À Ajaccio, où il se trouve aujourd’hui, le Pape François a exalté la laïcité, valeur constitutive de la France, qui « garantit à la politique d’agir sans instrumentaliser la religion, et à la religion de vivre librement sans s’alourdir avec une politique dictée par des intérêts parfois peu conformes, voire contraires, aux croyances religieuses ». « Sur ce sujet, vous êtes en chemin depuis longtemps et vous êtes un exemple vertueux en Europe. Continuez ! », a exhorté le Pontife en s’adressant à l’Église de France. Une laïcité donc entendue comme une « unité-distinction » et, pour cela, « indispensable ». Ces déclarations représentent également une intention claire de la part de Bergoglio qui, en fin d’après-midi, avant de rentrer à Rome, rencontrera à l’aéroport le président français Emmanuel Macron, qui vient de nommer un nouveau Premier ministre, le troisième en quelques semaines, dans une tentative de résoudre une crise politique complexe remettant directement en jeu le rôle de l’Élysée.
Une crise qui, néanmoins, sert de toile de fond au 47e voyage apostolique international du Pape François. Celui-ci s’est rendu en Corse pour conclure le Congrès « La Religiosité Populaire en Méditerranée ». La veille du voyage, le Secrétaire d’État du Vatican, le Cardinal Pietro Parolin, a souligné que le Pape parlera certainement à Macron de paix et de respect de la vie humaine. Sur le fond méditerranéen, il y aura également une référence à la question des migrants et à leur accueil.
Ce matin, après avoir quitté Santa Marta, François – 88 ans dans deux jours – s’est rendu en voiture à l’aéroport international « Leonardo da Vinci » de Rome-Fiumicino d’où, à 8h06, il est parti avec 67 journalistes à bord d’un A320 de Neo/ ITA Airways à destination d’Ajaccio où il est arrivé peu après 9h à l’aéroport Napoléon Bonaparte. C’est la troisième fois que le Pape Bergoglio se rend sur le sol français, après Strasbourg en 2014 et Marseille en 2023, mais il ne s’agit pas d’une visite en France : la première fois, le Pape s’était rendu au Parlement européen, la deuxième fois, il s’agissait d’une conférence sur les questions méditerranéennes. Aujourd’hui encore, la raison du voyage à Ajaccio est une conférence consacrée à la religiosité populaire, un thème qui tient particulièrement à cœur à François.
Accueilli par le cardinal François-Xavier Bustillo, archevêque d’Ajaccio, le pape a déjà rencontré les évêques et les prêtres de Corse dans la cathédrale Santa Maria Assunta. En début d’après-midi, il présidera la messe sur la place d’Austerlitz, à laquelle 7 000 fidèles sont attendus.
Au Palais des Congrès, le souverain pontife a rencontré environ 400 chercheurs, évêques, universitaires et représentants de différentes régions surplombant la Mare Nostrum, théâtre de mythes et de légendes, de communications, de systèmes juridiques et d’institutions dont les principes sont encore « valides et actuels », et qui, avec le Proche-Orient, a donné lieu à « une expérience religieuse très particulière » qui « a conduit à la création d’une culture de la paix ».
« À certains moments de l’histoire, la foi chrétienne a éclairé la vie des peuples et ses propres institutions politiques, alors qu’aujourd’hui, surtout dans les pays européens, la question de Dieu semble s’estomper et nous nous trouvons de plus en plus indifférents à sa présence et à sa Parole », a rappelé le pape, selon qui il faut toutefois “être prudent dans l’analyse de ce scénario, pour ne pas se laisser aller à des considérations hâtives et à des jugements idéologiques qui, parfois encore aujourd’hui, opposent la culture chrétienne et la culture séculière”. « C’est une erreur », a précisé François, mais il est important de reconnaître aujourd’hui “une ouverture réciproque” entre les croyants, d’une part, qui s’ouvrent avec plus de sérénité à “la possibilité de vivre leur foi sans l’imposer”, et, d’autre part, les non-croyants ou ceux qui se sont éloignés de la pratique religieuse, qui “ne sont pas étrangers à la recherche de la vérité, de la justice et de la solidarité” et qui ont souvent dans leur cœur “une exigence de sens” qui les conduit à “rechercher des valeurs fondamentales pour le bien commun”.
La finalité même de la promotion du bien commun est le terrain, a expliqué le Pape, sur lequel les fidèles et les institutions civiles et politiques peuvent se retrouver pour « travailler ensemble au service de chaque personne, en commençant par les plus petits, pour une croissance humaine intégrale ». En ce sens, la laïcité n’est pas un « concept statique et figé », mais plutôt « évolutif et dynamique », capable de promouvoir « une collaboration constante entre les autorités civiles et politiques ».
« Une laïcité saine », a souligné François, »signifie libérer la religion du poids de la politique et enrichir cette dernière des contributions de la religion, en maintenant une distance nécessaire, une distinction claire et une collaboration nécessaire entre les deux. De cette façon, a-t-il poursuivi, il sera possible de libérer « plus d’énergie et plus de synergies », « sans préjugés et sans opposition de principe », dans un dialogue « ouvert, franc et fructueux ».
Pour le Pape, la laïcité est donc le cadre dans lequel on peut saisir « la beauté et l’importance de la piété populaire », expression proposée par Paul VI dans Evangelii Nuntiandi, une dimension, a rappelé François, profondément enracinée en Corse et qui s’exprime à travers des symboles, des coutumes, des rites, des traditions, des processions, des activités caritatives des confréries, des chapelets et des formes de dévotion qui nourrissent tous une « citoyenneté constructive des Chrétiens ».
« Souvent, certains intellectuels, comme les théologiens, ne comprennent pas cela », a poursuivi le souverain pontife, quittant le texte écrit. La pratique de la piété populaire, a-t-il fait remarquer, « attire et implique aussi les personnes qui sont au seuil de la foi », qui y « redécouvrent l’expérience de leurs propres racines et affections, ainsi que les idéaux et les valeurs qu’elles considèrent utiles pour leur propre vie et pour la société ». « La piété populaire, qui exprime la foi par des gestes simples et un langage symbolique enraciné dans la culture des gens, révèle, selon François, la présence de Dieu dans la chair vivante.
Sante Cavalleri