Dans les semaines à venir, l’Union Européenne décidera du maintien ou de l’annulation des sanctions contre la junte militaire burundaise décidées en 2016 suite aux nombreuses et graves violations des droits humains et crimes contre l’humanité commis contre la population qui s’était rebellée au avril 2015 contre le régime HutuPower du CNDD-FDD dirigé par le dictateur Pierre Nkurunziza.
Depuis août 2020, un puissant lobby européen pro-régime à Gitega tente d’influencer Bruxelles en faisant apparaître le chef de la junte militaire : le Général Neva (alias Évariste Ndayishimiye) en réformateur par rapport au dictateur Pierre Nkurunziza, mort de complications de Covid19 en juin 2020. Le Général Neva est monté illégalement à la Présidence après avoir truqué les élections de mai 2020 et volé la victoire à l’opposant Aghaton Rwasa.
Ce lobby veut faire croire qu’au Burundi le régime a entamé une « nouvelle politique » basée sur l’ouverture progressive à la démocratie et une nette amélioration des droits humains. En soutien à ce lobby, il y a le Représentant de la Délégation de l’Union Européenne au Burundi : Claude Bochu, qui ne cache pas sur les réseaux sociaux son empathie envers le régime.
Les enjeux sont élevés. Sans fonds européens, la junte militaire s’effondrerait économiquement. Cet argent est vital pour sa survie. Les récents actes de terrorisme perpétrés par des factions opposées au sein du CNDD-FDD sont l’exemple le plus clair d’une guerre profonde au sein du régime qui risque de le désintégrer. Seul l’argent de l’Union Européenne peut restaurer l’unité du parti car tous les hiérarques recevront leur juste part du gâteau, y compris le Général Neva et le Maréchal Général Buonyoni.
Depuis 2005 (année de l’arrivée au pouvoir du CNDD-FDD) tous les fonds versés par la communauté internationale pour l’aide humanitaire et le soutien aux institutions ont été systématiquement volés. Les comptes bancaires, ouverts dans des paradis fiscaux sûrs et discrets, regorgent d’argent occidental destiné à l’origine à améliorer les conditions de vie de la population.
La présentation rose d’un Burundi qui abandonne progressivement le système dictatorial et les massacres d’État est ouvertement rejetée par les militants des droits humains et la société civile burundaise toujours contrainte de rester en exil.
De nombreux représentants de la société civile, dont Madame Maggie Marguerite Barankitse (une fervente catholique connue pour son engagement en faveur des enfants burundais) ont été condamnés par contumace à la réclusion à perpétuité par le Président « démocrate » Ndayishimiye lors d’un simulacre de procès tenu contre eux à leur insu, sans leur offrir la possibilité de se défendre.
Les accusations sont aussi simples qu’irréelles : terrorisme et actions subversives visant à déstabiliser le pays. Des accusations visant à empêcher le dialogue entre la junte militaire et la société civile, une des conditions requises par l’Union Européenne pour revoir les sanctions de 2016.
Ces derniers mois, il y a eu une escalade des exécutions extrajudiciaires menées par la police politique et les milices paramilitaires Imbonerakure qui, au lieu d’être démantelées (comme demandé par l’Union Européenne), ont été renforcées. A présent, dans le pays, il est devenu normal de trouver des corps sans vie dans les rivières, dans la campagne, dans la forêt et dans les décharges de Bujumbura et d’autres villes. Des cadavres en décomposition sont retrouvés quotidiennement par des pêcheurs et des agriculteurs le long de la rivière Rusizi, à la frontière de la République Démocratique du Congo. Il s’agit de Burundais d’origine Tutsi et Hutu appartenant aux partis d’opposition.
Qu’ils soient informés de toute découverte macabre, la police, l’administration locale et le gouvernement restent étonnamment silencieux ou, si nécessaire, se précipitent pour ordonner l’enterrement des corps sans sourciller, tandis que le délégué de l’UE au Burundi Claude Bochu évite toute mention de ces exécutions extrajudiciaires, soucieux de vanter, sans retenue, les « merveilles » et les « progrès » du régime.
Le phénomène est de plus en plus préoccupant, selon les ONG de défense des droits humains et de la société civile. « En seulement quatre jours, 14 cadavres d’hommes et de femmes en décomposition ont été découverts sur les rives de la rivière Rusizi dans les communes de Rugombo et Buganda », a dénoncé l’ONG SOS-TORTURE/Burundi le 27 octobre.
Jeudi 4 novembre, un groupe de chercheurs indépendants a confirmé l’augmentation de la torture et des disparitions forcées au Burundi qui suivent “un schéma clair” d’abus qui sapent les améliorations limitées des droits sous le Président Evariste Ndayishimiye. Des membres du service national de renseignement et de la police sont accusés de torture, de meurtres et de disparitions forcées. Les auteurs sont libres de “traquer tous les opposants présumés qu’ils considèrent comme une menace et de les tuer à leur guise”, a déclaré jeudi l’Initiative Burundaise des Droits de l’Homme dans un nouveau rapport sur les horreurs de la junte militaire de Gitega.
Pour mieux comprendre l’ampleur de ces exécutions extrajudiciaires, que de nombreux militants burundais qualifient de « génocide silencieux et rampant », nous proposons aux lecteurs de Place St Pierre un article publié samedi 6 novembre sur le site de Radio Izamba. La radio a été interdite en 2015 et toute la rédaction contrainte à l’exil pour éviter d’être tuée. Radio Izamba émet actuellement depuis le Rwanda voisin.
Nous espérons que cet article fera réfléchir le Parlement européen, dont nous vous invitons à écouter les témoignages et de la société civile burundaise menacée et exilée et non les relations de diplomates extrêmement empathiques avec le régime. L’Union Européenne doit prendre des mesures vigoureuses pour rétablir la paix, l’État de droit et la démocratie dans le pays. La situation au Burundi est mille fois pire que celle du Tigré en Éthiopie, pour une raison simple et horrible. Au Burundi, le génocide silencieux dure depuis 6 ans !
Silence ! On tue !
La sécurité se détériore de plus en plus ces derniers jours dans différentes localités du pays, particulièrement dans les provinces de Cibitoke et Bururi. Aucun jour ne passe sans que des corps sans vie soient découverts. Des personnes assassinées, mais dont les meurtriers ne sont pratiquement jamais identifiés. Surtout que l’administration s’empresse aussitôt de les faire enterrer, sans aucune enquête préalable.
Le plus inquiétant: malgré ces découvertes macabres quotidiennes, c’est le silence, tant de la population que des autorités.
Mais qui ne comprendrait pas le mutisme de cette population qui vit sous la terreur, qui ne peut pas se permettre de hausser le ton, de peur de se voir prise pour cible, plus qu’elle ne l’était déjà ? Par ailleurs, le simple fait de montrer l’endroit où se trouvent les corps, peut vous valoir d’être taxé d’être l’auteur du meurtre.
Mais qu’est-ce qui peut empêcher les administratifs, eux, d’en parler ? Pourquoi se terrer dans ce silence si assourdissant ? Est-ce pour couvrir les assassins ? Ou est-ce pour obéir aux ordres venus d’en haut ?
Plus de dix personnes tuées dans un laps d’une seule semaine dans une province, et les autorités restent cois. Une attitude pour le moins honteuse au 21ème siècle où il n’y a plus de secret.
Ailleurs, quand une et une seule personne est tuée, ce sont toutes les autorités, à commencer par le Chef de l’Etat, qui se lèvent pour condamner l’assassinat, apaiser la population et, ensuite, traquer les meurtriers qui sont aussitôt traduits en justice et condamnés, et tout le monde prend ainsi conscience que l’acte de tuer est un crime qui ne reste pas impuni.
Au Burundi, depuis que ces découvertes macabres se sont décuplées en province Cibitoke, le gouverneur provincial n’a jamais rien dit à ce sujet comme s’il ignore ce qui est en train de se passer chez lui, ou simplement, comme si cela ne le concerne pas.
Et c’est une même attitude qui s’observe chez d’autres gouverneurs: celui de Bururi aujourd’hui, ou encore celui de Muyinga, lorsque, au cours des mois d’août et septembre derniers, des corps sans vie étaient trouvés chaque jour.
Le ministre en charge de la sécurité, qui, pourtant, s’exprime souvent à travers les médias, n’a jamais condamné ces crimes. Silence radio également chez le président de la République, alors que le même Evariste Ndayishimiye ne cesse de s’empresser d’exprimer ses regrets, lorsque dans d’autres pays, des gens sont tués en masse.
Pourquoi ?
Pourquoi l’impunité reste la règle de la gouvernance au Burundi ?
Eh bien, cela n’a d’autre objectif que de cacher la vérité, pour faire croire aux bailleurs de fonds, qui ont pris des sanctions contre le Burundi, que tout va bien, dans le meilleur des mondes.
Chanter à tout bout de champ que la sécurité est totale au Burundi, alors que les gens passent leur temps à enterrer les leurs, il n’y a rien de plus cynique que de remuer leur plaie de la sorte.
A côté de ceux qui sont tués, il y en a encore plus nombreux qui sont portés disparus, les leurs gardant le faux espoir de les revoir un jour.
Serait-ce alors un mensonge de dire que c’est le pouvoir qui tue, alors qu’il fait tout pour camoufler une réalité qui crève les yeux ?
Et malheureusement ce n’est pas une première au Burundi, que les gouvernants tuent leurs gouvernés.
Depuis l’arrivée du parti CNDD-FDD au pouvoir, des milliers et des milliers de Burundais ont été tués. Souvenez-vous du plan Safisha, les massacres de Muyinga, Gatumba et dans de nombreux autres endroits, où il s’est avéré que le pouvoir était hautement impliqué. Sans ignorer les innombrables personnes tuées ou portées disparues, pour avoir manifesté contre le 3e mandat de Pierre Nkurunziza.
Qui, pour arrêter ces tueries ? Pourquoi ce silence du pouvoir alors qu’il n’en ignore pas les auteurs ? Il est plus que temps que les dirigeants d’aujourd’hui sachent que les temps du maquis sont révolus, et qu’ils doivent protéger toute la population, y compris les opposants.
Et si ce n’est pas le cas, tous ces crimes finiront par tomber sur la tête d’Evariste Ndayishimiye et ses lieutenants. Et, tôt ou tard, ils en répondront, lorsque la justice reprendra ses droits.
Fulvio Beltrami