Hier, 21 juin 2021, ont eu lieu en Éthiopie des élections administratives qui ont déjà été reportées à deux reprises depuis août 2020. Des milliers de soldats fédéraux et de policiers en tenue de combat ont été mobilisés pour maintenir l’ordre. La tâche de coordonner la sécurité pendant le scrutin a été confiée à l’un des principaux leaders de l’extrémisme nationaliste amhara : Agegnehu Teshager, ancien président d’Amhara et actuel chef de la terrible police politique NISS.
Le vote s’est déroulé dans un climat de guerre en raison des combats en cours dans les provinces du Tigré et Oromia. 4 autres provinces sont soumises à des violences ethniques périodiques qui amorcent progressivement une escalade inquiétante. Les élections éthiopiennes ont été caractérisées par une exclusion massive du scrutin, un boycott des principaux partis d’opposition et de nombreux épisodes de violence.
Sur 50 millions de citoyens ayant le droit de vote 12 millions (2,5 dans le Tigré, environ 3 millions dans l’Oromia et le reste dans les autres régions) ont été exclus. Sur 547 sièges, 110 n’ont pas été ouverts en raison des conflits en cours à Oromia, de la violence ethnique et de problèmes logistiques non précisés. Les principaux partis d’opposition à l’échelle nationale ne participent pas aux élections. Environ 8 millions d’électeurs à travers le pays ont vu leurs élections reportées à septembre. Ils ne savent pas si leur vote sera pris en considération étant donné que les résultats définitifs du vote sont prévus pour juillet prochain…
Six heures après l’ouverture du scrutin, des violences ont été enregistrées dans les régions d’Amhara, SNNP, Afar, Oromia et Gambella, malgré l’imposant appareil sécuritaire conçu par l’exécutif d’Amhara : Teshager. Le journal Addis Standard rapporte des agressions physiques contre des politiciens de l’opposition.
Dans la ville d’Ambo, à Oromia (où se trouve une usine d’armement avec une capacité présumée de production de phosphore blanc) il y a eu des incidents suite à l’éloignement d’un officier du bureau de vote pour des raisons non encore éclaircies.
Addis Standard fait état d’attaques par des miliciens inconnus contre des observateurs votants appartenant à l’opposition dans divers sièges d’Amhara et Gambella. Tous ces incidents auraient vu une inertie inexplicable de l’appareil sécuritaire dirigé par Teshager. Les journalistes sont en fait empêchés de suivre les élections, à l’exception de ceux appartenant aux médias gouvernementaux ou aux journaux, radio et télévision de propagande Amhara, ayant l’intention d’inonder les médias sociaux d’informations « positives » dans une célébration claire du Parti de la Prospérité.
En fin de soirée d’hier, d’autres nouvelles sont arrivées qui mettent en lumière une gestion chaotique et improvisée de ces élections qui, rappelons-le, n’ont été précédées que de 12 jours de campagne électorale. Dans divers bureaux de vote, les bulletins de vote ont manqué pendant des heures et des heures, retardant le début du vote. Dans d’autres bueraux, les bulletins de vote se sont avérés insuffisants par rapport aux citoyens qui sont allés voter, créant de la nervosité et des retards.
Sur les 437 sièges autorisés pour les opérations de vote, 102 ont été fermés au bout de quelques heures en raison de graves irrégularités et le choix des citoyens ayant déjà voté ne sera pas pris en compte pour les résultats partiels et définitifs. La commission électorale NEBE n’a pas précisé si les citoyens de ces bureaux de vote auront la possibilité de voter dans les prochains jours. La fermeture des bureaux de vote pour irrégularités concerne principalement les régions de Benishangul Gumuz (où se trouve le méga barrage GERD) et les circonscriptions d’Asossa Hua et d’Asossa Mengele. Dans la région du Sidama, le vote a été suspendu pour des raisons non précisées et a repris aujourd’hui.
La participation électorale est également remise en question. Aux premières heures d’hier, des photos authentiques circulaient sur les réseaux sociaux montrant de longues files d’électeurs devant divers bureaux de vote à Addis-Abeba et dans la région d’Amhara. Vers l’après-midi, d’autres photos (authentiques également) ont commencé à circuler, qui montraient au contraire une rare présence d’électeurs devant les bureaux de vote. Il n’y a actuellement aucune donnée relative à la participation aux urnes mais il est clair qu’il y a eu des problèmes.
La Commission électorale a donné hier vers 17h00, heure locale, l’ordre de prolonger le vote jusqu’à 21h00 afin de “permettre aux citoyens de remplir leur devoir démocratique”. Malgré l’ordre, différents bureaux de vote ont clôturé le vote à l’heure prévue : 18h00, en précisant qu’ils avaient terminé le vote sur la base des listes d’électeurs dont ils disposaient.
Le dépouillement des votes a commencé par étapes. Qui à 18h00 qui à 20h00 qui après 21h00 du soir. L’opposition dénonce que ses observateurs électoraux ont été physiquement empêché de participer au dépouillement dans les bureaux de vote.
Hors violences et intimidations subies par les candidats, militants et sympathisants certain partis d’opposition qui avaient décidé de participer aux élections, le chaos organisationnel semble si généralisé qu’il compromet définitivement la crédibilité de ces élections partielles et non inclusives. La NEBE a fait preuve d’une incapacité manifeste à gérer les élections sur le territoire national malgré le fait qu’elle a reçu d’importants financements étrangers depuis mars dernier pour pallier les insuffisances financières rencontrées par le gouvernement d’Addis-Abeba dans l’organisation des élections.
Le PNUD aurait donné environ 12 millions de dollars. L’Union Européenne aurait contribué près de 20 millions d’euros alors que l’USAID déclare officiellement un financement total pour les élections de 30,4 millions de dollars.
L’échec organisationnel des élections serait dû au choix des membres des sièges fait non pas sur la base de compétences et curriculum d’études, mais sur l’affiliation politique au parti de la direction nationaliste Amhara : le Parti de la Prospérité. La plupart des membres du personnel électoral a reçu une brève formation de deux jours.
Quelques heures après la fin des élections, le vice-Premier et Ministre des Affaires Étrangères Demeke Mekonnen s’est rendu en urgence à Abu Dabi, la capitale des Emirats Arabes Unis. Selon des informations du bureau de presse du gouvernement éthiopien, Mekonnen a discuté avec de hauts responsables de la famille royale pour “explorer d’autres liens entre Ethiopie et les Emirats Arabes Unis”.
La visite a durée quelques heures avant le départ de Mekonnen pour se rendre (toujours d’urgence) à Moscou pour rencontrer le Premier Ministre russe Sergueï Lavrov et discuter avec lui des moyens de renforcer les relations entre les deux nations et des derniers développements en Éthiopie et dans la région en général.
Selon des sources diplomatiques africaines, ces deux réunions urgentes ont été mises en place à la dernière minute pour tenter de renforcer le soutien avec les Emirats Arabes Unis, demandant au sultan Khalifa Al Nahyan un plus grand engagement militaire dans le Tigré. Des drones de combat des Emirats Arabes Unis sont intervenus dans la première phase du conflit (novembre décembre 2020) causant de lourds dommages aux armes lourdes et chars des Forces de Défense du Tigré. Des sources locales affirment que les drones du sultan Al Nahyan sont toujours opérationnels au Tigré mais dans une moindre mesure et dans des attaques non stratégiques.
La demande d’un plus grand engagement militaire serait motivée par les déboires enregistrés ces derniers jours dans le Tigré. Selon diverses sources, l’offensive finale entreprise par les troupes érythréennes le 15 juin dernier aurait échoué. La nouvelle ne s’est pas répandue en Éthiopie puisque le Premier Ministre Abiy avait déjà donné avec certitude la victoire finale et la capture des dirigeants du TPLF.
Le journaliste sud-africain Martin Plaut (ancien expert de la BBC sur l’Afrique Australe et la Corne de l’Afrique) rapporte que l’armée du Tigré a peut-être stoppé la cinquième offensive militaire de l’Érythrée. Des nouvelles et des sources vérifiées parlent d’un renversement désastreux de l’armée érythréenne qui aurait été arrêtée par les Forces de Défense du Tigré et aurait subi de lourdes pertes.
L’armée fédérale engagée dans l’offensive aurait subis également de lourdes pertes. Plus de 15 000 soldats fédéraux ont été tués ou blessés par la résistance des forces du Tigré. Le TPLF affirme être passé à la contre-offensive en lançant l’opération Alula Abanega. La contre-offensive du TPLF porterait ses fruits. Ce matin la troisième ville du Tigré : Adigrat est le théâtre de violents affrontements entre les Erythréens et l’armée du Tigré.
La rencontre avec le Premier Ministre russe viserait à s’assurer le soutien de la Russie pour contrebalancer la posture agressive adoptée par les États-Unis. Une proposition qui a de nombreuses possibilités d’être acceptée par le Kremlin compte tenu de la position stratégique de l’Éthiopie, de ses ressources naturelles et de la possibilité d’entrer sur un marché en développement avec un potentiel d’au moins 40 millions de consommateurs.
Des sources diplomatiques confirment cependant la probabilité d’une politique pro-russe en exprimant leurs inquiétudes. Les États-Unis, principal allié militaire et partenaire économique d’Addis-Abeba, réagiront très mal face à une « trahison » qui mette en jeu les intérêts américains dans le Corne de l’Afrique, une région trop proche du Moyen-Orient où la guerre froid américano-russe sur le sort de la Syrie est toujours d’actualité.
Fulvio Beltrami