Oasis of Peace” à Gisuru et “Casa della Pace” à Butezi. Maggy a mobilisé des mécènes internationaux, et même l’armée belge, pour construire un hôpital avec un dispensaire, des centres de conseil, une salle d’opération, des pavillons pour les convalescents.
L’établissement n’est pas réservé uniquement aux orphelins mais est ouvert à tous. Maggy ne s’est jamais mariée, préférant prononcer les vœux de chasteté. Il a adopté une jeune fille de 16 ans sauvée d’une mort certaine lors des violences ethniques de 1993. Chloé (le nom de l’adolescente) a obtenu son diplôme de médecine en Italie et a travaillé à l’hôpital Maison Shalom. Maintenant, elle aussi est forcée de s’exiler. De 1993 à 2014, environ 20 000 enfants ont bénéficié de son assistance directement ou indirectement de l’aide humanitaire de l’Ange du Burundi.
Les activités de la Maison Shalom maintenant se poursuivent au Rwanda en offrant aide humanitaire aux enfants réfugiés burundais et aux enfants rwandais issus de familles pauvres. Maggy a soumis des arguments valables au président rwandais Paul Kagame pour continuer à accueillir les réfugiés burundais et ne pas permettre leur retour car les conditions du respect des droits humains ne sont pas encore réunies au Burundi. Maggy, une fervente catholique, a rencontré le Pape François à deux reprises: en 2015 et 2019. Le Saint-Père a reconnu le rôle positif de l’Ange à faveur de son pays, le Burundi et pour toute l’humanité. Un rôle exercé dans le silence, avec modestie et un esprit évangélique sans pareil.
Parmi les nombreux prix et distinctions internationaux reçus par Maggy figurent: le Prix des droits de l’homme, décerné par le gouvernement français dans le cadre des célébrations du 50e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme (1998). Prix ​​Nord-Sud du Conseil de l’Europe avec l’ancien président du Portugal Mário Soares (2000). Prix ​​mondial de l’enfance de la reine Silvia de Suède (2003). Laura honoris causa à l’Université catholique de Lovain (2004). Four Freedom Award décerné par le Franklin Eleanor Roosevelt Institute avec Koffy Annan, ancien Secrétaire des Nations Unies pour la protection des droits de l’enfant (2004).

Reconnaissance Nansen pour les réfugiés par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés UNHCR (2005). Laura Honoris Causa à l’Université catholique de Lille (2011). Prix ​​Aurora pour l’éveil de l’humanité, attribué au nom des survivants du génocide arménien directement par George Clooney (2016)
À la suite de ce impressionnant bilan humanitaire, à quel point peuvent-ils être crédibles les accusations de meurtre de soldats et de policiers, de participation active au soulèvement armé et au coup d’État de mai 2015, de destruction partielle et totale des bâtiments publics?
<< L'Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l'homme dénonce fermement la condamnation par contumace des douze défenseurs susmentionnés, qui vise uniquement à sanctionner leurs activités pacifiques et légitimes de défense des droits de l'homme, y compris le dépôt de plaintes au nom des victimes de la répression du 2015 devant la Cour Pénale Internationale (CPI), et les appelles aux autorités burundaises à mettre un terme à tout acte de harcèlement, y compris au niveau judiciaire, à leur encontre et contre tous les défenseurs des droits humains au Burundi "déclare l'association sur son site internet . La condamnation par contumace de ces défenseurs humains, associée aux condamnations antérieures de 34 opposants politiques et à la reprise du recensement ethnique compromettent sérieusement la possibilité d'une reprise du dialogue entre le Burundi et l'Union Européenne et la possibilité de lever les sanctions instaurées en 2016. Parmi les conditions de la reprise des relations et de la coopération économique figurent le retour des membres de la société civile, des partis d'opposition et des journalistes en exil qui doivent bénéficier de la protection de l'État et du droit à la liberté d'action et d'expression. De toute évidence, le régime est trop sûr de lui et il vraiment est convaincu qu’il peut se moquer des institutions démocratiques européennes, tout promettent des réformes démocratiques et exacerbèrent la féroce dictature dans la réalité. Fulvio Beltrami