Le 24 mars, le régime éthiopien Amhara a déclaré une trêve humanitaire indéfinie pour faciliter l’envoi et l’acheminement de l’aide et du matériel humanitaires au Tigré à la suite d’un siège et d’un embargo sur l’aide humanitaire décrété par le même régime en décembre 2020. Le régime d’Addis-Abeba appelle aussi les forces armées du Tigré de se retirer des territoires occupés dans la région voisine d’Amhara.
Le gouvernement démocratiquement élu du Tigré et représenté par le Front de Libération du Peuple du Tigré – TPLF a déclaré qu’il n’adhérerait à la trêve et n’apporterait la cessation des hostilités qu’à la condition de voir des actes concrets d’assistance humanitaire complète aux 7 millions de citoyens éthiopiens de la région « rebelle ». Malgré cette demande à laquelle le régime n’a pas donné les garanties nécessaires, les combats en cours sur le front dans la région Afar ont cessé. L’armée régulière du Tigré (Tigray Defence Forces – TDF) retire ses forces d’Abala, Megale, Nerhale et Konneba mais les maintient dans la région voisine d’Amhara bien qu’ayant donné l’ordre de ne pas mettre en œuvre d’offensives mais de ne répondre qu’en cas d’attaque. Le TDF contrôle principalement certaines zones des régions de Wag Himora et de North Gondar dans la région d’Amhara.
Les premiers convois humanitaires ont pu entrer dans le Tigré dix jours après la déclaration de la trêve, le samedi 2 avril. Il n’y a que 13 camions remplis de médicaments, de matériel médical, de vivres d’urgence et de pompes à eau. Il s’agit du premier convoi à atteindre la région depuis septembre 2021. Le Programme Alimentaire Mondial a indiqué avoir livré la première cargaison de carburant à Mekelle, la capitale du Tigré. Environ 47 000 litres.
Les Émirats Arabes Unis ont envoyé 30 tonnes de fournitures médicales et d’aide alimentaire à Addis-Abeba pour livraison dans le Tigré. A noter que les EAU sont pleinement impliqués dans le conflit éthiopien avec des fournitures d’armes, de drones de guerre chinois Wing Loong et de techniciens pour leur pilotage à distance. Les acteurs humanitaires s’accordent à dire que les premiers secours, même s’ils sont encourageants, ne suffisent pas à endiguer la catastrophe humanitaire créée par le régime dans le cadre du plan génocidaire contre le peuple du Tigré.
La trêve humanitaire déclarée par le Premier Ministre éthiopien Abiy a été accueillie avec enthousiasme et sans critique par l’Union Européenne engagée dans une guerre froide absurde avec la Russie et heureuse de recevoir des nouvelles de fragiles lueurs de paix d’une guerre bien pire que celle de l’Ukraine où Bruxelles n’a pas pu imposer la paix depuis novembre 2020 alors que l’Union Européenne est l’un des principaux partenaires économiques de l’Éthiopie.
Des réactions moins enthousiastes et plus critiques sont venues des Etats-Unis qui ont voté le 31 mars dernier la loi S3199 sur la paix et la stabilisation de l’Ethiopie grâce à l’avis positif du Congrès et de la Commission des relations extérieures du Sénat. La loi fournit des outils pour enquêter sur les crimes contre l’humanité commis pendant le conflit qui, ne l’oublions pas, n’est pas terminé. Selon le sénateur Jim Rich, la loi récemment adoptée fournit les outils pour accuser toutes les parties impliquées dans le conflit d’avoir commis des atrocités. La loi met également l’accent sur le rôle de la désinformation et sur les acteurs étrangers dans le conflit.
« Toutes les parties au conflit n’ont pas signé le cessez-le-feu ou accepté de venir à la table des négociations et le chemin vers la paix et la réconciliation nationale en Éthiopie est long. Cette législation envoie un message fort que le Congrès est toujours sérieux au sujet de la responsabilité et de la résolution des conflits. Dit le sénateur Risch.
La loi sur la paix et la stabilisation de l’Ethiopie est également un terrible instrument de guerre visant à détruire l’économie éthiopienne aujourd’hui effondrée et à provoquer la chute du régime Amhara. En fait, la loi sanctionnera les dirigeants politiques et militaires éthiopiens et érythréens, éliminera l’aide financière américaine au gouvernement éthiopien et rendra presque impossible pour les régimes amhara et érythréen l’accès aux prêts d’agences internationales telles que la Banque Mondiale et au FMI.
Le régime d’Addis-Abeba a évité tout commentaire pour le moment mais les partis nationalistes et fascistes Amhara n’ont pas épargné de sévères condamnations du président américain Biden. Ils prétendent que l’Éthiopie est un État souverain qui ne se soumettra jamais à la volonté du Sénat américain. Ils assimilent les sanctions précédemment adoptées et la dure loi S3199 à un acte terroriste en faveur du TPLF et de l’Armée de Libération Oromo, invoquant la protection de la Russie et de la Chine. Erreur politique car elle a rendu fou Biden concentré sur une guerre totale contre la Russie sur toute la planète.
Les sanctions américaines pourraient encore se durcir grâce au travail intense de l’Égypte qui demande ouvertement aux États-Unis et à l’Union Européenne de reconnaître le génocide en cours au Tigré en appliquant l’embargo économique et sur les armes aux régimes érythréen et éthiopien. En ce moment, la demande du Caire a trouvé le plein soutien des États-Unis et de la Grande-Bretagne qui font pression sur l’Union Européenne. Si le génocide du Tigré sera officialisé au niveau international, il ouvrira non seulement les portes à la guerre économique mais aussi à la possibilité de poursuivre en justice le Premier Ministre éthiopien, les dirigeants amhara, le dictateur érythréen Isaias Afwerki et, in fine, justifiera toute intervention armée.
L’Institut américain pour la paix affirme que la trêve offre une opportunité d’arrêter la guerre qui a créé une catastrophe humanitaire sans précédent et de venir en aide à des millions de civils, dont des femmes et des enfants, qui ont été contraints d’abandonner leurs maisons, privés des services de base et soumis à d’horribles violences. Malgré cela, l’Institut prévient qu’il n’y a toujours aucune trace d’un accord écrit de la trêve verbalement déclarée par le régime Amhara et acceptée par le TPLF. L’accord écrit n’est pas une formalité mais une étape obligatoire pour entamer les pourparlers de paix et vérifier les véritables intentions des belligérants.
“Pour parvenir à un accord, il faudra instaurer la confiance entre les parties belligérantes par des étapes concrètes et soutenues. Il sera essentiel d’ouvrir un accès humanitaire total et inconditionnel au Tigré et à l’Afar et de permettre le retour des déplacés. Ces étapes nécessiteront un suivi et une surveillance de la part des dirigeants politiques et militaires. La communication et le respect de la part des forces de sécurité sur le terrain seront de mise”, précise l’Institut américain pour la paix.
Malheureusement, divers observateurs régionaux et internationaux, ainsi que des renseignements américains et soudanais ont signalé de forts mouvements de troupes de l’Armée fédérale éthiopienne (ENDF) à la frontière avec le Tigré. Les troupes de l’ENDF se positionnent dans les villes de Kogo, Bathi et Sekota dans la région Amhara et Afar. De fortes concentrations de chars et d’artillerie lourde sont également signalées.
Les raisons de cette mobilisation en même temps que la trêve annoncée verbalement ne sont pas claires. S’agit-il d’une mobilisation défensive ou offensive ?
Certains observateurs affirment que cette nouvelle mobilisation militaire à grande échelle fait partie d’un plan visant à lancer la deuxième invasion du Tigré. D’autres sont en désaccord avec ces analyses et soutiennent que les troupes éthiopiennes sont déployées le long des frontières pour renforcer les défenses en cas d’offensive militaire de l’armée régulière du Tigré.
Le risque est réel que la trêve humanitaire ne soit qu’un geste pour prendre du temps et pouvoir regrouper les secteurs militaires éthiopiens et érythréens pour poursuivre le conflit en lançant une offensive contre le Tigré dans l’espoir d’anéantir le TPLF. Des observateurs militaires signalent la concentration de troupes éthiopiennes et érythréennes également dans les environs d’Oromia, soupçonnant l’intention de lancer une offensive militaire simultanée contre l’Armée de libération d’Oromo qui contrôle désormais plus de 50 % d’Oromia et est située à 100 km de la capitale Finfinee ( Addis Ababa en amharique).
À l’heure actuelle, environ 90 000 soldats éthiopiens seraient prêts à lancer l’attaque sur le Tigré, soutenus par environ 40 000 soldats érythréens. 30 000 autres sont en alerte pour lancer l’offensive en Oromia. Malgré cette force d’invasion massive, ces deux nouvelles offensives ressemblent plus à un acte désespéré du premier ministre Abiy pour gagner la guerre qu’à un acte militaire de résolution du conflit. “Les plus de 110 000 soldats de l’armée fédérale sont en fait des recrues souvent enrôlées de force et mal entraînées. Abiy commet la même erreur qu’il a commise en juin 2021 lorsque son armée a été anéantie au Tigré. Il estime qu’il suffit d’enrôler des centaines de milliers de jeunes, de les armer jusqu’aux dents et de les jeter sur l’ennemi. C’est une tactique suicidaire car elle ignore complètement l’importance de l’entraînement qui, comme nous le savons tous, prend beaucoup de temps », explique un conseiller militaire ougandais sous protection de l’anonymat.
Les offensives probables dans le Tigré et l’Oromia, si elles se réalisent, arrivent à un moment critique pour le Premier ministre Abiy Ahmed Ali. L’alliance politique entre l’élite politique d’Amhara et le Premier ministre éthiopien Abiy commence à s’affaiblir.
L’alliance Abiy-Amhara a connu son premier revers fin décembre de l’année dernière, lorsque le gouvernement du Premier ministre Abiy a stoppé l’opération militaire et décidé de ne pas entrer dans le Tigré après avoir infligé aux forces Tegaru et à l’OLA une désastreuse défaite militaire grâce également aux drones du Emirats Arabes Unis, Turquie, Iran et Chine. A l’époque, la décision de ne pas poursuivre les forces du TDF pour les anéantir a été violemment contestée par les nationalistes en Ethiopie et par la diaspora amhara qui veut porter le coup fatal au Tigré.
L’alliance a reçu son deuxième coup en janvier de cette année, lorsque le gouvernement du Premier ministre Abiy Ahmed a libéré les dirigeants du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF). Les principaux dirigeants du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF) tels que Sebhat Nega, Kidusan Nega, Abay Weldu, Mulu Gebregzihaber, Abadi Zemu et Kiros Hagos ont été amnistiés et libérés de prison. Certains politiciens amhara et membres de la diaspora, dont Andargachew Tsige et Tamagne Beyene, se sont opposés à cette décision.
Les relations entre le gouvernement fédéral du Premier ministre Abiy et l’élite politique d’Amhara se sont encore détériorées après que l’armée régionale d’Amhara et l’armée fédérale éthiopienne ont lancé une opération pour désarmer la milice Fano. Plusieurs membres de la milice Fano ont été tués à Gojjam et Wollo au cours de l’opération en cours. Les dirigeants Amhara du Parti de la Prospérité tels que Gedu Andargachew, le Mouvement National des Amharas (NAMA) et le parti Balderas d’Eskinder Nega se sont opposés aux opérations militaires contre la milice FANO. Il est désormais impensable que les dizaines de milliers de miliciens FANO participeront à l’invasion du Tigré si le premier ministre Abiy ne les reconnaît pas comme forces de défense légitimes et poursuit les hostilités contre eux.
Aujourd’hui, la majorité des nationalistes amhara accusent le Premier ministre éthiopien de trahison et de double jeu. Le Parti de la Prospérité se divise en factions pro et anti Abiy, en danger d’éclatement. Le Mouvement National des Amharas (NAMA) et le parti Balderas d’Eskinder Nega (tous deux partisans de politiques purement nazies) gagnent du terrain parmi les plus de 20 millions d’Amhara vivant en Éthiopie et dans la diaspora occidentale en forçant les dirigeants nationalistes Amhara à choisir de soutenir le néonazisme naissant ou Abiy Ahmed Ali.
La situation est aggravée par les affrontements à la frontière entre les les forces armées Amhara et Oromia fidèles au régime de Finfinee. Des responsables locaux des deux régions ont publié des déclarations sur les affrontements impliquant les forces de sécurité oromo (fidèles au premier ministre Abiy) et les milices Amhara FANO. Selon les premières informations reçues de sources crédibles, un convoi des forces de sécurité oromo et de la police fédérale a été pris en embuscade par les miliciens Amhara FANO près de Fentaleworkda, en Oromia. Au total, 26 agents de sécurité oromo et deux agents de la police fédérale ont été tués.
Fentaleworkda est situé dans l’est de Shewa, dans la région d’Oromia. Il partage une frontière avec la région d’Amhara. L’an dernier, dans cette zone, plus d’une douzaine d’anciens de Kereyu Oromo ont été tués en dehors des tribunaux par les forces de sécurité d’Oromia sur ordre du Premier ministre éthiopien. Dans ces conditions, comment il sera possible de lancer une offensive militaire résolue contre l’Armée de Libération Oromo est une énigme à laquelle même l’Enfant Empereur Abiy n’est pas en mesure de répondre.
Fulvio Beltrami