Érythrée : Biniam Fistum et Rodanim Yemane, des lycéens forcés de se battre au Tigré (F. Beltrami)

En Europe, la pandémie de Covid19 a particulièrement touché les adolescents contraints de subir des confinements préventifs et de fréquenter l’école avec des cours en ligne, parfois mal organisés, réduisant la qualité de l’éducation. Beaucoup se sont jetés sur Internet, la nouvelle drogue du 21e siècle, d’autres sont tombés dans la dépression. Pour aucun adolescent européen le 2020 a été facile. Leur calvaire se poursuit au cours de ce premier semestre 2021 alors qu’ils attendent une pourcentage suffisant de personnes vaccinées pour éradiquer la pandémie.

Biniam Fistum (15) et Rodanim Yemane (16) ont malheureusement connu un sort bien pire que nos enfants en Europe. Ils ont été envoyés par leur gouvernement à combattre dans le Tigray voisin. Ils ont vu les horreurs de la guerre non pas dans les livres d’histoire mais dans leur propre peau. À leur jeune âge, ils ont été contraints de tuer des êtres humains, créant un traumatisme psychologique qui aura de graves conséquences sur leur vie et leur jeune esprit. Biniam et Rodanim ont été “chanceux”, si ce terme peut encore être utilisé dans un contexte de barbarie, de nettoyage ethnique et de violence féroce où le sang d’innocents coule en jaillissement. Ils ont été capturés par les forces de défense du Tigray. Ils sont en captivité mais vivants. Ils peuvent manger au moins une fois par jour et, surtout, ils ne seront plus obligés de tuer pour ne pas être tués.
Telle est la réalité inhumaine imposée par un dictateur impitoyable et satanique qui n’a pas hésité un seul instant à envoyer des adolescents à combattre les soldats expérimentés di TDF déterminés à défendre leur terre, leurs familles, leurs enfants. Ce dictateur a un nom, maudit par l’histoire: Isaias Afwerki, le maître-père d’un pays soumis à sa cruelle volonté: l’Érythrée.

Biniam Fistum, un lycéen érythréen de 15 ans a été capturé par le TPLF après une bataille près d’Axoum où des unités érythréennes auraient été décimées, selon le TPLF. Biniam a été miraculeusement épargné. Peut-être que la main qui a dû appuyer sur la détente appartenait à un père de famille. Peut-être que dans les yeux de Biniam, le soldat TDF a vu les yeux de son fils et a eu pitié.

Biniam aspirait à entrer à l’université, il voulait devenir médecin pour sauver des vies. Au contraire, il est maintenant prisonnier de guerre. Son gouvernement l’a forcé à tuer ces vies humaines qu’il désirait tant guérir et sauver. Biniam est vivant mais son esprit est mort depuis le 10 décembre 2020 lorsque les soldats sont arrivés dans sa ville natale: Keren, dans la région d’Anseba, en Érythrée, et l’ont chargé dans un camion avec d’autres camarades de classe en vertu du projet de loi née pendant la Guerre contre l’Ethiopie qui a éclaté à la fin des années 1990. Une loi jamais abrogée même après la paix avec Addis-Abeba.
«Ils nous ont chargés comme du bétail sur des camions militaires. Ceux qui tentaient de s’échapper ont été arrêtés, battus et poussés dans les camions. Avec 30 autres pairs à moi, nous nous sommes soudainement retrouvés à Tigray. Ils nous ont dit que la guerre était finie au Tigray et qu’ils devaient suivre une formation militaire sur place. ” explique Biniam terrifié par le risque que son emprisonnement se termine par un coup à la tête infligé par certains miliciens pour venger les camarades tombés au combat.

«Cela fait quatre mois que nous sommes arrivés à Tigray. Et nous avons suivi notre entraînement militaire près de la ville de Hagerselam dans le centre du Tigray. Puis ils nous ont envoyés au front pour combattre, tuer. Si nous ne l’avions pas fait, ils nous auraient tués sur ordre de notre gouvernement », a ajouté Biniam.

Rodanim Yemane, un lycéen, a été arrêté devant son domicile à Asmara le 15 décembre 2020, un mois après son 16e anniversaire. Il a été emmené à Barentu, puis au camp d’entraînement militaire de Kormenae, où il a reçu deux mois d’entraînement avec d’autres pairs conscrits. Pendant ce temps, il a été en contact avec sa famille jusqu’à fin février 2021, date à laquelle la famille a ensuite perdu contact avec lui. Rodanin s’est retrouvé au combat au Tigray début mars 2021, contraint de participer à la troisième offensive militaire contre le TPLF. Sa famille a eu ses nouvelles seulement grâce à un reportage diffusé le 23 mars 2021 par Deutsche Welle International TV montrant Rodanim et d’autres adolescents érythréens capturés par les forces du TPLF.

L’association érythréenne de défense des droits de l’homme: Human Rights Concern – Eritrea (HRCE) https://hrc-eritrea.org, forcée d’opérer depuis la Grande-Bretagne, explique que l’utilisation d’enfants soldats est une constante commune du dictateur érythréen depuis la guerre contre l’Etiiopie des années 90.

“L’armée érythréenne a subit de lourdes pertes dans son aventure militaire dans le Tigray à cause de la forte résistance des Forces de Défense du Tigré (TDF). Pour maintenir la pression sur son ennemi historique (le TPLF), le président Isaias Afwerki envoie maintenant aussi des enfants à combattre au Tigray, en violation flagrante du droit international qui interdit l’utilisation de mineurs dans un conflit militaire.

L’Érythrée maintient depuis longtemps un système de conscription militaire du service national par lequel tous les jeunes hommes et femmes sont forcés de participer aux forces de combat de l’État, sans limite de temps ni date officielle de libération. Chaque lycéen de 17 ans doit terminer sa dernière année d’études à la base d’entraînement militaire du camp de Sawa. Les jeunes qui tentent d’éviter la conscription sont souvent arrêtés dans les rues lors d’enlèvements par les militaires, quel que soit leur âge.

Ces jeunes étudiants disparaissent sans laisser de trace dans la réglementation militaire, sans que leurs parents sachent où ils sont allés.
L’enlèvement de Rodanim Yemanes et son envoi forcé sur le front de la guerre au Tigray est une confirmation supplémentaire que l’Érythrée déploie des mineurs pour combattre sur les lignes de front de la guerre au Tigray. La Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant (1990), article 22, stipule que << les États parties doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce qu'aucun enfant (défini comme étant âgé de moins de 18 ans) ne puisse participer directement aux hostilités et à tous Les États parties doivent s'abstenir, en particulier, de recruter des enfants dans leurs forces armées >>. Il est clair que l’Érythrée ignore constamment cette exigence de la charte africaine. ”
L’association HRCE explique tout appellent au retrait immédiat de tous les enfants de moins de 18 ans de l’armée érythréenne et du conflit au Tigray et à une action urgente pour empêcher davantage d’enfants soldats érythréens d’être déployés au combat.

«HRCE appelle l’Union Africaine et l’UNICEF à intervenir dans cette affaire pour exhorter l’Érythrée à retirer tous les enfants soldats du Tigray et à cesser immédiatement la pratique d’enrôler des mineurs dans le service militaire. HRCE appelle la communauté internationale et les Nations Unies à surveiller et à appliquer le retrait de toutes les forces militaires érythréennes de la province éthiopienne du Tigray. HRCE appelle le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies à formuler des mesures spéciales et à charger le Rapporteur spécial sur les droits de l’homme en Érythrée d’enquêter sur l’enrôlement d’enfants dans l’armée et dans la guerre amenée par le gouvernement érythréen ». Un porte-parole de HRCE explique.

Les combats au Tigray se poursuivent sans relâche. Les Forces de Défense du Tigray ont lancé une série de contre-offensives, facilitées par le déploiement de deux divisions érythréennes du Tigré à Oromia pour combattre le Front de Libération de l’Oromo – Armée de Libération de l’Oromo. Au Tigray, des crimes de guerre sont désormais commis à la lumière du jour sans aucune honte. Le 14 avril, Amnesty a confirmé que les troupes érythréennes avaient tué trois personnes et blessé au moins 19 personnes lors d’une attaque contre des civils dans le centre de la ville d’Adwa, le 12 avril. «Les attaques délibérées contre des civils sont interdites par le droit international humanitaire et doivent cesser», a déclaré Sarah Jackson, directrice régionale adjointe d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Est, la Corne et les Grands Lacs.

Le directeur de l’aide humanitaire des Nations Unies, Mark Lowcock, a parlé au Conseil de Sécurité de la violence sexuelle contre les femmes éthiopiennes utilisées comme arme de guerre au Tigray et a demandé: “La vie des Africains n’a-t-elle pas autant d’importance que celle des autres pays en guerre?” Mark Lowcock, a déclaré que la crise humanitaire au Tigray s’était aggravée au cours du mois dernier avec des défis pour l’accès à l’aide et des personnes affamées. Il a déclaré que l’ONU n’avait vu aucune preuve que les soldats de l’Érythrée voisine – accusés de massacres et de meurtres au Tigray – se soient retirés.

Lowcock a présenté des preuves irréfutables du pire type de viol commis par des soldats éthiopiens et érythréens sur des femmes au Tigray: le gang-bang, lors de la réunion du Conseil de sécurité de l’ONU sur le Tigré et l’Éthiopie, tenue le jeudi 15 avril à la demande du États Unis. La réunion s’est tenue à huis clos comme celle du 4 mars dernier. Une nouveauté importante nous est signalée par des diplomates. La Chine et la Russie ont pris la défense du gouvernement fédéral éthiopien et de la dictature érythréenne en s’opposant à l’adoption d’une déclaration unanime appelant à la fin du conflit au Tigray. Pékin et Moscou considèrent ce conflit armé depuis le début du mois de novembre comme une “affaire intérieure”.

Les preuves présentées par Mark Lowcock déjouent toutes les tentatives du gouvernement fédéral éthiopien de nier les crimes contre les humanités au Tigré mais comme aussi dans d’autres régions du pays, dont Oromia, bouleversés par le conflit entre les troupes fédérales, érythréennes et l’opposition armée OLF-OLA. Le gouvernement éthiopien maintient la tactique du déni comme ligne de défense. Une tactique malheureusement reprise à son insu par certains journalistes occidentaux qui ont récemment déclaré que les massacres au Tigray rapportés par les ONG manquent de preuves tangibles.

Fulvio Beltrami