Confrontation avec la Russie en mer Noire et en Méditerranée. La stratégie des provocations du Pacte atlantique (Fulvio Beltrami)

On assiste ces jours-ci en mer Noire à la énième provocation militaire aux frontières avec la Russie conçue par les États-Unis et l’OTAN dans la logique promue par le Pacte Atlantique pour contenir le « danger russe » visant à maintenir l’Europe soumise aux États-Unis et empêchant l’alliance politique, économique et militaire naturelle avec la Russie.
La provocation a été menée par des manœuvres militaires appelées Sea Breeze (brise de mer) qui ont vu 32 navires de guerre, 40 avions et 5 000 soldats de 17 pays membres de l’OTAN et pays partenaires de l’alliance déployés.
L’opinion publique européenne se voit offrir l’image d’une Russie encerclée et sur la défensive face à la puissance de la marine et de l’aviation de l’OTAN. Une Russie sans stratégie maritime significative. Au contraire, la stratégie navale russe, visant à contenir les provocations du Pacte Atlantique, est active en mer Noire mais aussi en Méditerranée.

Nous proposons aux lecteurs du Place ST Pierre ce documentaire de « Terra Bellum » qui explique la stratégie militaire russe en mer Noire et Méditerranée en réponse à l’OTAN.
La stratégie de la Russie en Méditerranée est liée dans l’imaginaire collectif à l’intervention dans le conflit syrien qui a surpris les puissances occidentales. Personne n’avait imaginé que la Russie déciderait de défendre ses intérêts régionaux par l’usage des armes et de défendre Bachar Hafez al-Assad de la capitulation décidée par les États-Unis et l’Union Européenne.
Résultat : six ans après l’intervention russe, non seulement Assad est resté au pouvoir mais a réussi à contrer les forces terroristes islamiques utilisées par l’Occident et la menace turque. La Syrie, quoique laborieusement, se remet de la guerre civile qui dure depuis 2011. L’opposition armée (de l’Occident) est pratiquement vaincue et les marges de manœuvre de DAESH (que nous appelons l’État Islamique) sont limitées.
L’offensive russe en Méditerranée orientale est considérée par le médias occidentales comme un nouveau chapitre de la stratégie militaire de Moscou. Au contraire, cette stratégie a de solides racines dans le passé et elle est tout sauf nouvelle ou, encore moins, improvisée.

Protectrice du christianisme orthodoxe oriental et des Balkans dans le passé et acteur majeur au Moyen-Orient aujourd’hui, la Russie a mené 12 guerres contre l’Empire ottoman entre le XVIe et le XIXe siècle. Une bataille titanesque qui continue toujours de contrôler la Méditerranée orientale.
Les origines de la présence russe en Méditerranée.
La Russie s’est progressivement impliquée en Méditerranée entre le XXe et le XIIIe siècle dans le but de contrôler les eaux qui coulent de la mer Baltique à Constantinople (aujourd’hui Istanbul). À l’époque, la mer Noire (reliée à la mer Méditerranée par les Dardanelles et le Bosphore) s’appelait la « mer de Russie » car les bateaux russes contrôlaient totalement la navigation. C’est dans la région de la mer Noire que la Russie devient chrétienne avec la conversion à l’Église orthodoxe de Constantinople.

La véritable influence sur la mer Noire a commencé à la fin du XVIIe siècle avec le tsar Pierre le Grand qui a mené la première guerre contre l’Empire ottoman pour défendre Constantinople en retirant les principaux ports du contrôle des Ottomans et de leurs alliés mongols. La Russie impériale a toujours considéré la mer Noire et la Méditerranée comme un seul espace maritime, reprenant le concept géostratégique des cités-États grecques qui s’étendaient à travers cette région et le concept géostratégique de l’empire de Constantine.
A la chute de Constantinople, le 29 mai 1453, par le leader ottoman Mehmed II « Fatih » (le conquérant), la Russie développa la théorie du Troisième Empire romain pour légitimer le contrôle de la mer Noire et de toute la Méditerranée orientale.

En plus de l’aspect religieux (défense du christianisme) il y a des intérêts géopolitiques très forts derrière la théorie du Troisième Empire romain. Pour les tsars, il était vital de contrôler les deux mers pour accéder au commerce international. La « guerre du nord » au début du XVIIIe siècle menée par Pierre le Grand contre la Suède assure le contrôle de la mer Baltique. Catherine II avec l’expansion de la Russie assure le débouché sur la mer Noire avec le contrôle de la Crimée et du sud de l’actuelle Ukraine.

Après les conquêtes de Catherine II, la Russie s’intéresse à la Méditerranée orientale, défiant les puissances régionales : l’Empire ottoman, la France, l’Angleterre. Pendant les guerres napoléoniennes, la Russie s’est rangée du côté des monarchies européennes, réussissant à assurer sa présence navale (militaire et commerciale) en Méditerranée aux côtés de la flotte britannique. C’est propre l’alliance offerte par la Russie qui incite l’Angleterre à ouvrir un dialogue avec Moscou en clé antinapoléonienne et à protéger la route maritime vers l’Inde.
Tout au long du XIXe siècle, la flotte russe n’a qu’un seul objectif : libérer la mer Noire et la Méditerranée orientale du contrôle ottoman, libérer les Balkans et occuper Constantinople. La Russie sera contrainte de freiner ses ambitions expansionnistes sous la pression britannique. Londres, inquiète que la Russie puisse prendre le relais en Méditerranée orientale pour ensuite s’étendre à la Méditerranée occidentale et inclure la route des Indes et du canal de Suez, s’allie à sa rivale historique : la France et, même avec l’ennemi du christianisme : l’Empire ottoman, déclenchant la guerre de Crimée (4 octobre 1853 – 1 février 1856).

Le conflit voit l’Empire russe s’affronter contre l’alliance contre nature composée de l’Empire ottoman, France, Grande-Bretagne et du Royaume de Sardaigne pour contrôler les lieux saints du christianisme sur le territoire ottoman. Alors que l’Autriche soutenait politiquement l’alliance contre nature, le Royaume de Sardaigne, inquiet de la menace maritime de l’empire russe, déclara la guerre à la Russie en 1855 en envoyant son propre contingent militaire.

Le conflit a eu lieu surtout dans la péninsule russe de Crimée, où les troupes alliées ont assiégé la ville de Sébastopol, principale base navale russe en mer Noire dans le but de priver la Russie non seulement de l’expansion maritime en Méditerranée orientale mais de sa présence en mer Noire. Après des tentatives infructueuses des Russes pour briser le siège (batailles de Balaklava, Inkerman, Cernaia) et l’attaque finale des Alliés, Sébastopol est abandonnée par les défenseurs le 9 septembre 1855, entraînant la défaite de la Russie.
Le Congrès de Paris de 1856 établit les conditions de la paix. La Russie a réussi à conserver le contrôle d’une partie de la mer Noire et a travaillé à la fin du XIXe siècle et dans la première moitié du XXe siècle pour reprendre le contrôle total et s’étendre dans la Méditerranée orientale.

L’ère soviétique a déplacé les intérêts géostratégiques vers d’autres régions du monde. La reprise de ces intérêts sur la mer Noire et la Méditerranée orientale sont à nouveau une priorité avec le président Vladimir Poutine. L’importance du port de Saint-Pétersbourg pour le commerce maritime cesse d’être considérée comme une route commerciale stratégique tandis que l’accent est mis sur la Méditerranée orientale afin de contenir à la fois la menace du terrorisme islamique et de l’OTAN.

La frontière syrienne est à seulement 800 km du Caucase. La Tchétchénie et le Daghestan sont toujours des foyers potentiels de terrorisme islamique qui menacent la Russie. La Turquie reste le principal antagoniste de la Russie dans ce domaine comme à l’époque de l’Empire ottoman. Les premiers raids de l’armée de l’air russe en Syrie visaient à détruire la menace islamique aux portes de la Russie suite aux renseignements des services secrets qu’après la Syrie, DAESH tenterait de s’étendre en Russie via la Tchétchénie et le Daghestan. L’intervention russe en Syrie a pour objectif principal de détruire la menace de l’islam extrémiste avant qu’il ne puisse « infecter » le territoire national russe.

Le deuxième objectif est d’empêcher l’instabilité syrienne de s’étendre à toute la région en cas de défaite du gouvernement Assad, comme cela s’est produit en Libye en raison de l’intervention militaire de l’OTAN. Deux objectifs bien différents de celui décrit par les médias occidentaux qui réduisent la complexe intervention russe en Syrie à la simple volonté d’opposition de Poutine aux Etats-Unis. Le troisième objectif de l’intervention en Syrie est de conserver le contrôle du port de Tartous qui est le seul point d’appui naval russe pour accéder à la Méditerranée et à l’océan Indien.
L’indépendance et l’annexion connexe de la Crimée (durement condamnée par l’Occident) permet à la Russie de tenir à distance l’OTAN, qui au cours des dix dernières années a clairement démontré des intentions hostiles envers Moscou en tentant de l’encercler par terre et par mer en menaçant directement ses frontières. La Crimée doit être vue comme un gigantesque porte-avions et base navale qui permet de contrôler toute la mer Noire et de s’imposer comme la flotte militaire la plus puissante de cette zone maritime stratégique.

La Russie a tenté d’ouvrir une base navale en Libye pour contrôler la Méditerranée orientale et, en partie, la Méditerranée occidentale. Malheureusement, le retrait des troupes du général Khalifa Belqasim Haftar Alferjani (soutenu par Moscou par opposition à la Turquie qui soutient le gouvernement de Tripoli) a empêché la réalisation de ce projet. A noter que le soutien russe au général Haftar a en effet créé une convergence d’intérêts géostratégiques en Afrique du Nord avec la France alors que dans d’autres régions d’Afrique les deux puissances mondiales sont engagées dans une guerre froide sans retenue se déroulant au Mali et La République Centrafricaine.
Quels sont les intérêts russes en Méditerranée ? La Russie n’a aucune intention hostile de contrôler l’importante mer qui relie les routes maritimes asiatiques via le canal de Suez. L’objectif de Moscou est de mettre en place des avant-postes pour éloigner autant que possible la menace de l’OTAN de ses frontières nationales.

C’est aussi une fenêtre stratégique sur le Moyen-Orient et l’Afrique où la Russie a repris son influence sur divers pays du Maghreb et d’Afrique subsaharienne. Malgré des moyens financiers limités par rapport à ceux de l’OTAN, la présence russe en Méditerranée orientale est un moyen de reconquérir la puissance russe afin de préserver l’actuel fragile système multipolaire que l’Occident tente de détruire pour revenir à la division mondiale en deux blocs, cette fois, avec la Chine comme principal « axe du mal ».
La stratégie de Moscou sur la Méditerranée orientale est principalement défensive mais mise en œuvre de manière qui apparaît offensive afin de constituer une dissuasion valable aux visées expansionnistes du Pacte Atlantique.